Vous dites : « C’est épuisant de s'occuper des enfants.» Vous avez raison. Vous ajoutez : « Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser. » Là, vous vous trompez. Ce n'est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre. Pour ne pas les blesser.

Janusz Korczak, Quand je redeviendrai petit (prologue), AFJK.

Lettre ouverte à Caroline Goldman à propos de son interview dans Le Monde

Par Olivier Maurel, février 2023

« Voici la lettre que j'aurais voulu envoyer à Caroline Goldman en réponse à son interview dans Le Monde. Mais je ne trouve ni son adresse d'e-mail ni son adresse postale. Donc je la jette comme une bouteille à la mer. Peut-être qu'elle lui parviendra. »


Madame,

Quelques réflexions me sont venues à l'esprit en lisant votre interview dans Le Monde et je me permets de vous en faire part.

Je ne jetterai certainement pas la pierre à un parent qui, fatigué, excédé, exaspéré, envoie son enfant dans sa chambre parce qu’il ne sait pas que faire d’autre et qu’il ne veut pas lui donner une gifle ou une fessée.

Mais qu’une psychologue réputée comme vous recommande aux parents comme « idéale » une méthode de règlement de conflit qu’il lui serait impossible d’appliquer sans risque à un adulte qu’elle supporterait mal, il y a de quoi être étonné.

Vous semblez d’abord ne pas avoir tenu compte du fait que la méthode d’éducation la plus efficace par laquelle nous influençons nos enfants est l’exemple que nous leur donnons par tous nos comportements, bien davantage que par nos leçons de morale ? Leur mimétisme inné fait que nos comportements, bons ou mauvais, s’impriment dans nos enfants. Pratiquer le time-out, c’est leur enseigner le time-out.

Avez-vous tenu compte ensuite du fait que, parmi nos devoirs de parents, il y a celui d’apprendre à nos enfants à résoudre les situations de conflit sans violence et dans le respect mutuel ? C’est précisément dans les petits conflits de la vie quotidienne avec eux que nous pouvons le mieux remplir ce devoir dès le plus jeune âge. Et si nous y réfléchissons un peu, comme l’éducation bienveillante nous invite à le faire, ce n’est pas très difficile.

Or, en menant votre croisade contre l’éducation bienveillante, que recommandez-vous chaudement aux parents de pratiquer sur les enfants, et cela avec une très lourde insistance :

  • comme une méthode idéale !
  • à partir de l’âge de un an !
  • tout au long de leur enfance !
  • en augmentant la durée de l'éloignement au fur et à mesure qu’ils grandissent ! ?

Eh bien, ce que vous nous recommandez quand on se trouve en conflit avec un être humain beaucoup plus petit et plus faible que nous - un bébé de un an - c’est de l’exclure et de lui dire d’aller pleurer ailleurs : « File dans ta chambre ! » Voilà la leçon de sortie de conflit que vous engagez les parents, par leur exemple, à enseigner aux enfants : « Quand un proche que tu aimes te paraît insupportable, tu le fiches dehors ! »

Eduqué de cette façon, en particulier à des moments de conflit et de stress, il y a peu de doute que l’enfant en question, devenu adulte, reproduira ce comportement d’abord sur ses propres enfants. Mais peut-être aussi sur sa femme quand elle l’exaspèrera : « Fous-moi le camp ! File dans ta chambre ! Va pleurer ailleurs ! »

Du moins si elle est moins musclée que lui. Parce qu’avec un adulte il faut être prudent. Mais avec un enfant, on peut tout se permettre, surtout un enfant de un an !

Et. comme vous présentez cette sortie de conflit comme « idéale », inutile de chercher une autre solution.

Inutile de se demander si, par exemple, en cas de conflit pour une raison ou pour une autre, on ne pourrait pas dire à l’enfant : « Ah ! Là, on n’est pas d’accord. Toi tu voudrais continuer à jouer. Et moi je suis obligé de te demander de t’habiller. Comment on va faire pour se mettre d’accord pour qu’on soit contents tous les deux ? Réfléchissons un peu. » Plutôt que d’exclure l’enfant comme s’il n'était bon à rien, on fait appel à son intelligence et à la nôtre. Et les enfants ont souvent des idées drôles qui peuvent permettre de résoudre le conflit ou d’en sortir par le rire. (Je précise que j’ai eu cinq enfants plus trois mille élèves environ au cours de ma carrière de prof, ce qui m’a donné une certaine expérience.)

Quand on prend cette habitude dès la petite enfance, elle devient un réflexe chez le parent et chez l’enfant, et un réflexe constructif qui stimule à la fois l’intelligence et l’imagination. Ça prend un peu de temps au début, mais ensuite ça évite d’en perdre. Alors que le time-out, c’est une porte qui se ferme sur l’enfant.

Vous écrivez à la fin de votre interview : « Dès qu’un enfant devient pénible pour les autres, il doit sortir de la pièce. » Est-ce que Mémé ou Pépé devenus un peu séniles ou très pénibles pour une raison ou une autre doivent aussi « sortir de la pièce » ? Non, je suppose ? Mais pourquoi ? Les raisons pour lesquelles un enfant peut être pénible sont les mêmes que celles qui peuvent rendre pénible une personne âgée : l’âge (jeunesse d’un côté, vieillesse de l’autre), et l’état de leur cerveau (immaturité, sénilité).

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire mais je m’arrête là.

Et je sors de la pièce.

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