Vous dites : « C’est épuisant de s'occuper des enfants.» Vous avez raison. Vous ajoutez : « Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser. » Là, vous vous trompez. Ce n'est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre. Pour ne pas les blesser.

Janusz Korczak, Quand je redeviendrai petit (prologue), AFJK.

On pense avoir eu de « bons parents » parce qu’ils ne frappaient pas…

Témoignage reçu en réponse au questionnaire du site.

Avez-vous subi vous-même de la violence éducative au cours de votre enfance ? Sous quelle forme ?

Je n'ai pas (ou presque pas) subi de violence physique dans mon enfance, mais celle-ci s'est déroulée sur un fond d'humiliation, chantage, manipulation psychologique et émotionnelle, et mépris. Ensemble avec la négation de tout ça (mes parents voulant coûte que coûte jouer la « bonne famille heureuse »), ça a été dévastateur. Ma mère a toujours été, et est encore maintenant, froid comme de la glace, même si elle sait passer pour « aimable » avec de faux sourires et remarques « à la demande ». Je n'ai jamais senti aucune affection d'elle, aucune chaleur de sa part. Elle a très bien effectué toutes ses tâches de « mère » et « femme au foyer » de manière à être irréprochable sur ce point (quoique obsessivement – la propreté et l'état « impeccable » des meubles, pas une griffe, pas une tache - et en donnant la priorité absolue à l'APPARENCE de la maison et de la famille plutôt qu'au vrai bien-être des membres).
Elle est incapable de chaleur humaine. Je me rappelle qu'enfant j'avais peur d'elle, peur d'aller sur ses genoux (une fois, pendant qu'il y avait de la visite, elle m'a appelé sur ses genoux, ce qu'elle ne faisait jamais sinon, et j'étais terrorisé, je n'osais pas et en même temps je me sentais coupable de rompre sa pièce de théâtre), peur de son toucher froid, vide – pour autant qu'il y avait des touchers. En fait, à part l'utilitaire (laver, vêtir, ...), jamais elle ne m'a touché et encore moins caressé ou donné des câlins, jamais. C'est d'ailleurs typique pour des enfants de parents autistes (de haut fonctionnement) de se sentir ainsi (comme touché par un zombie), et je la suspecte très fortement de tomber quelque part dans le spectre autiste. Bien sûr elle ne coopérera jamais à se faire diagnostiquer.
Mon père a une personnalité très infantile émotionnellement, il était suffoqué par sa mère à lui (fils unique après un frère aîné mort avant sa première année de vie), et en se mariant il ne s'est pas vraiment lié à une femme entre adultes, mais a plutôt changé de maman. Pour lui, ma mère est parfaite et sainte, elle sait tout mieux, et il est son fidèle serviteur, soldat et « défenseur » contre toute critique, contre tout « conflit ». Il m'a dit littéralement que selon lui « ils sont une seule personne », très sérieusement, et quand je lui ai dit « mais voyons, vous êtes quand-même deux personnes distinctes », il a répondu « non, nous sommes une seule personne et je resterai sur ce point, un point c'est tout ».
Ma mère a des accès de rage subites et assez inexplicables, surtout quand elle est critiquée, ou si quelqu'un ne se conforme pas (consciemment ou involontairement) à ses idées de la bonne apparence. Je me rappelle comment elle a violemment déchiré comme une folle furieuse une veste de mon frère aîné, adolescent, parce que celle-ci n'était plus « convenable » et il voulait continuer à la porter parce qu'elle lui plaisait. Une fois, à table, elle a en rage craché dans la nourriture qu'elle avait préparé parce que quelqu'un des enfants a fait une remarque négative là-dessus. Une autre fois, en retournant d'une sortie dans la neige pendant laquelle j'avais les pieds glacés (j'avais environ six ans), très douloureux, elle m'a grondé continuellement entre ses dents jusqu'au retour à la maison parce que je pleurais de douleur et ne pouvait pas arrêter (voilà un exemple de ne se soucier que de l'apparence de la famille – « que vont penser les gens de cette famille dont l'enfant pleure si fort » - et pas du bien-être réel).
Je sais qu'elle m'a laissé pleurer dans mon berceau parce que c'est « la bonne éducation », « il ne faut pas être sentimental », elle ne m'a jamais donné le sein et m'a nourri selon des horaires fixes et en quantités prescrites et jamais selon mes envies ou nécessités. Ceci pour moi sont des violences très fortes, quoique très ordinaires, vu la dépendance totale du bébé de sa maman. Si elle ne vient pas quand on pleure, c'est la peur de la mort, on EST abandonné de fait, et on le sait de manière très directe et très forte. En gros, on n'a pas de maman, personne sur qui compter quand on est en problème ou nécessité.
En tant que petit enfant, c'était le chantage du « bon garçon » - « un bon garçon comme toi ne fait pas ça quand-même, beeeeeeein » (sur un ton sucré), et m'utiliser à moi comme exemple pour manipuler mon frère aîné. « Regarde comment ton petit frère mange bien », - et me voilà en train de surmanger pour recevoir au moins un triste remplaçant d'affection, un regard « bienveillant » sur moi contrastant avec le mépris envers mon frère « difficile ».
Plus grands, moi et surtout mon frère étions des « gros salauds » dans ses propres mots, « une sale soupe », des personnes qui « tuaient le coeur aux gens », etc., parce qu'on se rebellait (un peu) contre ses obsessions de propreté etc.
Quand j'avais plus ou moins 10 ans et ma soeur aînée 16, tous les soirs à la table c'était une session d'humiliation ; mon père la traitant de « moche », de pourquoi elle ne pouvait pas être aussi belle et élégante que « toutes ces autres demoiselles qu'il voyait dans la rue », que sa coiffure paraissait un « vieux tapis » et ses vêtements des « sacs », que la musique (pop) qu'elle écoutait était honteux et « ridicule » etc.- tout ça en service de ma mère qui jouait la « bonne » entretemps. (Je sais que c'est comme ça parce que en réalité mon père est notablement insensible à la mode et aux coiffures, ce que ma mère atteste d'ailleurs régulièrement en se moquant de lui ; et il aime la musique pop). Ce n'était pas dirigé vers moi directement, mais ça établissait clairement une ambiance de terreur dans la maison, faisant clair ce qui allait se passer avec ceux qui ne suivaient pas leurs idées du « convenable ».
Et puis c'était clair que la priorité absolue dans la maison était que les meubles restaient comme neufs (des crises de « tristesse » de ma mère parce qu'il y avait une moindre griffe ou même quasi une griffe sur son beau salon), que la cuisine était pathologiquement propre (quand on avait faim c'était « ah non hein, je ne vais pas salir la cuisine encore une fois »), et le reste de la maison aussi.
Et qu'on respectait et « traitait bien » la sainte maman (en réalité : ne jamais la critiquer et exister le moins possible).
Autres souvenirs :
- ma mère qui nous menaçait : « tu vas courir contre ma main si tu continues » (une manière « cachée » de dire qu'elle allait frapper)
- « avorter » et éteindre continuellement toute joie ou plaisir, p.e. quand on commençait entre frères et soeurs à vraiment s'amuser, p.e. en se lançant des coussins et en riant librement, elle jetait sa malédiction « ça va terminer en pleurs ! », ce qui invariablement était la fin de la rigolade.

A partir de et jusqu'à quel âge ?
Depuis toujours jusqu'à maintenant. Maintenant toujours, à mes 39 ans, c'est la terreur de participer à l'apparence de la « bonne famille », l'humiliation raffinée d'être quelqu'un « bizarre » (parce que je choisis (?) une vie très peu matérielle et très écologique, travaillant temps partiel pour être avec ma famille et être relax etc.) quoiqu'elle « aime tous ses enfants de la même manière » dans ses propres mots (typique contraste entre le dit et le vécu) – le sens du message étant : « même si t'es nul et raté et bizarre, j'aime tous mes enfants parce que je suis une mère parfaite, DONC je t'aime toi aussi ». Tout se récupère pour servir comme preuve de sa parfaite maternalité (« si à toi ça te plaît, moi je suis contente », ce qui revient à dire : 1. c'est nul 2. je suis la parfaite mère), ou sinon est nié avec insistance, ou ignoré froidement, ou reçu avec indignation et en essayant de me culpabiliser. Si j'aborderais un problème dans lequel elle est impliquée, elle répondrait d'un ton offensé « et voilà !, c'est de nouveau moi qui l'a fait, comme toujours hein, toujours moi la mauvaise », coupant court directement toute possibilité d'entrer dans le problème ou de toucher à quelque chose en elle qui serait moins que parfait. Mes lettres émotionnelles récentes vers mes parents tombent dans un trou noir, le seul effet est qu'ils nient mon existence pendant des mois à la fois. Quand je leur avais dit récemment que je ne m'étais pas senti aimé par eux dans mon enfance, ils ont répondu par e-mail « nous avons investigué les photos de quand tu étais enfant et sommes arrivés à une conclusion qu'on ne te dira pas », insinuant clairement que selon eux j'étais bel et bien aimé et que l'affaire était close avec leur interprétation de l'« évidence » de mon enfance. Et moi ? On s'en fout.

Par qui ? (père, mère, grands-parents, autre personne de la famille ou de l'entourage, enseignant...)
Principalement par ma mère, mais avec l'aide inconditionnelle de mon père (d'ailleurs, comme elle se cachait derrière lui, j'ai pensé pendant longtemps que c'était à l'envers). Les deux ensemble ont créé une ambiance « convenable » et froide et mis en place un fond de manipulation et humiliation de mon vrai moi jusqu'à maintenant. A un certain âge mon frère aîné (trois ans de plus) a commencé à être assez cruel et humiliant envers moi aussi, au point ou je priais pour qu'il disparaisse de ma vie et de la planète et me laisse tranquille.
Ceci s'explique partiellement parce qu'on a été très fortement dressé l'un contre l'autre par mes parents pour mieux nous manipuler (moi servant comme bon exemple, comme levier ; lui servant comme mauvais exemple et ce que je pouvais attendre si je pensais commencer faire comme lui). Partiellement je crois que c'est dû aussi au fait qu'il est un cas typique de syndrome d'Asperger, donc pas du tout empathique.
Et bien sûr l'école n'était pas mieux (je me rappelle un enseignant p.e. qui mettait tous les jours le même enfant dans le coin avec des livres lourds à tenir au-dessus de sa tête, sur lesquels il frappait avec le bâton tandis que nous autres nous moquions du pauvre petit). Mon frère a eu un enseignant qui avait cassé un bâton sur le dos d'un élève, avait frappé si fort sur la joue que l'os est sorti du joint, et qui avait eu un élève qui avait sauté dans la rivière pour faire disparaître son rapport).
Et les grands-parents, tantes et oncles un peu pareil que les parents.

Cette ou ces personnes avaient-elles elles-mêmes subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?
Mon père racontait parfois que quand il était enfant il était terrorisé, comme tous les autres enfants, on lui menaçait que le diable allait venir le chercher pendant la nuit s'il ne se comportait pas bien, et que sa mère l'infantilisait, d'ailleurs jusqu'à sa mort. (Même quand il était lui adulte et elle vieille, elle lui disait tout le temps de faire attention même pour des travaux simples et légers, et qu'elle allait demander à un voisin de le faire plutôt qu'à lui, etc). On racontait aussi qu'il y avait un homme monstrueux qui vivait dans la cave et qu'on allait l'enfermer là s'il n'était pas sage, et qu'il avait vraiment terreur de ça.
Aussi que le père de ma mère était un dictateur terrifiant, même quand elle était déjà adulte et qu'elle commençait à voir mon père.
Je me rappelle que la mère de ma mère, morte quand j'étais petit, était extrêmement soumise et maladive, retiré dans un coin avec un visage très triste et des lunettes obscures [sombres ?].
Ma mère m'a raconté qu'elle avait une fois un lapin quand elle était enfant, qu'elle aimait beaucoup, et qu'un jour son père l'avait tué sans lui dire et l'avait obligée à le manger avec le reste de la famille, lui disant après que c'était son lapin bien-aimé qu'elle avait mangé. Et qu'elle était obligée à rester à table jusqu'à finir son assiette, même si elle ne pouvait pas, et que seul son frère l'aidait des fois en passant et en faisant disparaître ce qui lui restait sur son assiette, la libérant ainsi. Elle avait deux soeurs aînées et un frère aîné, qui a été le seul a pouvoir suivre des études supérieures, ce qu 'elle a toujours senti comme une grande injustice. Son père était vraisemblablement quelqu'un de très brutal et violent (spécialement grand aussi), très autoritaire aussi, et sa mère très soumise. Son père travaillait loin dans des usines de métallurgie et sûrement était peu à la maison (il se levait vers 4 heures et retournait tard en train), et quand il était là c'était pour diriger et menacer.
Elle se plaignait aussi très fort de son institutrice, qui d'ailleurs était la voisine, quoiqu'en même temps elle utilisait des dictons d'elle (« tout a sa place, et tout à sa place », ...).

Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d'alors (colère, tristesse, résignation, indifférence, sentiment d'injustice ou au contraire de l'avoir “bien mérité”...) ?
Je me rappelle que souvent je me sentais terriblement abusé, incompris, comme si quelque chose de très injuste se passait mais sans vraiment comprendre quoi ou comment. Régulièrement je me mettais en colère en frappant les portes (ce que mes parents récemment ont nié à ma grande consternation), mais comme cela aussi c'est rendu vite impossible (je ne rappelle pas comment, soit en me ridiculisant pour ma colère, soit avec la manipulation de « un bon garçon ne fait pas ça »), j'ai fini par retourner la colère littéralement vers moi-même. A un moment je me suis caché et je me suis frappé si fort dans le thorax que j'ai dû abîmer ou casser quelque chose, je me rappelle de la sensation et du panique de m'avoir fait très mal, j'avais environ 12 ans. Je m'enfermais souvent dans ma chambre pour pleurer, et puis après quelque temps on entrouvrait la porte que j'avais bloqué avec le lit, pour laisser entrer ... le chien (qui était d'ailleurs très gentil). Quand je m'étais « calmé » je descendais dans un atmosphère où tout le monde faisait comme si rien ne s'était passé, avec un léger fond de « enfin il s'est calmé le violent fou ».

Avez-vous subi cette(ces) épreuve(s) dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?
Ma soeur aînée était assez gentille avec moi mais comme elle avait 6 ans de plus, elle s'occupait peu de moi, surtout à partir de mes 10-12 ans. A part ça c'était l'isolement psychologique et émotionnel complet, ma mère étant le centre de cette ambiance tarée, mon père son serviteur, et mon frère aîné se vengeant sur moi pour toutes les fois que j'avais servi de « bon exemple ». Jamais des amis venaient jouer à la maison et encore moins dormir ou loger, jamais je suis allé dormir ou loger hors de la maison.

Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?
Peu à peu je me suis « éteint », j'ai arrêté de vivre moi-même et je me suis plié aux exigences de mon entourage taré. Bien étudier, être sage et calme, exister le moins possible. Ne pas avoir de vrais amis, avec qui j'avais une complicité – ça j'aurais senti comme une trahison. Faire de sorte à ne pas embêter et à ne pas risquer des explosions ou des humiliations. Essayer de « protéger » mes parents contre la douleur d'avoir un enfant embêtant. A partir de l'age de 12 ans environ je me suis échappé dans les jeux et les logiciels ordinateur, pendant que j'étais devant l'ordi je n'embêtais personne.
J'étais aussi très confus et replié sur moi-même, comme si je vivais dans une sorte de brume.

Quelles en sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ? En particulier vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d'enfants (les vôtres, ou professionnellement) - merci de préciser le contexte ?
Un manque total de confiance en moi-même. Vouloir plaire aux autres, pendant longtemps particulièrement à ma mère (sans JAMAIS pouvoir réussir bien sûr, au contraire), mais aussi à d'autres personnes (responsables du travail, ma femme, même mon fils, etc.). Très timide, toujours penser que les autres sont plus intéressants, plus réussis, et que les gens préfèrent être seuls ou voir quiconque d'autre au lieu de passer du temps avec moi. Ne pas oser proposer mon amitié ou une visite à quelqu'un, afin de ne pas l'embêter avec ma présence. Eviter le contact social. J'ai aussi longtemps essayé de me rendre quelqu'un qui « mérite sa place sur cette planète » en m'efforçant dans des pratiques spirituelles (méditation, zen...). Me détester moi-même, vouloir ne pas avoir existé, surtout quand je cause du mal-être à quelqu'un d'autre – parce que je sens que je suis mauvais dans mon noyau, pourri de l'intérieur, et que tant que j'existe je ne pourrai jamais éviter de causer du mal-être, sauf peut-être en existant le moins possible (de là aussi mon radicalisme écologique et frugal, toujours moins moins, et recycler les déchets des autres). Et aussi détester le monde, l'hypocrisie sociale, le manque d'intérêt réel des gens dans le bien-être des enfants, de la planète, que les solutions connus et disponibles ne se font pas. Râler chez moi et me taire et frustrer dehors.
Vis-à-vis les enfants : j'ai un fils qui a maintenant 6 ans. Quand il était bébé je voulais le faire se comporter comme les autres voulaient, dormir à temps, ne pas pleurer la nuit pour ne pas embêter les voisins, etc. Je pouvais être violent, des fois je le secouais, ou je le pressais dans son lit pour qu'il ne bouge plus. Puis je suis assez incapable de m'amuser, j'ai plutôt tendance à freiner, à éviter que ça « dérape » (qu'on s'amuse en réalité), à être exagérément « sensé » et relever les dangers possibles plutôt que les plaisirs.
Voir tous les points négatifs et rien de positif. Tendance à être autoritaire et vouloir décider pour lui, ce qu'il mange, quand il le mange, ce qu'il regarde... Tout pour « son bien », j'en suis toujours persuadé au moment, mais en réalité c'est néfaste. Le pousser dans des directions.
En général j'avais peur des enfants, de leur côté spontané, franc, imprévisible. Je les évitais et détestais un peu. Maintenant je les apprécie beaucoup, je pense qu'ils sont les gardiens de la vie, dans ce sens ils sont sacrés. Mais malheureusement je continue à trouver très difficilement la bonne fréquence de vraiment les respecter, et de les laisser vivre pleinement et librement. Je veux toujours tout limiter, diriger, décider, pour eux.

Si vos parents ont su éviter toute violence, pouvez-vous préciser comment ils s'y sont pris ?

Ils ont évité la violence physique en utilisant l'humiliation, la manipulation, dresser les enfants l'un contre l'autre, le chantage et les menaces. Ils ont fait ça de manière assez instinctive, ils n'étaient pas spécialement scolarisés quoique mon père avait un diplôme d'enseignant. Je ne peux pas comparer, mais je ne crois pas que c'est mieux, la violence purement psychologique que la violence physique. C'est très difficile de déceler ce genre de violence même quand on est adulte, ce qui le rend spécialement nocif et les effets négatifs persistants et difficiles à comprendre. On pense avoir eu de « bons parents » parce qu'ils ne frappaient pas, mais en fait ils nous ont usés à nous enfants [se sont servis de nous] pour paraître bons parents en nous matant et formatant en cours de route. Très complexe à travailler.

Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?
C'est comme avoir été élevé dans un micro-asile de fous, isolé du monde, sous la direction d'une paire de tarés – en étant convaincu au moment même que c'était un bonne petite famille « normale ». Je n'ai pas été « éduqué », j'ai été rapetissé, éteint, formaté et rendu faible et incertain. On m'a violemment enlevé mon vrai moi joyeux, vivant, lumineux, et remplacé par un être programmé incapable de vivre réellement..

Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative est courante ?
Bien sûr, comme nous tous encore toujours. La violence n'a pas diminué, elle n'a que changé de forme. Maintenant c'est « éduquer sans punir » et la « communication non-violente » etc., mais si le moteur reste le même (le mépris de l'enfant en tant qu'être humain, et l'idée de base qu'il doit être « éduqué », c'est à dire qu'il est en soi pas bien comme il est et nécessite que quelqu'un le « travaille »), on trouve toujours les moyens d'humilier, menacer et faire du chantage. Seulement ça se passe DANS les limites de ce qui est considéré « sans punition » et « sans violence », mais la violence est toujours là. Elle est dans le coeur et trouve ses moyens de sortir, d'agir, de détruire, tout en s'adaptant parfaitement aux normes sociales et éducatifs de l'instant. La violence s'adapte simplement dans la forme et dans le niveau sur lequel elle agit (de physique à psychologique/émotionnel), mais ne diminue aucunement en
intensité.

Si vous avez voyagé et pu observer des pratiques coutumières de violence à l'égard des enfants, pouvez-vous les décrire assez précisément : quel(s) type(s) de violence ? par qui ? à qui (sexe, âge, lien de parenté) ? en quelle circonstance ? pour quelles raisons ? en privé ? en public ?
A part les abus évidents (crier dessus, menacer, mettre contre le mur, dans le coin ou « sur le banc dehors pour se calmer »), il y en a beaucoup d'autres.
Je vois souvent des enfants qui sont (de manière raffiné ou pas) menacés d'être abandonnés. « Bon alors je te laisse ici alors », « salut je m'en vais seul alors », « nie-le pour qu'il se calme » etc., souvent les mères et pères envers les enfants plus petits (2-6 ans). C'est mortel pour un enfant.
On leur dit aussi quoi faire à quel moment, par exemple dans l'école, pour moi c'est une violence à leur vrai être curieux et vivant (de 9h à 10h dessiner, de 10h à 11h histoire, etc.). On leur ôte aussi toute manière d'exprimer des sentiments « négatifs » comme la colère ou la déception, surtout envers les adultes, avec le seul effet qu'ils les déversent soit vers ceux qui sont plus faibles, soit se retournent contre eux-mêmes (les enfants plutot apathiques p.e. qui sont souvent vus comme « faciles » et « exemplaires »). Moi j'ai souffert spécialement de ça, et ça m'a laissé avec une très forte colère latente toujours présente.
Souvent une maman ou un papa utilise un autre adulte pour servir comme menace : « regarde comment le papa de ton ami est fâché, tu ne pourras plus venir jouer ici si tu continues comme ça », et on attend une complicité dans la menace (ce n'est pas bien reçu de dire alors « non non, il sera toujours le bienvenu chez moi », quoique c'est absolument nécessaire de le faire). Double manipulation : on est « bon » soi-même, mais on passe quand-même la menace à travers un tiers.
Une autre violence est l'usage du sucre raffiné comme drogue et comme levier pour faire du chantage. Dans notre société, où les alternatifs au sucre blanc (qui entraîne les pics et les vallées de sucre dans le sang et donc une sorte de dépendance), sont connus et disponibles (sucres lents et riches en minéraux comme le sirop de riz, le sucre de canne non raffiné, etc), l'usage « têtu » de sucre blanc, même en quantités « petites », est une violence. Non seulement parce qu'il cause des dégâts physiques. Aussi parce que le sucre raffiné entraîne l'hypoglycémie aiguë (et puis chronique), pendant laquelle le corps se sent en danger de mort, et est donc prêt à faire ce qu'il faut pour atteindre sa dose de sucre rapide, pour assurer sa survie. Donc à cet instant, le bonbon derrière le dos, on peut obtenir un peu tout de l'enfant. Et puis, en donnant le bonbon, passer pour la bonne fée – double manipulation. Tandis qu'en réalité il y a manière de profiter pleinement du goût sucré sans aucun effet négatif, sans créer aucune dépendance, en choisissant d'autres types d'édulcorants – mais manifestement ce n'est pas ce que l'on cherche ! Je sais que c'est facile parce qu'on le fait chez nous à la maison, mais la résistance dans mon entourage social est énorme. Ca entraîne justement la FIN des chantages, des punitions ou des primes, de la culpabilisation pour un plaisir, etc. – et on ne veut manifestement pas ça. C'est très remarquable. Et triste.

Qu'est-ce qu'évoque pour vous l'expression « violence éducative ordinaire » ? Quels types de violence en font partie ? Et quelle différence faites-vous, le cas échéant, entre maltraitance et « violence éducative ordinaire » ?
Pour moi la VEO se résume dans le mot « éducation ». Tant qu'on pense devoir éduquer les enfants, on sera violent. Nous tous, en tant qu'adultes, avons été endommagés, et ce n'est pas à nous d'éduquer qui que ce soit. Certes, on peut passer des connaissances pratiques,
des techniques, on peut servir comme les yeux des petits enfants qui ne voient pas arriver la voiture, etc., mais éduquer ? En fait, c'est eux qui devraient nous éduquer à vivre, pendant que nous on les accompagne humblement et avec beaucoup de respect. Tout le reste est de la violence éducative, et c'est très ordinaire..

Avez-vous des objections aux idées développées par l'OVEO ? Lesquelles ?
Je trouve qu'il y a quand-même une grande insistance sur la violence physique, tandis que de plus en plus le champ d'action de la violence se déplace dans des choses plus subtiles. Et on risque de minimiser voir même passer complètement à côté de ces violences plus raffinées. C'est valable pour les générations d'avant et pour les pays, peuples et cultures « en voie de développement », mais pour notre société c'est rater le train. La violence se passe toujours et peut-être même de plus en plus, aussi et surtout dans les familles « modernes » « non-violentes », et de plus en plus à un niveau profond. On atteint de plus en plus le noyau de l'être, l'intégrité psychologique avec la violence actuelle – il faut absolument des gens qui s'investissent dans les formes très raffinées et très subtiles, mais très perçantes, de violence éducative ordinaire ACTUELLE dans NOTRE culture. Je trouve que ça manque un peu. A part ça beaucoup de respect pour votre travail, j'ai été ravi de vous trouver sur internet..

Comment nous avez-vous connus : site ? livre d'Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autres ?
Livres d'Alice Miller -> page Wikipedia d'Alice Miller -> page Wikipedia d'Olivier Maurel -> OVEO.

Ce site a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l'égard des enfants ?
Ca aide beaucoup de lire les textes et les témoignages, ils sont trop rares les endroits où l'on a une vision plus profonde sur ce qui est la violence éducative. Merci et je vous encourage à continuer, c'est TRES important.

Si vous acceptez de répondre, merci de préciser sexe, âge et milieu social.
Bart, 39 ans, diplômes supérieurs mais assez « pauvre » (je travaille depuis toujours en dessous de mes capacités).

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