Réponse à un journal suisse à propos de l’enfant-roi
Le journal suisse Le Régional a publié le 28 novembre 2007 l'article que nous reproduisons ci-dessous :
Le retour des enfants-rois
Ce serait un monde merveilleux. Un monde dans lequel les enfants obéiraient aux parents. Il n’y aurait qu’à leur expliquer les choses calmement et hop, en un coup de baguette magique, ils auraient compris le message. Malheureusement ce monde merveilleux n’a pas encore été découvert, mais ne nous décourageons pas, peut-être qu’à défaut de petits hommes verts, les astronautes finiront par mettre le pied sur ce monde enchanté !
En attendant, il faut se rendre à l’évidence, les enfants testent sans cesse la limite de leurs parents, comme un jeu, et ce ne sont pas quelques paroles qui les ramèneront à la raison, à moins d’être privilégié et d’avoir de petits bambins bien sous tout rapport. Sinon une petite fessée de temps à autre aide à remettre les idées en place, mais peut-être plus pour longtemps.
Une petite majorité de la commission des affaires juridiques du Conseil national a proposé une loi protégeant les enfants des châtiments corporels et des mauvais traitements. Si elle venait à être instaurée, finies les gifles et les fessées et bonjour les enfants-rois !
Le dernier bastion de l’ordre, j’entends par là la famille, serait-il en train de voler en éclat suite à une belle baffe législative ?
Entendons-nous bien, je parle ici d’une fessée ou d’une gifle occasionnelle, lorsque l’enfant a vraiment dépassé les limites, et non d’un geste habituel et disproportionné pour éduquer sa progéniture.
Aujourd’hui, de plus en plus d’acteurs sociaux se plaignent de l’incivilité des jeunes, de leur manque de repères et de limites.
Légiférer sur ce point reviendrait à déresponsabiliser les parents de leur devoir éducatif et donnerait un moyen de pression à nos chères petites têtes blondes.
Malgré ce constat, certains psychologues prônent la menace verbale d’une sanction si l’enfant est tenté de désobéir (24Heures du 15 octobre 2007). Mais psychologiquement, quoi de plus défendable, une fessée ou faire marcher l’enfant au chantage ?! Cessons de vouloir légiférer sur tout et redonnons notre confiance aux parents et à leur bon sens pour que les adultes de demain apprennent à leurs enfants que la liberté des uns s’arrête là où celle des autres commence.
Sandra Giampetruzzi
Olivier Maurel, président de l'Observatoire de la Violence Educative Ordinaire, lui a fait cette réponse :
Madame,
Je me permets de répondre aux principaux arguments de votre article de ce jour où vous défendez la pratique de la fessée et de la gifle.
Vous écrivez : “Une petite fessée de temps à autre aide à remettre les idées en place.”
C’est malheureusement tout le contraire que prouvent les expériences qui ont pu être faites sur l’effet des punitions corporelles. Les enfants soumis à la menace de punitions corporelles travaillent moins bien, moins vite et avec moins d’exactitude que lorsqu’ils n’y sont pas soumis. La menace de punitions corporelles met au contraire les idées en désordre.
A plus grande échelle, une vaste étude a montré que les États des États-Unis qui utilisent encore les punitions corporelles dans les écoles ont des résultats scolaires et universitaires beaucoup moins bons que ceux qui les ont abolis.
“Si (l’interdiction des punitions corporelles) venait à être instaurée, finies les gifles et les fessées et bonjour les enfants-rois !”
Une étude a été effectuée sur plus de 400 “Justes”, ces hommes et ces femmes qui ont pris les plus grands risques pour sauver des juifs menacés de mort. On leur a demandé comment ils avaient été élevés pour avoir atteint un tel degré d’altruisme. Dans leurs réponses, les quatre points qui sont revenus le plus fréquemment sont les suivants :
1. Ils ont eu des parents affectueux.
2. Leurs parents leur ont enseigné l’altruisme.
3. Leurs parents leur ont fait confiance.
4. Ils ont eu une éducation non autoritaire et non répressive.
Les nazis au contraire ont été élevés pour la plupart dans le système autoritaire, répressif et violent de l’éducation allemande de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle.
Quelle éducation donne les meilleurs résultats ? La confiance et la liberté, ou l’autorité et la répression ?
“Je parle ici d’une fessée ou d’une gifle occasionnelle, lorsque l’enfant a vraiment dépassé les limites, et non d’un geste habituel et disproportionné pour éduquer sa progéniture.”
Imaginez qu’un homme raisonne de la même façon pour justifier sa violence conjugale : “Mais je ne donne à ma femme que des gifles occasionnelles, quand elle dépasse vraiment les limites. Ce n’est pas un geste habituel et disproportionné”. Accepteriez-vous l’argument ?
D'autre part, quand une société admet le principe qu'on a le droit de frapper une enfant, il est utopique de croire que tous les parents vont s'en tenir à la fessée ou à la gifle "occasionnelle". Il est inévitable dans ce cas qu'un certain pourcentage de parents se laisse emporter dans une escalade de violence. La vérité, c'est que la violence éducative ordinaire considérée comme normale est le terreau de la maltraitance et qu'il est illusoire de croire qu'on pourra sérieusement réduire la maltraitance tant qu'on n'aura pas interdit complètement toute forme de punition corporelle et d'humiliation.
“De plus en plus d’acteurs sociaux se plaignent de l’incivilité des jeunes, de leur manque de repères et de limites.”
Pouvez-vous citer une seule étude qui montre que les jeunes auteurs d’”incivilités” et qui manquent “de repères et de limites” sont des jeunes qui n’ont pas subi de violences dans leur enfance ? En réalité toutes les études sérieuses montrent que les violences et incivilités commises par les jeunes sont le plus souvent la conséquence de violences subies dans l’enfance ou l’adolescence.
Je vous invite vivement à consulter le site de l’Observatoire de la Violence Éducative Ordinaire (www.oveo.org) ou celui de l’association Ni claques ni fessées. Vous y trouverez des arguments plus solides que ceux sur lesquels vous vous êtes un peu imprudemment appuyée.
Olivier Maurel
Lettre au Professeur Ph. Jeammet ›