Il ne peut y avoir plus vive révélation de l'âme d'une société que la manière dont elle traite ses enfants.

Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté.

Un forcené de la pensée positive

Ceci est mon histoire, non pas parce que c’est ce que j’ai objectivement vécu – personne ne peut être objectif sur son passé – mais parce que c’est ce dont je me souviens, ce qui m’a le plus marqué, et parce que ce sont les choses telles que je les ressens maintenant.

Autant te le dire tout de suite, je ne compte pas changer d’une manière ou d’une autre mes opinions et mon ressenti. Ca ne servira donc à rien d’essayer de me faire voir les choses différemment. De toute façon, j’en ai déjà parlé énormément avec toutes sortes de personnes plus ou moins compétentes (petites amies, meilleurs amis, psychiatre, sexologue, parents d’amis, hypnothérapeute, magnétiseur…) et je suis parfaitement heureux et satisfait en ressentant les choses ainsi aujourd’hui.

Mes parents m’ont battu, de manière plus ou moins régulière (à raison d’une ou deux fois par mois minimum) de mes 7 ans à mes 15 ans.

Je me souviens précisément de ma première rouste qui date d’avant notre vie dans la maison d’O. (quand on vivait dans un appartement en banlieue et que je partageais une chambre avec mon frère G., donc je ne devais pas être plus âgé que 7 ans).

Pendant ces 8 années de ma vie, années cruciales qui déterminent considérablement la conscience future d’un être humain, sa capacité à se définir par rapport aux autres et la confiance qu’il aura en lui, j’ai donc été battu à raison d’une, deux, parfois trois ou quatre fois par mois.

Dans le désordre, je me souviens de quelques scènes marquantes : une fessée gigantesque qui a duré une demi-heure, pendant laquelle j’ai hurlé et pleuré à m’en casser les cordes vocales. J’ai eu les fesses bleues pendant plusieurs jours qui ont suivi. Une scène aussi marquante dans la cuisine où mon père me donnait un coup de poing dans le ventre, et quand je me protégeai le ventre, il me giflait au visage. Alors je plaçait mes mains sur mon visage, et il me redonnait un coup dans le ventre. Cela a duré pendant une quinzaine de minutes ainsi jusqu’à ce que je m’écroule sur le sol, essoufflé. Une autre scène merveilleuse où ma mère avait promis de m’emmener dans un parc d’attraction. Mais quand elle a appris que j’avais laissé dans mon casier d’école (pendant les petites vacances de CM1) une de mes paires de chaussures, elle a annulé la sortie, folle de rage, m’a fessé avec une ceinture en prétextant qu’elle avait mal aux mains à force de me battre (amusant, non ?) et que désormais elle utiliserait une ceinture ou une cravache d’équitation. Puis elle m’a mis au pain et à l’eau jusqu’à la fin de la journée et m’a mis au travail jusque très tard. Je me suis levé un matin en joie, dans l’expectative d’un parc d’attraction, et je me suis couché le soir en pleurs, frustré et physiquement épuisé.

Les coups n’étaient pas les seules brimades dont j’ai souffert. Il y avait la violence verbale, permanente, la menace systématique, et surtout cette incroyable faculté qu’ils ont eue à me rabaisser systématiquement dans tout ce que je faisais. Je ne crois pas avoir reçu, pendant toute cette période, une seule remarque positive, un seul compliment. J’ai toujours été systématiquement rabaissé, et mes parents m’expliquaient en long et en large pourquoi j’étais un être inutile. Ma mère m’a même dit une fois que je n’aurai pas dû naître, qu’elle n’avait prévu que 3 enfants, pas 4, et que j’étais un peu de trop dans cette famille déjà nombreuse.

Ils m’ont battu parce que j’avais de mauvaises notes. Ils m’ont battu encore plus fort quand j’ai caché mes mauvaises notes parce que j’avais peur d’être battu. Ils m’ont battu pour mille et une raisons, servant souvent d’excuses pour satisfaire leur stupide envie de justice ou de défouloir.

Pendant toutes ces années, j’essayais pourtant de leur plaire, de leur faire plaisir pour obtenir, mériter leur amour et leur approbation. Comme tous les enfants, j’aimais ma maman, et aussi mon papa, et je souhaitais de tout mon cœur leur faire plaisir et les rendre heureux. Il m’a fallu plusieurs années pour me rendre compte non seulement que je ne leur devais rien, que je n’avais pas besoin qu’ils approuvent mes actions, mais qu’en plus il est impossible de rendre heureux des personnes intrinsèquement malheureuses.

Quand j’ai commencé à grandir, à me poser des questions, quand je suis devenu adolescent, j’ai commencé une lente, très lente dépression. Je ne connaissais pas la cause de mes malheurs à cette époque-là. J’écoutais du black metal à m’en exploser les tympans, je ne parlais à personne, je ne pensais qu’au suicide tout le temps (j’ai même fait quelques tentatives, heureusement avortées, mais il m’arrive d’y repenser comme solution à mes problèmes de temps à autres, même récemment). J’avais à l’époque deux vrais amis, qui sont toujours là aujourd’hui, et qui m’ont soutenu comme personne. Ces deux vrais amis étaient mes seuls contacts avec le monde extérieur.

D’autre part, j’ai lâché ma frustration et ma haine sur un chat de compagnie que j’ai tellement maltraité qu’aujourd’hui encore il siffle et hurle et agresse physiquement toutes les personnes qu’il ne connaît pas.

J’ai développé plusieurs faiblesses psychologiques que je vais énumérer ci-dessous :

1) Le mauvais côté des choses tout le temps : il m’est quasiment impossible d’apprécier pleinement quelque chose si au moins l’un des détails semble ne pas fonctionner. Par exemple, si je passe une bonne soirée avec des filles et des amis, mais que je casse malencontreusement un verre, la première chose qui me viendra en tête en me remémorant cette soirée est le verre cassé. Et il me sera très difficile de me dire « j’ai quand même passé une bonne soirée » parce que je ressentirai que la soirée a été complètement gâchée. D’une manière générale, mes idées négatives sont toujours plus nombreuses et plus fortes que mes idées positives, et elles finissent toujours par prendre le dessus. Par exemple, je me réveille chaque matin en pensant à un élément négatif de ma vie.

2) Aucune confiance en moi : ma quête désespérée de l’enfance consistant à rechercher l’approbation de mes parents m’a transformé en adulte recherchant constamment l’approbation des autres. Cela a terriblement endommagé mes relations sentimentales – les filles n’aimant pas du tout les mecs qui n’ont pas confiance en eux – et sociales. La confiance en soi est l’un des problèmes majeurs du garçon devenant un homme. Pour moi, ce fut une gageure extraordinairement compliquée.

3) Aucune force morale : j’ai été la tête de turc de mon collège pendant 3 ans. Mes notes ont plongé, je n’avais aucun ami en cours, personne à qui parler, et lorsque je rentrais chez moi, je me faisais battre. Je n’ai jamais, jamais eu la force et le courage de me défendre lorsque mes camarades de classe m’insultaient, ce qui m’a terriblement affaibli par la suite, et m’a rendu nerveux et mal à l’aise avec les gens.

4) Problèmes sentimentaux et sexuels : on touche là certainement au domaine le plus sensible de la vie d’adulte. Il est temps pour moi d’en parler librement. J’ai passé toute mon adolescence à rejeter littéralement le sexe. J’ai eu ma première petite amie à 20 ans. Et j’ai découvert avec elle, et avec toutes celles qui ont suivies, que je n’arrive pas à avoir une érection correcte en présence d’une fille, tellement sa présence m’impressionne et me terrorise. J’ai consulté un sexologue, qui m’a conduit chez un psychiatre, qui ne m’a pas vraiment aidé. Je n’ai résolu le problème que [des années] plus tard grâce à une petite amie plus patiente et plus douce que les autres.

5) Et bien sûr, des envies de suicide qui reviennent de temps en temps , comme solution à mes problèmes.

Ces problèmes ont tendance à disparaître maintenant, parce que j'ai fait l'effort d'en prendre conscience jour après jour, et parce que j'ai fait certains programmes de développement personnel pour m'en sortir. Je suis devenu, consciemment et par nécessité, un forcené de la pensée positive. Je me FORCE littéralement à voir les choses du bon côté, à travailler ma paix intérieure, à me battre pour être heureux en moi-même et parler en me concentrant systématiquement sur les côtés positifs et encourageants des choses. Par exemple, au lieu de dire "je ne sais pas comment faire", je dis à la place "je peux apprendre comment faire" ; c'est devenu littéralement systématique chez moi, à tel point qu'à chaque fois dans une de mes phrases, que je remarque une négation, je me pose la question "comment pourrais-je dire ça positivement ?"

Je me bats, jour après jour, pour me recentrer sur mon ambition et mes désirs positifs. Je me demande chaque matin "qu'est-ce qui me rend le plus heureux sur terre ?" ; j'oriente toutes mes discussions sur les côtés agréables, satisfaisants et sur-motivants. Je me force à sourire, à marcher droit, à regarder les gens dans les yeux et tirer de toutes mes expériences un côté constructif. Je me force à avoir de la conversation intéressante et divertissante. Je me force à motiver les gens qui m'entourent. Cela prend du temps, et je pense réussir progressivement.

Mais alors que je sors à peine la tête du trou où j'ai été noyé pendant toutes ces années, chaque fois que je passe du temps avec mes parents, ces défauts reviennent inlassablement.

Ceci est aussi dû au fait que mes parents agissent comme de véritables vampires psychologiques : ils me bouffent littéralement mon énergie. Quand je rentre de la fac, ma mère, qui n'a probablement pas une vie très intéressante, se jette sur moi comme un vautour pour me poser mille et une questions sur ma journée ("alors? qu'est-ce que t'a fait ? qu'est-ce que tu racontes?" etc) ; en réponse à ces mini-agressions, je me ferme sur moi-même et refuse de répondre. Ceci a le don de l'énerver encore plus, et elle trouve le moyen de me jeter mille et une petites remarques négatives déstabilisatrices ("tu parles jamais, t'es renfermé sur toi-même, tu es vraiment une mauvaise personne" oui elle a vraiment dit ça) qui ont le don de me mettre encore plus mal à l'aise. Du coup, je monte dans ma chambre et essaie de me recentrer sur des choses positives.

Quand je dîne avec mes parents, ce qui arrive deux fois par semaine en moyenne (j'essaie de me forcer pour ne pas détruire complètement ma vie de famille et laisser une ambiance délétère dans la maison), je reçois des remarques du genre: "ah bon, tu dînes ici ? avec nous ? oh, tu sais, on n'est pas habitués, tu ne dînes JAMAIS avec nous !" puis le dîner se passe soit dans un silence de mort, soit dans une fausse discussion forcée et en aucun cas agréable. Du coup je quitte la table familiale le plus rapidement possible en prenant soin de ranger mon assiette et celles de mes parents pour ne pas recevoir d'autres réprimandes du genre "tu ne ranges jamais, tu ne nettoies jamais, tu te crois à l'hôtel ?"

D'une manière générale, mes parents ont une prodigieuse faculté à tirer toujours tout vers le bas. Peu importe ce qui nous arrive, le bonheur ou le malheur d'une personne sont déterminés par sa faculté à y répondre positivement ou négativement. Mes parents sont les personnes les plus négatives que j'ai jamais connues de toute ma vie. Par exemple, lorsque je leur montre mes relevés de notes, que j'ai une moyenne générale de 13,5 dans tous les départements d'études, leurs yeux vont automatiquement se porter sur les plus mauvaises notes et les premières remarques qu'ils vont faire se porteront sur ces notes-là.

Je ne souhaite pas me comparer à mes frères et sœurs. Ils ont eu leurs vies et leur expériences, j’ai eu les miennes. Mais il est clair pour moi, et ce depuis l’âge de mes 15 ans, que je n’ai qu’un seul désir. M’éloigner le plus loin possible de mes parents et ne jamais les fréquenter à nouveau. Le fait que je devienne un adulte est aujourd’hui une occasion pour moi de me rapprocher de ce but que j'attends avec une impatience non feinte. Je sais que je pourrai ainsi réellement évoluer vers le vrai bonheur, la tranquillité d'esprit que j'espère et pour laquelle je travaille jour après jour.

Anonyme.


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