Une enfance devrait être joyeuse
Oui. Violence physique même si pas fréquemment : claques sur la tête ou au visage, et à quelques occasions, avant 6 ans « fessées déculottées devant tout le monde » (dans les années 70 l’expression était souvent utilisée, sans honte, pour menacer les enfants pas « sages »). De plus, plusieurs fois dans ma vie, j’ai aussi reçu de grandes « bastonnades » par ma mère (les coups pleuvaient et j’étais à terre) souvent pour lui avoir « mal » répondu. A l’âge de 14 ans, elle a eu une énorme crise de rage et j’ai cru qu’elle allait me tuer (elle a tenté d’enfoncer la porte de ma chambre – où je m’étais refugiée – à coups de hache, empêchée à temps par mon beau-père).
Violence verbale quasi quotidienne: ma mère avait l’habitude de mal nous parler (à mes frères, ma sœur et moi), de s’exprimer avec agressivité lorsqu’elle était mécontente. Elle demandait rarement les choses gentiment. Souvent irritée, fatiguée, elle n’avait jamais l’air heureux et par défaut s’exprimait avec tension, exaspération, colère dans la voix, sans même plus s’en rendre compte. Si on lui « tenait tête », qu’on argumentait, c’était d’emblée des cris et des regards plein de colère. Il ne fallait surtout pas la contredire. Cette ambiance quotidienne causée par les gros problèmes psychologiques de ma mère (ce que je comprends aujourd’hui) influait négativement sur mon état d’esprit. Je n’étais pas heureuse chez moi.
De plus, une autre sorte de violence (involontaire aussi) c’était son manque d’intérêt et son incapacité à nous ouvrir sur le monde. Très rarement elle m’emmenait faire une balade, ou me parlait seule à seule, etc... Je comprends aujourd’hui que ma mère était une femme basique : elle travaillait (beaucoup, y compris certains week-ends), faisait les repas et le linge (avec notre aide) et son rôle de mère pour elle s’arrêtait là. Pas l’envie, ni l’énergie, ni la capacité intellectuelle de faire beaucoup plus que se mettre devant la télé le soir et les week-ends. Ce manque d’intérêt explique pourquoi, aujourd’hui, j’ai du mal à ne pas souffrir quand je me sens négligée par des amis ou certains membres de ma famille. J’attends d’eux ce que je n’ai pas reçu. Mais je travaille cela (psychothérapie).
- A partir de et jusqu'à quel âge ?
Pour la violence physique, je pense que ça a commencé quand je devais avoir 3-4 ans et ça s’est terminé vers mes 14 ans. Mais j’ai dû recevoir quelques tapes sur les mains et les fesses avant 3 ans, c’est sûr (punitions banales à l’époque).
Concernant la violence verbale dont je parle plus haut, j’ai toujours connu ma mère agissant comme cela. Aujourd’hui, je ne subis plus cette violence tout simplement car je limite mes contacts avec elle (on se parle au téléphone et nous nous voyons 1 fois par an) et elle est obligée de faire des efforts pour parler sans trop d’agressivité (elle sait que sinon il n’y aurait plus de contacts).
- Par qui ? (père, mère, grands-parents, autre personne de la famille ou de l'entourage, enseignant...)
Ma mère pour la violence physique et verbale. Occasionnellement, grande violence verbale de mon beau-père et surtout absence d’attention de sa part dans le quotidien. Occasionnellement, violence physique de ma grand-mère maternelle, ma tante et mon oncle. Tout au long de mon enfance, violence verbale systématique de ma grand-mère quand je séjournais chez elle pendant les vacances : J’ai dû notamment endurer le dénigrement de ma mère et de mon beau-père à chaque visite (des critiques et insultes à leur encontre).
- Cette ou ces personnes avaient-elles elles-mêmes subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?
Ma mère m’a parlé de son enfance malheureuse, avec une mère méchante qui ne lui laissait aucune liberté de mouvement, la battait, la critiquait (ce qui est intéressant, car elle semble ne s’être jamais rendu compte qu’elle aussi se comportait de manière violente). Elle a même fugué de chez elle à 5 ans et a eu une période d’anorexie vers 8-10 ans.
Mon beau-père a vécu une enfance malheureuse avec un père alcoolique.
Je ne sais pas grand-chose de l’enfance de mon père.
- Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d'alors (colère, tristesse, résignation, indifférence, sentiment d'injustice ou au contraire de l'avoir "bien mérité"...) ?
Quand ma mère me frappait, si je me souviens bien, j’avais tous ces sentiments négatifs à la fois : la souffrance physique, la souffrance d’être si haïe, le sentiment de n’être que la chose de quelqu’un. Le sentiment aussi d’avoir le sentiment d’amour rompu (je la haïssais dans ces moments). Et, avec le temps, j’ai senti le lien qui m’unissait à elle s’effriter peu à peu. Très vite, je l’ai considérée comme une vraie harpie, une mauvaise personne. Même si au fond, en même temps, j’y étais attachée.
- Avez-vous subi cette (ces) épreuve(s) dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?
Aucun soutien. Affaire familiale donc privée et, de toute manière, traiter les enfants de la sorte n’était pas choquant dans les années 70-80.
- Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?
Ce sentiment constant de vivre avec quelqu’un d’hostile et mal dans sa peau. Un grand manque de complicité, une ambiance négative et une absence de joie de vivre à la maison.
De plus, enfant, je me sentais seule sans savoir vraiment pourquoi. Je sais aujourd’hui que c’est parce que je ne me sentais pas assez comprise ni soutenue par des parents respectueux, attentifs, chaleureux. Il me manquait quelque chose de fondamental, un socle, mais je ne savais quoi. C’est très difficile, voire impossible, pour un enfant de réfléchir sur sa vie et de comprendre l’origine de sa peine. Notre quotidien est tout ce qu’on connait, on ne peut pas prendre du recul. Donc, on porte son fardeau et ce sentiment de vide tout seul.
Aujourd’hui, j’ai compris ceci : lorsque, enfant, on n’est pas aimé de manière inconditionnelle par nos parents, les personnes qu’on aime le plus au monde, qui sont censées nous accueillir sur terre avec amour et respect et nous montrer le chemin vers la joie de vivre, on ressent forcément un grand vide et un immense chagrin d’amour que l’on traine toute sa vie et dont on peut difficilement guérir (même si je suis optimiste, c’est possible). La belle rencontre n’a pas lieu.
- Quelles en sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ?
Quelques handicaps sociaux : un manque de confiance dans ma capacité à être appréciée par les autres et un sentiment de souffrance avec les relations que je sens froides, irrespectueuses ou négligentes. Je suis aussi une éternelle frustrée de ne pas rencontrer plus de personnes chaleureuses.
Une conséquence positive tout de même c’est que je valorise énormément la gentillesse (et la bienveillance). Pour moi, c’est incontestablement la qualité humaine le plus positive et productive, et le meilleur indicateur de la bonne santé psychologique de quelqu’un et aussi de sa force intérieure.
- En particulier vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d'enfants (les vôtres, ou professionnellement) - merci de préciser le contexte ?
J’ai un garçon de 2 ans et demi pour qui j’ai un amour fou que je ne croyais pas possible avant de devenir mère (j’ai eu cet enfant tard dans la vie). Pour l’instant, je me comporte à l’opposé de ma mère. Je suis très consciente que l’enfant doit être profondément aimé et respecté de ses parents pour s’épanouir et je travaille sur moi au quotidien pour ne pas reproduire ce que j’ai vécu. J’utilise le verbe « travailler », car il est vrai qu’ayant hérité des défauts de ma mère (peu de patience, tendance à s’emporter, facilement stressée dans le quotidien, etc.) je suis très souvent dans le contrôle de moi-même pour ne pas montrer d’agacement à mon fils, ne pas crier s’il fait une « bêtise ». J’y arrive environ 95 % du temps, mais grâce en partie à mon compagnon qui s’occupe aussi de notre fils et sur qui donc j’ai la chance de pouvoir me reposer quand j’en ai besoin.
Je n’ai jamais frappé mon fils même si j’en ai bien eu envie une fois ou deux par exaspération devant ses agissements. Dans ces moments de frustration, j’arrive à me rappeler que le problème vient de moi, l’adulte, et pas du tout de lui, le petit être en construction, qui a un cerveau immature (j’ai lu sur ce sujet) et pas les mêmes repères que les adultes (propreté, bruit, etc.) et va forcément faire des choses qui m’agacent et bousculent mes habitudes et mon confort (mettre de la nourriture par terre, écrire sur les murs, des crises de colères, etc. – des actes temporaires et tout à fait normaux à certains âges). La barrière que je me suis mise est donc très forte et je sais maintenant que jamais je ne lèverai la main sur lui.
Si je hausse très fort le ton parfois sur mon compagnon, voire je crie (ce que je déplore et je travaille cela), j’arrive à interagir avec mon fils quasiment toujours sans m’énerver fortement. Je l’embrasse souvent, je lui dis que je l’aime, je lui montre de la joie. Rares sont les jours où je ne le fais pas rire aux éclats. De plus, je lui laisse une assez grande liberté : dans la mesure du possible je lui dis oui. Je ne crois pas à ce fameux « il faut enseigner des limites à l’enfant ». Je suis convaincue qu’un enfant à qui on fait confiance et qu’on respecte tôt dans la vie, vous respectera en retour dès qu’il aura la capacité intellectuelle de le faire.
Pour l’instant, mon enfant est très joyeux, sociable et gentil, même si à l’occasion, à la maison, il pique des grosses crises de pleurs comme tout enfant de 2 ans et demi qui se respecte (dans ce cas, pour éviter de s’énerver, mon compagnon et moi l’amenons gentiment dans sa chambre en lui disant qu’il a droit d’exprimer sa fatigue, colère, etc., mais dans cette pièce. Parfois il se calme au bout de 3 minutes et revient. Si ce n’est pas le cas, nous allons le chercher pour exécuter le plan B : essayer de lui faire penser à autre chose et généralement ça marche !). Je n’ai pas l’impression de perdre du pouvoir en lui laissant une certaine liberté d’expression et d’action. Au contraire, je fais un choix conscient de le respecter et faire des efforts pour lui, rien ne m’est imposé...
- Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?
Mon éducation a été déficiente : Je n’ai pas reçu assez de respect, de chaleur, d’attention de la part de ma mère, mon beau-père et mon père. Je reconnais quand même des qualités à ma mère (celle qui s’occupait principalement de nous). Elle a su aussi nous montrer parfois de l’affection (surtout pendant notre petite enfance) et a pris soin de nous matériellement (logement, nourriture, vêtements), je le reconnais. Mais elle a été aussi maltraitante et c’est incompatible avec l’amour.
- Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative est courante ?
Complètement, c’était un véritable fléau de société. Je pourrais citer plusieurs souvenirs d’enfance qui m’horrifient : par exemple, une amie d’enfance (parents classe moyenne) qui était si souvent giflée par sa mère qu’à chaque fois que cette dernière s’approchait d’elle, elle ne pouvait s’empêcher de cligner des yeux de peur (je remarquais cela quand nous étions chez elle). Vers l’âge de 11 ans, lors d’une soirée entre adultes, une maman qui emmène son garçonnet turbulent dans la cuisine (où moi et d’autres enfants nous trouvions à ce moment-là pour jouer) loin des regards, pour le rouer de coups sous nos yeux. Toujours années 80, dans mon quartier de Lorient, une femme qui poursuit son garçon dans la rue martinet en main en lui hurlant dessus. Le petit, paniqué, pleure en implorant sa mère de ne pas lui faire de mal, la dernière image que j’ai de lui est celle d’un enfant s’enfuyant au coin de la rue avec la furie à ses trousses. Je pense parfois à ce garçon aujourd’hui devenu une grande personne, certainement en souffrance.
Comment peut-on en arriver à avoir ces comportements-là avec ses propres enfants ? Que font les enfants de si terrible pour se voir frapper ? (Un acte grave tout de même.) Certains diront que ces exemples ne sont pas de la violence éducative ordinaire, mais de la maltraitance. Mais c’est oublier qu’à l’époque, ces corrections d’enfants n’étaient pourtant pas considérées comme de la maltraitance, simplement un droit de corriger un enfant qui le mérite – où était ce passant compatissant essayant de raisonner la mère au martinet ? Personne n’aurait eu l’audace de s’interposer : à l’époque on achetait des martinets pour enfants au supermarché ! C’est dire que la correction physique était tout à fait admise et… ordinaire (tout à fait, je trouve, comme les esclavagistes avaient, il y a longtemps, le droit de corriger leurs esclaves…).
Aujourd’hui il m’arrive de voir dans des lieux publics des enfants se comportant seulement comme des enfants normaux (toucher aux objets, courir dans le supermarché, etc. : insupportable pour certains adultes !) en retour se faire frapper par leurs parents. Comment cela est-il admissible dans une société dont les valeurs fondamentales sont soi-disant la liberté et l’égalité (on ne peut pas mettre une claque à une personne adulte mais c’est OK à une personne enfant (=inégalité) qui n’a pas la liberté de pouvoir se défendre). La société, les lois, laissent faire tout ça. Ça prouve qu’il y a encore du travail à faire pour faire évoluer les mentalités dans le bon sens...
- Si vous avez voyagé et pu observer des pratiques coutumières de violence à l'égard des enfants, pouvez-vous les décrire assez précisément : quel(s) type(s) de violence ? par qui ? à qui (sexe, âge, lien de parenté) ? en quelle circonstance ? pour quelles raisons ? en privé ? en public ?
J’ai voyagé à l’étranger, mais je n’ai jamais eu l’occasion de voir des enfants subir de la violence.
- Qu'est-ce qu'évoque pour vous l'expression "violence éducative ordinaire" ? Quels types de violence en font partie ? Et quelle différence faites-vous, le cas échéant, entre maltraitance et "violence éducative ordinaire" ?
La violence éducative ordinaire pour moi c’est TOUT manque de respect d’un adulte à l’égard d’un enfant, souvent dans le but de contrôler les actes de ce dernier. Et ce droit de manquer de respect (par exemple, crier sur lui pour qu’il « obéisse ») est perçu comme légitime, surtout par le parent : la filiation confère à ce dernier une sorte de droit de propriété sur son enfant ; il en a la charge, donc il lui « appartient ». Légalement, un parent n’a pas le droit d’être « trop » maltraitant, mais une fois la porte du foyer close, il reste pourtant totalement libre d’éduquer son enfant comme il le souhaite, et tant pis pour les enfants qui se trouvent en captivité avec des parents à problèmes et inaptes à satisfaire leurs besoins fondamentaux, ou qui ont choisi une manière de vivre incompatible avec les besoins des enfants (par exemple, ma mère et mon beau-père ont déménagé en moyenne tous les 3 ans de ma naissance à ma majorité, est-ce normal de faire subir cette instabilité à un enfant qui ne peut donc pas construire de relations extérieures durables ?).
Ce que je trouve aberrant, c’est que, malgré l’énorme pouvoir des parents de construire ou détruire la vie d’un autre être humain, Il n’y a pas d’accompagnement à la parentalité ou de cours de psychologie infantile de base, obligatoire pour tous les parents et tuteurs. Et pourtant un nombre important de gens ont des problèmes psychologiques et même certains de très graves (dépression, addiction, etc.)
C’est la preuve que la société reconnait que les parents sont les seuls « maitres » à bord concernant les soins et l’éducation de leurs enfants. On peut même dire qu’ils ont un droit de vie ou de mort sur eux ! (Combien de vies humaines ont été détruites par des parents dysfonctionnels et incompétents ?)
- Avez-vous des objections aux idées développées par l'OVEO ? Lesquelles ?
Pas du tout, j’adhère à 100 %. Je pense qu’il faudrait une réflexion nationale sur la parentalité qui est encore une zone de non-droit où l’Etat intervient encore trop peu alors que c’est un véritable enjeu de société.
Je suis convaincue, comme un nombre croissant de gens, que « travailler » sur l’enfant, c’est actionner le levier le plus puissant qui soit pour changer une société en profondeur et résoudre la majorité des problèmes du monde, notamment la criminalité, la violence, le mal-être.
- Comment nous avez-vous connus : site ? livre d'Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autres ?
Via la recherche « violence éducative ordinaire » sur le web.
- Ce site/livre/salon/conférence a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l’égard des enfants ?
Je suis déjà convaincue via ma propre expérience, mes lectures et mes réflexions sur le sujet.
Christine, 43 ans, cadre.
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