Vous dites : « C’est épuisant de s'occuper des enfants.» Vous avez raison. Vous ajoutez : « Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser. » Là, vous vous trompez. Ce n'est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre. Pour ne pas les blesser.

Janusz Korczak, Quand je redeviendrai petit (prologue), AFJK.

Lettre ouverte d’Olivier Maurel au rabbin Delphine Horvilleur

Olivier Maurel, fondateur de l'OVEO, a envoyé à Delphine Horvilleur le message suivant à propos de son livre Comment les rabbins font les enfants. Ce message en date du 2 avril 2017 est resté sans réponse à ce jour.


Couverture Comment les rabbins font les enfantsMadame le Rabbin,

Je viens de lire avec beaucoup d'intérêt votre livre Comment les rabbins font les enfants. Bien que n'appartenant qu'indirectement à la tradition juive (je suis né dans une famille catholique), j'ai grandement apprécié votre défense d'une "religion matricielle" et votre plaidoyer pour la place de la femme dans la religion, le même plaidoyer étant nécessaire dans la religion catholique.

Mais, comme je m'occupe depuis plus de vingt ans des violences subies par les enfants, j'avoue avoir moins apprécié la défense que vous faites de la circoncision. Vous abordez cette question dès le début de votre livre à propos de l'appartenance, et vous vous en prenez même à la Déclaration des droits de l'enfant qui affirmerait (en fait, je n'ai trouvé nulle part cette formule dans le texte de la Déclaration, y est-elle vraiment 1 ?) que l'enfant n'appartient "à personne si ce n'est à lui-même". Face à cette affirmation qui amènerait à dire : "Laissons-les faire leur propre choix le moment venu", vous défendez avec raison l'idée que l'appartenance est une nécessité pour l'enfant.

Il est bien évident en effet que, comme l'écrit Cyrulnik que vous citez : "L'enfant de personne devient personne. Il lui faut quelqu'un pour devenir quelqu'un." L'enfant absorbe ce que disent et font les adultes avec lesquels il vit, il s'imprègne de leur culture, et, si ses parents sont croyants, de leur religion. Mais là où je ne vous suis plus, c'est quand vous justifiez, en vous appuyant sur cette appartenance indispensable, le fait d'imposer autoritairement une religion à un enfant et, à plus forte raison, un marquage religieux physique comme la circoncision. Il me semble que là, à partir de la simple appartenance nécessaire, bénéfique et inévitable, vous passez sans transition et sans explication à la justification d'une appartenance imposée dans sa chair à un nourrisson qui n’y peut rien, ce qui est tout autre chose, à mes yeux du moins. Mais qu'en est-il à vos propres yeux ?

De même, j'ai été un peu surpris que, dans la partie de votre livre intitulée, de façon sans doute trop générale par rapport au thème que vous vouliez traiter, Les rabbins et la pédagogie, vous n'ayez pas mentionné l'usage recommandé à maintes reprises dans les proverbes bibliques d'une autre forme vigoureuse de marquage, l'usage du bâton dans l'éducation. Ne prenez pas ma remarque comme une critique du judaïsme : la violence fait partie de l'éducation dans toutes les civilisations depuis au moins 5000 ans, y compris dans la tradition chrétienne. Mais je crains que ces proverbes soient encore appliqués en toute bonne conscience dans un bon nombre de familles juives comme ils le sont dans beaucoup de familles chrétiennes, et j'aurais souhaité, dans un chapitre sur la pédagogie, qu'au moins un mot de réprobation soit porté contre eux, car la pratique de la violence éducative a des effets ravageurs.

J'ai bien apprécié par ailleurs la critique que vous faites du fondamentalisme.

Veuillez croire, Madame le Rabbin, à mon respect et à mon estime la plus sincère.

Olivier Maurel



  1. Note de l'OVEO : En réalité, cette formule ne figure que dans certains commentaires, comme celui-ci, mais non dans la Déclaration des droits de l'enfant du 20 novembre 1959 ni dans la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989. De plus, l'idée que l'enfant n'est pas la "propriété" de ses parents ni de l'Etat signifie bien, dans ce contexte, que l'enfant a des droits en tant que personne humaine, et qu'on n'a pas le droit de le traiter comme un objet.[]