C'est à l'échelle mondiale qu'il faut désormais inventer de nouveaux concepts mobilisateurs, pour parvenir à cet idéal : l'égalité en dignité et en droit de tous les êtres humains.

Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue, féministe, femme politique, scientifique (1933 – 2017)

Triple peine pour une gauchère : fessée, mise à l’écart, humiliée

En juin 2001 , j'effectuais une formation en thérapie (EMDR) . Pour le premier exercice nous étions regroupés par trois : un thérapeute,un client et un observateur .Il était prévu que nous occuperions chacun à notre tour les trois rôles . Le formateur nous demanda de choisir" une situation d'humiliation que nous avions vécue à l'âge du jardin d'enfants " .Silence dans la salle .Et sans doute stupeur . Nous étions là pour travailler sur des choses sérieuses: les traumatismes . Alors le jardin d'enfants ! Le formateur insista "N'ayez pas l'air étonnés,nous en avons tous vécu (des humiliations datant du jardin d'enfant) sinon nous ne ferions pas partie de l'expèrience humaine" En ce qui me concerne la situation s'était immédiatement imposée à mon esprit :j'avais entre quatre et cinq ans,j'étais(je suis toujours) gauchère, ce que ma mère vivait comme une tare qu'elle essayait de réparer par des fessées dès que je me trompais de main .Bien évidemment je pleurais . Elle m'enfermait alors dans la véranda en me disant "pleure tu pisseras une marée de moins" !Et régulièrement je faisais pipi sur moi . La scène était toujours présente dans mon esprit et j'acceptais d'être le premier sujet de mon groupe . Sans aucune idée de ce qui allait suivre . Après quelques secondes de stimulations bilatérales je me rends compte qu'on me met quelque chose dans les mains,ce sont des kleenex : j'ai le visage couvert de larmes et dans le temps où j'ouvre les yeux je crie "grosse vache ! " Je rencontre le regard inquiet d'une personne que je ne connais pas et je m'excuse : pas vous,ma mère ! Et je me sens envahie de confusion : insulter ma mère ! J'arrête immédiatement l'exercice :je connais la suite que je n'ai pas envie de revivre .

Ce qui m'a le plus étonnée c' est l'émotion revécue . Non pas la colère (ma mère parlait de moi comme d'une enfant rebelle ,désobéissante etc) .J'aurais été une enfant difficile à élever . Jusqu'à cet instant je la croyais . En réalité je ne suis pas en colère : j'ai peur, une peur intense ,ma mère est un monstre énorme , je suis minuscule entre ses mains . Je sais que les fessées je les ai reçues très tôt , avant l'âge de trois ans . Ma mère disait :"ça ne fait pas de mal ça ne casse pas d'os" ! Ben voyons ! Sauf que j'ai vécu très tôt des crises d'asthme qui disparaissaient lorsque je n'étais plus en contact avec elle .

Mon second étonnement ,quand je reviens à moi pleine de confusion dans la salle de formation est que je ne suis pas la seule à revivre dans les larmes "un épisode d'humiliation du jardin d'enfants" Ca je ne l'aurais jamais cru avant de l'avoir vécu .Je découvrirai par la suite que nous sommes quelques un-e-s à être parti-e-s de fessées . Combien sommes nous ? Une quarantaine . Qui sommes nous? Tous thérapeutes . Des médecins, des psychologues ,quelques enseignants . La moyenne d'âge ? Entre quarante et cinquante ans .C'etait bizarre de voir toutes ces personnes tout à l'heure si sérieuses,si pleines d'expèrience et de savoir ,concentrées sur leurs souffrances d'enfant .Pour moi ça a eu des suites "fabuleuses" J'avais pourtant à l'époque soixante trois ans . Et j'avais eu la chance de vivre une longue thérapie analytique . Aldo Naouri n'aurait pas envie de tenter l'expèrience ? Il y perdrait sans doute de sa superbe mais ça pourrait ajouter à ses compétences professionnelles .Bien sûr je plaisante .

Merci à vous , pour l'enfant que j'ai été, pour tous les enfants qui souffrent de la violence éducative ,hélas,ordinaire .

Josette LESCHEVIN

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