La violence n'est pas innée chez l'homme. Elle s'acquiert par l'éducation et la pratique sociale.

Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue, féministe, femme politique, scientifique (1933 – 2017)

Lettre ouverte au Journal de l’animation et au philosophe Emmanuel Jaffelin

Dans son numéro 183 de novembre 2017, le Journal de l’animation publie un entretien de Jacques Trémintin avec le philosophe médiatique Emmanuel Jaffelin 1 auquel Olivier Maurel, qui lui a déjà écrit plusieurs fois, a tenu à réagir par une lettre à la revue que nous publions ci-dessous.

A noter que le Journal de l’animation, dans sa liste de ressources sur le dossier qui fait l’objet de ce numéro ("Éviter la punition, promouvoir la sanction") cite des livres d’Olivier Maurel, de Muriel Salmona et de Catherine Dumonteil-Kremer, peut-être à titre de "contrepoison" ?


Cher Jacques Trémintin et chers amis du Journal de l'animation,

Nous avons été un peu étonnés que, sur la question des punitions corporelles, vous ayez pris au sérieux les propos d'Emmanuel Jaffelin au point de lui consacrer un article intitulé « Assimiler la fessée à de la maltraitance est une erreur ». Nous ne doutons pas que la majorité des lecteurs de votre journal auront lu d'un œil très critique cette interview, mais nous tenons tout de même à montrer à quel point les propos d'Emmanuel Jaffelin sur les punitions corporelles sont un tissu de contradictions et d'ignorance volontaire.

Pour lui, il existe deux façons de gifler les enfants, la bonne et la mauvaise. La bonne consiste à les gifler « ponctuellement ». La mauvaise consiste à les gifler « systématiquement ».

Mais quand on cherche la signification qu'il donne à ces deux adverbes, on s'aperçoit qu'ils n'ont pas du tout dans sa bouche leur sens habituel, et on se perd rapidement dans l'obscur labyrinthe de la pensée de cet homme qui, en tant que philosophe, devrait au moins s'exprimer clairement.

Que signifie en effet « ponctuellement » pour lui ? On pourrait croire que cela désigne la gifle isolée qui échappe au parent excédé qui ensuite regrette ce geste. Eh bien ! non, pas du tout. La gifle ponctuelle, selon Jaffelin, c'est la gifle dans laquelle « il y a désir d'incarner une autorité en fonction de règles exposées et expliquées ». Autrement dit, c'est la gifle donnée en fonction d'un « système » de règles. Et cette gifle véritablement « systématique » a toutes les chances de ne pas rester « ponctuelle » au vrai sens de ce terme, c'est-à-dire isolée, car l'efficacité de la gifle comme de la fessée est loin d'être prouvée. Elle rend même souvent l'enfant provocateur (« Même pas mal ! ») et dans ce cas, la gifle donnée selon un « système » deviendra vite « systématique » dans un sens plus courant du mot : habituelle, délibérée.

Que signifie maintenant la gifle donnée "systématiquement" dans la novlangue d'Emmanuel Jaffelin ? Il ne le dit pas. On peut supposer qu'il s'agit de la gifle fréquente donnée sans aucune règle. Lui-même affirme simplement que, dans ce cas, « le parent a une attitude pathologique et donc répréhensible ». Le malheur, c'est que les 70 à 80 % des parents qui continuent à donner des gifles et à justifier leur usage, comme le fait d'ailleurs Jaffelin (serait-il un cas pathologique?), ne sont pas du tout des « cas pathologiques », mais simplement des parents qui ont reçu des gifles quand ils étaient enfants, qui trouvent tout à fait normal d'en donner à leur tour et qui ignorent tout des effets nocifs de ces punitions sur la santé physique et mentale des enfants et sur leurs comportements (là encore, comme M. Jaffelin !).

On a beau lui rappeler ces informations, ce que nous avons fait plusieurs fois, il semble atteint à leur égard d'une surdité totale et, comme toujours, il botte en touche sur son argument favori, qui n'a rien à voir avec le sujet sur lequel on l'interroge : la prétendue « pudibonderie de nos démocraties ».

Aux lecteurs du Journal de l'animation qui cherchent à s'informer sur les punitions corporelles, nous recommandons, plutôt que le livre d'Emmanuel Jaffelin, le site de l'Observatoire de la violence éducative ordinaire (OVEO) qui, depuis douze ans, informe aussi clairement que possible sur cette question.

Olivier Maurel, fondateur de l’OVEO


A lire également : les lettres d’Olivier Maurel à Emmanuel Jaffelin publiées sur son site : lettre du 6 mars 2014, puis du 8 mars, après la réponse d’E. Jaffelin (non publiée).


  1. Auteur en 2014 de L’Apologie de la punition.[]

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