C’est seulement quand se produit un changement dans l’enfance que les sociétés commencent à progresser dans des directions nouvelles imprévisibles et plus appropriées.

Lloyd de Mause, président de l'association internationale de Psychohistoire.

Une rentrée sous le signe du respect des enfants ?

Le documentaire L'Odyssée de l'empathie, sera projeté dans plusieurs villes de France après une avant-première le jeudi 5 novembre 2015 à Lambersart (Nord).


Une rentrée sans fessée… et après ?

Depuis maintenant dix ans, l’OVEO défend le principe d’une législation qui protégerait enfin les enfants (comme le sont légalement les adultes) de toutes les formes de violence physique auxquelles ils sont exposés, le plus souvent sous prétexte d’éducation – la gifle et la fessée étant les plus emblématiques, car considérées aujourd’hui encore par la majorité de la population, en France, comme acceptables, voire souhaitables 1.

Une fois de plus, sous prétexte que l’opinion publique n’y est pas majoritairement favorable, qu’il ne faut pas « pénaliser » ce problème, mais lutter d’abord contre « la maltraitance » (comme si la grande tolérance en matière de violence éducative ordinaire n’était pas ce qui rendait si nombreux et si graves les cas reconnus comme « maltraitance 2 »), le ministère de la Famille a renvoyé le sujet aux calendes grecques.

Mais est-ce tout ? Devons-nous répéter que l’interdiction de ces châtiments corporels 3, même assortie de celle des « violences psychologiques » et des punitions « humiliantes » (légitimant du même coup un large éventail de punitions – et récompenses – supposées anodines, utiles, efficaces, bref, « éducatives »), n’est pas notre seul but ?

Nous souhaitons à tous les enfants, à leurs parents et à ceux qui s’occupent des uns comme des autres une bonne rentrée. Une « rentrée sans fessée ». Mais pas seulement.

Sous couvert de « parentalité positive », voire de « discipline positive » (une nouvelle méthode importée des Etats-Unis qui fait fureur actuellement), beaucoup des conseils dispensés aux parents se réduisent à remplacer les punitions les plus dures et les plus dégradantes pour un être humain par des méthodes que nous pourrions qualifier de « punitions soft » (ou déguisées), manipulation, retrait d’amour pour obtenir une obéissance dont le bien-fondé n’est jamais remis en question 4.

Et puis, cette rentrée est marquée par la mise en place dans le système scolaire du nouvel enseignement civique et moral annoncé par la ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem. En annonçant cette mise en place, la ministre a défendu l’idée de promouvoir un « savoir-être », un « savoir vivre ensemble ». Comment pourrions-nous être contre une telle idée ? Ou être contre l’idée de « respect mutuel » ?

Pourtant, n’est-il pas étrange que la réserve citoyenne également annoncée ne semble devoir être faite que de professionnels qui viendront apporter leur expertise sur le système politique, social et judiciaire existant, c’est-à-dire sur le respect des lois et moyens existants, sans qu’il soit apparemment envisagé d’en débattre ? Si des membres de l’OVEO ou d’autres personnes qui défendent le droit des enfants à une protection meilleure que celle qui existe déjà selon nos lois proposaient de faire partie de cette « réserve citoyenne », s’ils voulaient dire dans les écoles que, non, le but de l’instruction n’est pas l’apprentissage de l’obéissance et de l’esprit de compétition, leur candidature serait-elle retenue, quels que soient leur compétence ou les preuves qu’ils apporteraient à l’appui de leurs arguments ? Le défi est lancé.

Nous entendons souvent dire qu’une loi d’interdiction de tout châtiment corporel et punition dite « humiliante » risquerait de « culpabiliser les parents » (en oubliant d’ailleurs au passage que les parents, dans ce cas, ne sont pas les seuls qui pourraient ou devraient se sentir « coupables » des moyens employés). Mais que fait-on d’autre en laissant à l’appréciation des parents la notion de ce qu’est le respect des enfants, de leurs besoins physiologiques, psychologiques et existentiels ? Ne se sentent-ils pas bien plus culpabilisés et abandonnés (du moins lorsqu’ils n’usent pas de façon « décomplexée » de tous les moyens hérités de l’éducation traditionnelle) quand l’autorité publique leur propose de choisir « librement » entre toutes les méthodes éducatives et conseils pédagogiques mis en concurrence sur le marché 5 ?

Et est-ce vouloir entrer dans une société normalisée à outrance, voire « fliquée », que de ne pas nous contenter qu’on nous propose, en lieu et place d’un vrai respect des enfants comme êtres humains de même nature que nous, de consommer (ou pas) ces conseils et méthodes ? Les versions plus ou moins « soft » du système récompense-punition à quoi se résume l’essentiel des conseils donnés aujourd’hui aux parents sont-elles vraiment le moyen d’aller vers une société plus juste et plus libre ? Nous ne le croyons pas.



  1. De plus, « la fessée » est un châtiment couramment réservé aux jeunes enfants, dans le cadre d’une sorte de dressage comportementaliste dont ils sont censés avoir « besoin » – avant que l’on passe à des modes de punition plus raffinés, ou à la gifle qui punit surtout « l’insolence ». La fessée est donc facilement oubliée, acceptée même de ceux qui l’ont reçue, passant par une période de « latence » qui permet de la tourner en dérision, voire de revendiquer haut et fort, plus tard, le droit à la fessée « entre adultes consentants »…[]
  2. Comme vient de nous le rappeler, au moment où nous publions cet article, une nouvelle affaire d’enfant martyr dénoncée par Enfance et Partage… parmi les centaines d’enfants qui meurent chaque année sous les coups de leurs propres parents. Quand la ministre Laurence Rossignol nous répond qu’il est plus urgent d’améliorer le fonctionnement de l’Aide sociale à l’Enfance, on ne peut regretter ici que le « plus » et non le mot « urgent »… []
  3. A noter qu’il ne s’agissait que de l’inscrire au code civil, donc d’une « interdiction » sans mesures répressives comme c’est le cas légitimement pour d’autres abus que l’on qualifie – même en France – de « maltraitance », et qui sont déjà couverts pour la plupart par les lois existantes.[]
  4. Voir ce passage de l’introduction au livre d’Alfie Kohn Aimer nos enfants inconditionnellement : « Mais s’il est tellement important pour nous que nos enfants ne soient pas “victimes des idées des autres”, nous devons leur apprendre “à penser par eux-mêmes avec toutes les idées, y compris celles des adultes”. Ou, pour le formuler autrement : si la chose la plus importante à la maison est l’obéissance, nous produirons des enfants qui suivront des personnes d’autorité, même hors de la maison. »[]
  5. Parmi lesquels le nouveau magazine La Cause des mômes (soutenu par l’Unicef !), qui, après un éditorial défendant l'intégrité physique et morale des enfants, puis une introduction (à une enquête sur les “enfants rois”) où sont dénoncées les violences ordinaires pratiquées sur les enfants, donne longuement la parole au psychiatre Michael Winterhoff. Et là, l’article ressasse de vieux préceptes psychanalytiques qui font clairement du tort, voire annulent complètement les droits fondamentaux dont chaque enfant devrait pouvoir bénéficier... Suit une interview non moins accablante de la psychologue et psychanalyste Diane Drory. Bref, on est fort tenté de renommer ce magazine… A cause des mômes !
    Voir aussi, dans le même genre, les bons conseils que prodiguera désormais aux sages éditions Milan le Dr Marcel Rufo… connu pour les propos lénifiants tenus en 2012 sur l’inceste – qui, en vertu bien sûr du complexe d’Œdipe, ne serait pas du tout aussi grave qu’on veut bien le dire (« L’immense majorité des enfants “abusés” vont bien »), et serait même généralement la réponse à une demande de l’enfant ! Ses chroniques (« sans aucun tabou », c’est le cas de le dire) Allô Rufo sur France 5 sont tout aussi édifiantes.[]

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