Vos enfants ne sont pas vos enfants, ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même. Ils viennent à travers vous et non pas de vous. Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

Khalil Gibran, extrait du recueil Le Prophète.

Lettre au Professeur Ph. Jeammet

Par Olivier Maurel

Monsieur le Professeur,

Si l’article du Monde d’aujourd’hui 9 janvier sur les punitions est fidèle à vos propos, vous auriez dit, à propos de la fessée : “Si cela n'est pas excessif, ce peut être une réaction saine à un moment donné. “

Je me permets de vous dire que de tels propos témoignent, de votre part, d’un manque d’information et même de réflexion étonnant.

La fessée est inséparable de l’ensemble des punitions corporelles pratiquées sur les enfants parce que, comme toute ces punitions, elle repose sur le principe qu’on a le droit de faire violence aux enfants. A partir du moment où ce principe est admis, les dérives vers la maltraitance sont inévitables. En effet, outre que la fessée en elle-même, quoi que vous en pensiez, est déjà nocive, il y aura toujours un fort pourcentage de parents qui, à cause des violences qu’ils ont eux-mêmes subies, à cause du stress de la vie actuelle, à cause des traditions de leur pays d’origine (pratique admise de la bastonnade en Afrique ou aux Antilles) ou encore à cause du feed-back des enfants (“Même pas mal !”), passeront de la violence éducative tolérée (voire encouragée par vous !) à la maltraitance caractérisée. Admettre le principe qu’on a le droit de frapper les enfants, c’est rendre d’emblée inefficace la lutte contre la maltraitance puisqu’on prétend alors lutter contre un phénomène social tout en en admettant les prodromes. La violence éducative ordinaire, c’est-à-dire admise par la société, est le terreau de la maltraitance physique, mais aussi psychique car admettre qu’on a le droit de frapper les enfants, c’est les réduire à un niveau de sous-humanité qui ne mérite pas le respect. La preuve en est que, sur les enfants, et sur les
enfants seulement, on juge avoir le droit d’enfreindre le principe le plus basique et le plus universel de la morale, celui qu’on trouve dans toutes les religions : “Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse.”

Vous savez très bien que si l’on disait aux maris violents que si les gifles qu’ils donnent à leur femme “ne sont pas excessives”, elles peuvent être “une réaction saine à un moment donné”, ce serait encourager la violence conjugale. Pourquoi ne le reconnaissez-vous pas en ce qui concerne les enfants ?

De plus, de même que la fessée est inséparable de la maltraitance sur le plan national, elle est inséparable, en tant que punition corporelle, des violences beaucoup plus intenses qui sont admises sur les enfants dans la majorité des pays du monde où l’on pratique la bastonnade et bien d’autres sévices qui, appliqués à des adultes, déclencheraient des campagnes d’Amnesty International ou de l’ACAT. L’interdiction que toutes les institutions internationales (UNICEF,
Comité des droits de l’enfant, OMS - ce qu’en tant que médecin vous ne devriez pas ignorer - , Conseil de l’Europe) demandent aux États de prononcer, c’est l’interdiction de toutes les punitions
corporelles, et il n’est évidemment pas question d’en excepter certaines, un peu comme si on disait : “Vous n’avez pas le droit de donner des coups de bâton aux femmes, aux prisonniers, à vos employés de maison, mais vous pouvez les gifler, et même “ça peut être une réaction saine à un moment donné” !

L’interdiction doit être la même pour toutes les violences, sinon on n’arrivera jamais à lutter contre les plus intenses.

Et quand vous souhaitez que “les adultes reprennent confiance et se sentent autorisés à imposer des limites à leurs enfants", vous devriez tenir compte du fait que les limites imposées par la violence aux enfants sont précisément, pour les parents qu’ils deviennent ensuite, une des causes de leur manque de confiance. Quand on stoppe par une claque ou une fessée le comportement d’un enfant qu’on juge inacceptable, on le dresse à ne pas avoir confiance en lui puisqu’on ne fait appel qu’à sa peur d’être frappé.

De grâce, Monsieur le Professeur, informez-vous sérieusement sur la réalité de la pratique des punitions corporelles. Et plutôt que de chercher à déculpabiliser les parents qui frappent, informez-les sur les méthodes multiples qui permettent de poser des limites sans violence physique ou psychique.

Avec le plus grand respect pour votre personne, mais plus modéré pour vos propos.

Olivier Maurel

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