Quand on a rencontré la violence pendant l'enfance, c'est comme une langue maternelle qu'on nous a apprise.

Marie-France Hirigoyen.

Une chance historique pour faire reculer la violence dans la société française

Par Dorota Gille, membre de l’OVEO

L’article 222 de la loi Égalité et Citoyenneté adopté par le Parlement le 22 décembre dernier vise à compléter la définition de l’autorité parentale en excluant « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles ». Cette disposition, qui nous semble être l’une des mesures phares de la loi Égalité et Citoyenneté, a été soumise par un groupe de sénateurs à l’examen du Conseil constitutionnel.

La ratification de cette loi représente une avancée sociétale majeure.

Du point de vue légal, elle abolit le droit de correction qui subsiste encore en France au profit des adultes et qui permet à ces derniers d’exercer des violences (physiques et psychologiques) à l’encontre d’un enfant dans un but éducatif. Le droit de correction pour les employés, les militaires, les prisonniers et, beaucoup plus récemment, les femmes, ainsi que certaines formes de violence envers les animaux ont été abolis au cours du siècle dernier. Le harcèlement moral a été interdit. Les enfants demeurent aujourd’hui en France la seule catégorie de personnes qu’il est encore permis de frapper et d’humilier sous couvert du droit de correction.

La persistance de ce droit archaïque a pourtant des conséquences non négligeables pour les relations sociales. Le message éducatif qu’il véhicule est que :

  • l’enfant est la propriété de ses parents,
  • il existe une catégorie de personnes inférieures pouvant être humiliées et frappées,
  • il existe une violence normale, légitime et justifiée y compris par la loi,
  • on peut faire du mal à autrui du moment qu’on déclare agir pour son bien,
  • le plus fort peut frapper et humilier celui qui est sans défense.

Pour la plupart des grandes organisations internationales (ONU, OMS, Conseil de l’Europe), la violence éducative, qui regroupe l’ensemble des pratiques coercitives ou punitives utilisées pour éduquer les enfants, constitue les racines de la violence dans la société, ce que confirment de multiples recherches scientifiques. Introduire la violence, même légère (pour un enfant, dont les perceptions diffèrent radicalement de celles d’un adulte, il n’y a d’ailleurs pas de violence « légère »), même exercée dans un but éducatif, dans les échanges avec l’enfant, c'est lui apprendre :

  • à trouver normale et à reproduire la violence avec ses proches et avec les autres en général,
  • à se soumettre à des personnalités violentes et autoritaires et à adhérer à des slogans et à des idéologies, via une éducation à l’obéissance (il ne s’agit pas, bien entendu, de faire l’apologie du « laxisme », qui est une autre forme de violence par l’abandon affectif qu’il suppose),
  • à se faire violence à lui-même (toxicomanie, alcoolisme, suicides...) par la perte de l’estime de soi et de la confiance en soi.

C’est pour ces raisons que 51 pays dans le monde, et 21 des 28 États membres de l’Union européenne, ont déjà voté l’interdiction de la violence éducative, certains depuis près de 40 ans. On constate dans ces pays une baisse importante de la violence et des « comportements antisociaux » et une amélioration sensible du bien-être des citoyens.

L’avènement d’une société apaisée, plus juste et plus fraternelle, où chacun se sente reconnu et respecté pour ce qu’il est, présuppose de s’affranchir de la croyance erronée dans les vertus pédagogiques de la violence éducative. Le droit au respect et à la reconnaissance inconditionnels de toute personne humaine ne restera qu’un idéal abstrait tant que l’on refusera aux jeunes citoyens de faire d’abord l’expérience de ce droit, durant la période où leur cerveau se forme et où se forgent leurs représentations des relations sociales.

L’article 222 de la loi Égalité et Citoyenneté amorce une avancée anthropologique majeure. En posant le principe du refus de toute justification de la violence et en rejetant explicitement l’idée d’une violence légitime, il met un terme à la transmission, de génération en génération, de représentations des relations sociales fondées sur les rapports de pouvoir et sur la soumission docile à l’autorité. Il adresse aux nouvelles générations un message décisif en proclamant que la violence n’est pas une modalité acceptable des relations humaines.

L’article 222 consacre l’égale dignité des personnes les plus vulnérables de notre société en rappelant que toute personne a le même droit au respect de son intégrité physique et psychologique et le droit à un respect inconditionnel, indépendamment de sa faiblesse, de sa lenteur, de sa candeur ou de son inaptitude originelle à la vie en société. Il affirme l’inviolabilité de la personne humaine, quels que soient son âge, son degré de dépendance et son inadaptation aux normes. Oublier que l’enfant est d’abord une personne ouvre la voie à toutes les dérives et blesse profondément l’humanité tout entière.

En saluant l’avancée sociale majeure qu’elle représente, la société civile peut créer un environnement favorable à cette loi, qui opère un changement fondamental dans le rapport de la société française à l’enfant et pourrait permettre l’avènement d’une société plus juste, plus pacifique et plus humaine.


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