C'est à l'échelle mondiale qu'il faut désormais inventer de nouveaux concepts mobilisateurs, pour parvenir à cet idéal : l'égalité en dignité et en droit de tous les êtres humains.

Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue, féministe, femme politique, scientifique (1933 – 2017)

Reconnaissance de la domination adulte, et donc des femmes sur les enfants, par une sociologue féministe

Christine Delphy. Photo lmsi.

Nous souhaitons ici vous signaler deux articles écrits par Christine Delphy, sociologue féministe, sur la domination adulte.

La reconnaissance de la domination des adultes, et donc des femmes, sur les enfants est une question douloureuse. Christine Delphy l’aborde dans la préface de son article “L’état d’exception : La dérogation au droit commun comme fondement de la sphère privée1. L’article, paru pour la première fois en 1995 dans Nouvelles Questions féministes, vol. 16, n° 4, est publié actuellement dans Penser le genre.

La première fois que j’ai dit lors d’une réunion féministe informelle ce qui me semblait aller de soi : que les enfants sont un groupe opprimé, l’une de mes amies a fondu en larmes en protestant qu’elle n’opprimait pas ses enfants2. Cela me rappelait l’attitude des premiers hommes confrontés au mouvement féministe, qui se mettaient presque à pleurer en disant qu’ils n’avaient jamais fait de mal à personne. En prétendant être attaqués personnellement, ils mettaient un terme à la discussion. Je n’avais pas cédé à ce chantage-ci, mais je cédai à ce chantage-là. Après tout, c’étaient mes camarades de lutte. Il m’a fallu dix ans, et la circonstance d’être à l’étranger, pour oser écrire ce texte.

Cet aveu est important, et si nous sommes attentifs·ives aux luttes féministes, nous savons que la question est toujours d’actualité. Claire, ancienne membre du collectif #NousToutes, a créé le « Collectif Enfantiste » parce que ses actions pour les enfants au sein du public féministe étaient invisibilisées.

Une interorganisation féministe refusera même un cortège "enfance" dans une marche contre les violences sexistes et sexuelles avec cet argument : « On ne va pas parler des enfants, ça va invisibiliser les femmes ! »

Revenons à Christine Delphy. Elle conclut son article par cette phrase :

En revanche, cette exception met les femmes, dominées de façon homogène dans la sphère du “public”, dans une situation hétérogène dans le domaine “privé” : dans la catégorie des dominés en tant qu’elles sont épouses, mais en revanche dans la catégorie des dominants en tant qu’elles sont parents (quoique pas sur le même pied que les pères (Combes et Devereux 1994)).

Cet article, au titre complexe (“L’état d’exception : La dérogation au droit commun comme fondement de la sphère privée″ – nous pouvons nous demander dans quelle mesure la difficulté pour l’autrice à évoquer le sujet se manifeste), aborde la question de la propriété des enfants par leurs parents et en définitive l’absence de droits des plus jeunes, avec un questionnement sur le statut de minorité.

Le second article, écrit vingt ans plus tard, est une présentation du livre de 2015 d’Yves Bonnardel La Domination adulte.

Ici Christine Delphy reprend son questionnement et prend position pour nommer explicitement la domination adulte.

Elle reprend, concernant les mères :

Et en théorie, les enfants ont des droits dans nos sociétés. Mais qui va les faire appliquer quand l’agresseur est aussi le représentant légal de « son » enfant, celui qui pourrait porter plainte, alors que l’agressé, parce qu’il est mineur, ne le peut pas ? Le père incestueux, la mère violente, vont-ils, au nom de leur enfant, porter plainte contre eux-mêmes ?

L’absence de personnalité juridique des enfants, leur grande solitude, leur vulnérabilité légalement organisée, voilà aussi l’une des pierres de touche, sinon la pierre de touche, du statut de mineur – qui est un statut de non-personne.

Force est de constater que la protection de l’enfance dans notre société ne fonctionne pas, ne serait-ce qu’au vu de la massivité des violences sexuelles dont les plus jeunes sont victimes. Une réflexion est donc à engager entre protection des jeunes humains et construction de leurs vulnérabilités par l’absence de droits réels.


  1. Article publié dans L'Ennemi principal ; penser le genre, aux éd. Syllepse ; vous le trouverez ici sous forme de brochure A5 (à imprimer en recto-verso) ou ici au format A4 pour impression ou lecture en continu.[]
  2. Dans toutes les citations, c’est nous qui soulignons (note de l’OVEO).[]

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