Vous dites : « C’est épuisant de s'occuper des enfants.» Vous avez raison. Vous ajoutez : « Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser. » Là, vous vous trompez. Ce n'est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre. Pour ne pas les blesser.

Janusz Korczak, Quand je redeviendrai petit (prologue), AFJK.

Lettre ouverte à la CAF à propos de ses conseils en psychologie

Lettre adressée par une sympathisante de l’OVEO à la Caisse d’Allocation Familiales

Madame, Monsieur,

Dans le numéro de mai 2010 de Vies de famille, le magazine de la Caisse nationale des Allocations Familiales, une psychologue répond aux questions posées par les lecteurs.

Je suis inquiète de lire certains conseils qui sont ainsi adressés à des milliers de parents, en tant que mère et en tant que psychologue-psychothérapeute.

1 / A propos d’une petite fille de 7 ans qui fait pipi au lit (colonne de droite, en haut), la psychologue, après avoir évoqué plusieurs hypothèses (causes complexes, peur de grandir, expression d’un conflit larvé…), conseille de « responsabiliser » l’enfant (sans la brusquer), en lui adressant le message suivant : « Cette affaire-là te concerne, donc je te demande de mettre tes draps au sale, de changer ton linge. »

En quoi la petite fille est-elle « responsable » de son problème, et qu’est-ce que cette « responsabilisation » peut lui apporter ? Cela pourra soulager les parents, certes : ils n’auront plus à porter eux-mêmes les draps au sale. Mais pour cette petite fille, cela signifiera que brusquement, parce qu’elle fait pipi au lit, elle se voit chargée d’une tâche supplémentaire. Donc non seulement elle souffre et ne peut/ne sait exprimer cette souffrance que par ce moyen, sans pouvoir supprimer cette souffrance, mais de plus elle doit en prendre en charge les conséquences… à 7 ans ! Comment pourrait-elle y voir autre chose qu’une punition, et un isolement supplémentaire ?

2 / Cet isolement, on le retrouve dans la réponse à la question précédente, lorsqu’une mère demande ce qu’elle peut faire pour sa fille (6 ans) qui n’aime pas aller chez son père parce qu’elle ne s’entend pas avec la fille de la compagne de son père.

La psychologue propose l’interprétation suivante : « Au moment de la séparation, votre petite fille a sans doute inconsciemment espéré récupérer son papa pour elle toute seule. Or, deux rivales – en la personne de la belle-mère et de sa fille – sont entrées dans le jeu et ont réduit ses espoirs à néant. Normal qu’elle soit déçue et qu’elle s’en plaigne à vous. Rassurez-la en insistant bien sur le fait que personne ne prendra sa place dans le cœur de son papa. Précisez-lui aussi qu’elle n’est pas obligée d’aimer sa belle-mère et sa fille mais que le mieux est d’essayer de bien vivre avec elle, tout simplement pour ne pas se gâcher la vie. »

Et elle ajoute : « Précisez-lui enfin que vous n’avez rien à faire dans cette histoire, que ce n’est pas la vôtre. »

La petite fille cherche ici du secours :

A/ En quoi sa mère n’a rien à faire dans l’histoire de sa fille ? A l’heure où l’on parle tant de l’aveuglement et de la passivité des mères (ou des pères) dans l’abus des enfants, il est étonnant – et très inquiétant – d’entendre un tel appel à l’abandon. Une mésentente entre enfants dans une famille est-elle un problème mineur pour un enfant ? De plus, si l’on a une vision à long terme, supporter une relation désagréable sans essayer de la transformer est-il un bon apprentissage pour l’enfant ?

B/ Pour donner son conseil, la psychologue part d’une hypothèse, à l’évidence issue de son apprentissage théorique, à savoir qu’en vertu de la thèse freudienne du complexe d’Œdipe, toute petite fille désire son père pour elle toute seule. Au fil du conseil, on oublie que l’hypothèse était une hypothèse : le conseil semble alors s’appuyer sur une vérité.

Or, au lieu d’accompagner pas à pas la petite fille dans ce qui la dérange – que se passe-t-il exactement avec cette autre fillette ? Quelle est l’attitude de son père lors de leurs disputes éventuelles ? L’attitude de la belle-mère ? Sont-ils justes ? Essaient-ils de faire que les fillettes s’entendent ? – d’emblée la demande de la petite fille est discréditée : ce n’est pas qu’elle a des problèmes avec cette autre fillette, c’est qu’elle veut son père pour elle toute seule.

C/ La solution préconisée est la suivante : l’enfant doit s’adapter. « Tout simplement pour ne pas gâcher sa vie. » Là encore, c’est à l’enfant de se débrouiller, et de se débrouiller pour supporter ce qui lui pèse. Et si cette petite fille ne le fait pas, c’est elle qui se gâchera la vie… et non l’atmosphère familiale. C’est donc elle qui sera « responsable » de son malheur… à 6 ans !

L’image des relations donnée ici, c’est donc qu’il faut supporter, s’adapter… au lieu de développer le dialogue entre les personnes, un dialogue respectueux, d’écoute mutuelle et de créativité pour trouver des solutions où chacun trouve sa place, où les adultes aident les enfants à transformer leur vie.

J’estime qu’un parent peut et doit interpeller l’autre parent s’il sent que son enfant souffre. Cela peut être fait de façon respectueuse et lucide, et ne peut que rendre service à tous, enfants et parents.

Je suis inquiète de lire de tels conseils de résignation, de confusion entre les âges – adultes et enfants étant mis sur le même plan, et d’interprétations où la théorie l’emporte sur l’observation.

Bien cordialement,

V.J.


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