Pourquoi un Observatoire de la violence éducative ordinaire ?
EDITORIAL - Par Olivier Maurel, cofondateur de l'OVEO, président puis président d'honneur de l'association
Ecrit en 2005, révisé en 2008
La présentation de l'Observatoire de la violence éducative ordinaire que nous faisions en 2005 (voir ci-dessous) nous paraît plus que jamais d'actualité, notamment depuis que le Conseil de l'Europe a lancé sa campagne pour l'interdiction de toute forme de violence éducative: « Construire une Europe pour et avec les enfants ».
Aujourd'hui, nous voudrions seulement souligner de façon encore plus explicite le fait que la violence éducative ne se limite pas aux violences physiques. Notre relation avec les enfants est souvent telle que nous trouvons normal de les traiter, verbalement et psychologiquement, comme nous ne traiterions pas les adultes et les personnes âgées et, plus précisément encore, comme nous supporterions très mal d'être traités nous-mêmes, surtout par quelqu'un de proche et qui dit nous aimer.
Comment supporterions-nous (ou supportons-nous !), par exemple, que notre conjoint ou conjointe nous menace de nous punir, nous sermonne, nous fasse la morale, nous critique, nous injurie, se moque de nous, nous compare à d'autres de façon désobligeante, etc. ? Or, qui n'a connu cela dans son enfance ? Et qui ne l'a fait plus ou moins subir à ses enfants ?
C'est parce que nous avons presque tous subi ces traitements que nous trouvons normal de les infliger aux enfants.
Autrement dit, ce qui est nécessaire, c'est un changement de regard sur les enfants, changement qui ne peut probablement s'effectuer qu'à condition de changer notre propre regard sur l'enfant que nous avons été. C'est le plus souvent parce que nous avons fait nôtre le mépris subi dans notre enfance que nous ne voyons plus ce qu'il y a d'anormal dans tous ces comportements à l'égard des enfants.
L'Observatoire de la violence éducative ordinaire est à la fois une association et un site créés dans le but d'informer le plus largement possible l'opinion publique et les responsables politiques sur la pratique de la violence éducative ordinaire, c'est-à-dire les diverses formes de violence utilisées quotidiennement pour éduquer les enfants dans les familles et les institutions (écoles, assistantes maternelles...).
En effet, on trouve presque partout normal de frapper les enfants pour les faire obéir, alors que cette méthode d'éducation expose les enfants, les adultes qu'ils deviennent et la société dans son ensemble à de graves dangers.
Les enfants sont d'ailleurs aujourd'hui, dans presque tous les pays, la seule catégorie d'êtres humains qu'il soit permis de frapper légalement, alors qu'ils sont aussi les êtres humains les plus fragiles, les plus vulnérables, et ceux sur qui la violence a les conséquences les plus graves. Alors que, dans les sociétés anciennes, on avait le droit légal de battre les esclaves, les domestiques, les soldats et les marins, les prisonniers, les femmes, aujourd'hui, dans presque tous les pays, seuls les enfants peuvent encore légalement être frappés.
Cette anomalie ne nous apparaît pas comme telle parce que nous avons presque tous subi à des degrés divers la violence éducative, et que nous avons acquis sous les coups, depuis notre petite enfance, la conviction qu'elle est le privilège normal des parents.
Mais il n'est plus possible aujourd'hui d'accepter une telle pratique. Depuis une cinquantaine d'années, un grand nombre d'études, en particulier sur l'effet des châtiments corporels, ont montré de façon indubitable que la violence éducative a des conséquences graves sur le développement des individus et des sociétés. Elle est en effet la cause de nombreuses manifestations de violence contre soi-même et contre autrui, aussi bien sur le plan individuel que sur le plan collectif (voir à ce sujet l'article "Les conséquences des châtiments corporels"). Et les études des neurobiologistes sur le développement et le fonctionnement du cerveau confirment chaque jour davantage la gravité de ces dangers.
Certes, cette méthode d'éducation est très ancienne, et se pratique depuis des millénaires. Mais bien d'autres usages, comme l'esclavage, l'excision ou la coutume de battre les femmes, ont duré pendant des millénaires ou durent encore, sans que cela les rende en quoi que ce soit plus acceptables.
Il est donc temps de mettre fin à cette pratique. Les Etats signataires de la Convention relative aux droits de l'enfant, c'est-à-dire tous les Etats de la planète sauf deux (les Etats-Unis et la Somalie), l'ont d'ailleurs reconnu. L'article 19 de cette Convention fait obligation aux Etats de veiller à protéger les enfants contre toute forme de violence. Et le Comité des droits de l'enfant de l'ONU rappelle constamment aux Etats qu'ils doivent interdire la pratique de toute forme de violence, même légère, à l'égard des enfants, aussi bien dans les familles qu'à l'école. Le Conseil de l'Europe, de son côté, a vivement invité les Etats européens à imiter les vingt-quatre pays qui ont eu le courage de voter une loi interdisant toute forme de violence éducative.
Mais l'un des principaux obstacles à une évolution dans ce sens est l'ignorance, l'indifférence à l'égard de la violence éducative et la sous-estimation de ses effets. Nous ignorons à la fois le degré d'intensité que revêt cette violence dans la plupart des pays, et les dangers que présentent les manifestations même les plus faibles de cette violence. Cette ignorance nous amène à ne pas nous en soucier et à la considérer comme normale. Nous la voyons comme un phénomène dérisoire, qui ne concerne qu'une étape de la vie que nous avons dépassée, donc sans importance réelle, alors qu'elle est très probablement l'une des principales causes de la violence des adultes et de leurs comportements suicidaires, aussi bien sur le plan individuel qu'à l'échelle de la planète.
C'est pourquoi il nous a paru nécessaire de créer cet Observatoire dont le but est de révéler le scandale caché de la violence éducative, qui légitime, sous couvert d'éducation, des cruautés à peine imaginables. Ce scandale doit devenir évident aux yeux de tous pour que se produise la prise de conscience nécessaire à son éradication.
L'OVEO aura également pour but d'étudier l'attitude de l'opinion publique à l'égard de la violence éducative, et, dans la mesure de ses moyens, de faire pression sur les Etats pour qu'ils en arrivent à interdire toute forme de violence éducative, comme l'ont déjà fait vingt-trois d'entre eux.
L'action militante de l'Observatoire ne l'oppose, par principe, ni aux parents ni aux enseignants. Bien au contraire, il est convaincu que son action en faveur des droits des enfants rejoint le désir profond des parents et des enseignants de voir les enfants respectés comme doivent l'être des personnes humaines en formation.
L'espoir des membres de l'Observatoire est que, puisqu'on appelle cruauté le fait de frapper un animal et agression le fait de frapper un adulte, on cesse d'appeler éducation le fait de frapper un enfant.
Qu’est-ce que la violence éducative ordinaire ? (Une présentation du site de l’OVEO) ›