Mets-toi une claque avant que je t’en mette une !
Le lundi 31 mai 2010, j'ai été témoin des faits suivants :
Je suis arrivée un peu avant 16h25 à l’école pour récupérer ma fille scolarisée en classe de GS (grande section de maternelle). J’ai patienté quelques minutes dans le couloir avec les autres mamans (une petite dizaine) venues récupérer leur enfant scolarisé dans la même classe. [...]
La porte de la classe voisine (classe de GS-CE2) était entrouverte et nous avons entendu l’enseignante réclamer le silence à plusieurs reprises et demander que les enfants rangent leurs affaires. [...] N’obtenant pas tout à fait le silence, l’enseignante a interpellé un des enfants et lui a dit : « Mets-toi une claque avant que je t’en mette une. » Cette phrase a été répétée une seconde fois puis j’ai entendu plusieurs claquements. J’ai également entendu l’institutrice crier : « Plus fort ! » Et à nouveau, j’ai entendu plusieurs claquements.
Choquée par ces faits, je me suis retournée vers les autres mamans et leur ai demandé : « Avez–vous entendu la même chose que moi ? Avez-vous entendu : Mets-toi une claque avant que je t’en mette une ! » ? Plusieurs mamans ont acquiescé. J’ai alors dit : « Je compte faire un courrier. Etes-vous prêtes à témoigner avec moi ? » Une maman m’a répondu : « Euh… oui ! » Les autres mamans sont restées silencieuses.
De retour à mon domicile, j’ai contacté la gendarmerie. [...]
Les enfants ont reconnu qu'un de leurs camarades s'était administré des claques suite aux menaces de la maîtresse. La maîtresse a reconnu les faits devant la gendarmerie mais s’est justifiée devant les représentants des parents d'élèves en disant qu'il s'agissait d'humour maladroit et qu'il ne s'agissait que de petites claques.
Je conteste totalement l'idée qu'il puisse s'agir d'humour maladroit ou de petites claques : la maîtresse HURLAIT, les claques résonnaient FORT et la violence inouïe de cette scène me fait encore froid dans le dos.
Je pense, par ailleurs, qu'il ne s'agissait pas d'un dérapage isolé, mais d'une pratique dans la classe, car l'enfant s'est exécuté sans opposition et s'est mécaniquement donné une dizaine de claques, puis une autre dizaine lorsque la maîtresse a hurlé : « Plus fort ! » alors que la maîtresse ne lui réclamait qu'une seule claque !!!
Depuis, deux mamans m'ont confié que leur enfant s'administre des claques à la maison lorsqu'il a conscience d'avoir mal agi ou lorsqu’il se retrouve en situation d’échec. Ma fille âgée de 6 ans a observé un élève de cette institutrice, lui-même âgé de 6 ans, se gifler dans la cour de récréation car il n’était pas parvenu à rattraper une des deux petites filles avec lesquelles il jouait à chat. Ces témoignages me laissent penser que cela est devenu une pratique dans l’école [...].
L'équipe enseignante fait corps avec la maîtresse et cautionne, à mon sens, cet acte de violence en tentant de le minimiser. [...]
Depuis ces faits, j’ai déscolarisé mes enfants car, en plus de ces problèmes de moralité1, j’étais victime de représailles et de menaces de la part de la directrice de l'école, ce que j’ai signalé à la gendarmerie [...].
Ce sujet a été couvert dans le journal local Le Pays Briard, dont l’article décrit l’attitude nonchalante de certains parents, de l’équipe enseignante et de leur hiérarchie. [...]
Mme R.
Suite à cette affaire, Mme R. a reçu une lettre de la part de l'inspecteur d'académie la menaçant de poursuites judiciaires et sociales, et un signalement a été effectué contre elle auprès des services sociaux. Voici la réponse de Mme R. à l'inspection académique :
Inspection Académique de Seine-et-Marne
Objet : Réponse à votre courrier du 30 juin 2010
Monsieur l’Inspecteur d’Académie de Seine-et-Marne,
Votre courrier me laisse pantoise.
Vous m’accusez de mettre en cause gravement le fonctionnement d’une école et les compétences professionnelles d’une enseignante alors que mes seuls agissements sont d’avoir été témoin et d’avoir dénoncé un fait grave de maltraitance sur enfants : une institutrice menace un enfant de violences physiques et oblige cet enfant à se gifler lui-même à plusieurs reprises devant toute sa classe, ceci alors même qu’elle a observé la présence d’adultes devant sa classe ! Il s’agit de violences physiques et psychologiques sur des mineurs de moins de quinze ans. [...]
Vous me mettez en garde sur les délits d’outrage et de diffamation. Sachez que je ne crains pas de comparaître devant les tribunaux car je sais que je n’ai rien fait d’illégal. Je suis une honnête citoyenne, respectueuse des lois et de mon prochain (enfants et adultes). J’ai toute confiance en la justice de notre pays si un procès devait avoir lieu à votre initiative ou à la mienne.
Vous vous dites inquiet de la pertinence des motivations qui nous poussent à scolariser nos enfants à domicile au point d'« effectuer une remontée d’information préoccupante auprès des services sociaux » et de nous menacer d’engager « toutes les mesures sociales […] qui pourront garantir […] les conditions dans lesquelles s’exerce le droit à l’éducation de vos enfants ».
Vous comprendrez que nous ne craignons évidemment pas les résultats d’une enquête sociale, dont la seule conclusion possible serait d’attester que nous sommes de bons parents, accomplissant nos devoirs vis-à-vis de nos enfants avec un profond dévouement, en plus de leur accorder chaque jour toute l'affection, la tendresse, l'amour et l'attention dont ils ont besoin.
La violence inouïe de la scène dont j’ai été témoin rend inconcevable l’idée que mes enfants puissent devenir un jour les élèves de cette institutrice. Ma perte de confiance est irréversible.
D’autre part, suite à mon témoignage, j’ai été victime d’humiliations, menaces et mesquineries de la part de la directrice de cette école (parfois même en présence de mes enfants ou de camarades de mes enfants) et je vous en avais alors alerté. Vous avez ignoré mes courriers et permis l’escalade de ces représailles, au point que mon mari et moi déscolarisions nos enfants alors que nous sommes fortement attachés à l’Education nationale – nous sommes issus d’une famille d’enseignants, nous n’avons fréquenté que des établissements publics ainsi que nos enfants et nos amis comptent de nombreux professeurs et agrégés.
Je vous avais également alerté sur le fait qu’au moins trois enfants de cette école s’administrent des claques à la maison ou dans la cour de récréation. Il me semble que là encore vous n’avez rien fait. J’aurai pu vous livrer les noms de ces enfants afin que vous enquêtiez, mais personne ne m’a contactée. Une équipe de psychologues aurait pu s’entretenir avec les enfants de cette école.
Nous avons mis en œuvre une solution qui va dans l’intérêt de nos enfants, respectueux de leur droit à l’éducation mais également soucieux de leur fournir des valeurs morales et des principes. Nous ne pouvons pas permettre qu’une directrice d’école ou une institutrice manque de respect ou abuse de son pouvoir. Cela constituerait un très mauvais exemple pour nos enfants que de voir que des personnes toutes-puissantes ou du moins qui agissent comme telles ont droit d’agresser, de menacer, d’humilier impunément. Quel message, quelle image parentale donnerions-nous à nos enfants si nous laissions faire de tels comportements ? Les enfants ont besoin d’être respectés, de voir que leurs parents sont respectés et que leurs éducateurs adoptent une attitude respectable pour respecter à leur tour leur prochain. [...] Nous craignons que nos enfants ne deviennent des délinquants s’ils continuent à évoluer dans une école où la violence est banalisée. J’ai encore beaucoup de mal à accepter la thèse d’humour maladroit avancée par la directrice de l‘école aux représentants des parents d’élèves lorsque je repense aux hurlements de la maîtresse et aux multiples claques (une vingtaine) qui résonnaient fort que l’enfant s’est infligées sous les menaces de la maîtresse.
Des lectures récentes et notamment les ouvrages d'Alice Miller [...] m’ont confortée dans l'idée que les humiliations, les coups, les gifles, la tromperie, la moquerie, l’abus de pouvoir, la négligence sont des formes de maltraitance fortement préjudiciables à la construction et à l’épanouissement des enfants, parce qu'ils blessent leur intégrité et leur dignité et qu’ils sont d’autant plus préjudiciables dès lors qu’ils sont le fait d’adultes référents. Notre motivation principale est de préserver nos enfants de tout abus et de les aider à devenir des adultes responsables et respectables.
Quel message adressez-vous aux autres parents, soucieux d’offrir le meilleur pour leur enfant, lorsque vous maintenez en poste une enseignante fautive de comportements violents sur des enfants, dont les actes sont avérés formellement ? [...]
Nous avons fait le choix d’instruire nos enfants en famille. Nous avons le droit de faire ce choix (cf. article L131-5 du Code de l’Education), et n’avons pas à le motiver, comme vous semblez nous le demander. Ceci étant, nous pouvons vous dire que notre projet éducatif est basé sur quelques fondamentaux que nous n’avons pas trouvés dans l’école de notre village.
Par ailleurs, lecteurs de Montessori, Freinet, Decroly, nous pensons être en mesure de développer une approche pédagogique pertinente et enrichissante pour nos enfants, respectueuse de leurs besoins et capacités. Notre méthode sera fortement orientée par les invariants de Freinet.
Nous serions ravis de discuter avec des professionnels de l’éducation de nos projets et de notre méthode. Nous préférons lire dans votre injonction une invitation au dialogue. Nous aurions grand plaisir à vous accueillir et à discuter pédagogie avec vous ou vos équipes.
Soyez persuadé que nous cherchons à construire un dialogue positif et apaisé. Mais pour l’heure, tous nos interlocuteurs ont adopté une position défensive et agressive. En revanche, personne n’a proposé d’étudier sérieusement notre témoignage. Personne ne semble souhaiter identifier et résoudre les dysfonctionnements qui pourraient être à l’origine des comportements inadéquats de l’enseignante et de la directrice de cette école.
Nous aspirons à une vie tranquille et au droit d’instruire nos enfants dans le respect de la Loi. Nous vous demandons de respecter notre choix d’instruction en famille, que nous avons sagement mûri.
Je vous prie d’agréer, Monsieur l’Inspecteur d’Académie, l’expression de mes salutations distinguées.
Mme R.
Copie : Monsieur le Ministre de l’Education nationale
Gendarmerie nationale
Monsieur le Président du conseil général de Seine-et-Marne
Madame, Monsieur le responsable de l’Unité d’action sociale de Provins
Madame le Maire
Mme R. s'est également adressée à la Défenseure des enfants, Mme Dominique Versini. Elle est à la recherche d’un avocat et de soutien pour faire avancer son dossier. (Ecrire à contactez_nous@oveo.org, nous transmettrons.)
1. L’enseignante aurait donné à ses élèves (âgés donc de 6 à 9 ans) des explications sur le racolage des clients par des prostituées pratiquant dans des camionnettes au bord de la route, ce qui paraît pour le moins « inopportun »… (Note de l’OVEO.)
L'OVEO souhaite témoigner ici son soutien à cette maman, qui a eu le courage de dénoncer des actes de violence envers des enfants d'école élémentaire et de briser par là le silence qui règne de façon quasi générale autour des dérives d'un système qui, intrinsèquement, est violent envers les enfants et produit de la violence2.
L'école est le produit d'une société, et, parce que la violence éducative ordinaire est aujourd'hui encore très répandue dans les familles, elle l'est également à l'école. Les enseignants aussi ont reçu une éducation, et pas seulement une formation.
La levée de boucliers qu'a rencontrée Mme R. de la part de l'inspection académique ou de parents d'élèves de son village s'apparente à la vague de soutien au professeur qui avait giflé un élève de sixième, dont les parents avaient osé porter plainte. Ces réactions sont similaires à celles provoquées par la proposition de légiférer sur le châtiment corporel des enfants. Ce refus de dénoncer relève du même déni dont parle Alice Miller, celui des violences subies de la part de nos parents et éducateurs, qui fait que nous continuons à les passer sous silence même une fois adultes.
Que soit enfin promulguée en France une loi qui proscrirait les violences envers les enfants contribuerait à jeter les bases d'une réflexion et d'une remise en question sur le long terme de l'institution école, du simple fait que davantage d'adultes auront été respectés dans leur enfance et seront devenus plus conscients.
2. Sur la question de la violence de l’école en tant qu’institution, voir en particulier : Forum pour une école publique, laïque et populaire (27 mars 2010) ; Bernard Collot, « Ecole violente, école non violente - Problème de la conception de l’école » (Texte en introduction d’un débat pour le mouvement “Pour une école non violente”) ; Igor Reitzman (membre du comité de parrainage de l’OVEO), « Contribution de l’école à l’installation de la soumission », « De la violance de l’Ecole à l’agression de l’élève ».
D’autres articles sur notre site concernant la question de la violence à l’école :
- Mars 2016 : VEO institutionnelle et soutien aux « lanceurs d’alerte » (Appel à la solidarité entre parents, enseignants, éducateurs, professionnels de l’enfance et associations pour briser la loi du silence entourant les pratiques de violence éducative ordinaire dans l’enseignement et sur les lieux d’accueil)
- Est-il dangereux de faire des sondages sur la fessée dans les écoles ?
- Quand l'école est un lieu de violence éducative
- Un dossier consternant sur les punitions corporelles
- Lettre d’un enseignant à la Défenseure des enfants à propos de la gifle d’un enseignant à un élève
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