Les livres pour bébés : un moyen efficace d’éduquer… les parents !
par Xavier Rabilloud, membre de l’OVEO
Une étude publiée en 2012 aux États-Unis 1 montre qu'intégrer des informations éducatives à destination des parents dans des livres pour les tout-petits est une méthode efficace pour faire évoluer favorablement les représentations éducatives – en particulier pour décourager le recours aux châtiments corporels.
Brochures et autres supports de documentation sont fréquents parmi les moyens de sensibilisation à destination des parents ou futurs parents. Cependant, plusieurs études menées sur de tels supports d'information en langue anglaise ont montré qu'ils sont souvent d'accès trop ardu au regard du niveau moyen de lecture dans la population adulte.
A contrario, les livres pour bébés permettent de véhiculer de l'information à un niveau de lecture faible et avec l'aide visuelle d'illustrations abondantes. De plus, un livre pour bébé a beaucoup plus de chances d’être lu plusieurs fois qu'une brochure d'information destinée aux parents ; or, la répétition est un facteur important pour l'apprentissage et la mémorisation d'informations.
Enfin, les livres pour bébés sont relativement peu coûteux à produire et à diffuser à grande échelle. Ces chercheurs américains indiquent que leur impression en nombre coûte 1 à 2 dollars (entre 0,8 et 1,7 €) et estiment qu'ils pourraient être diffusés lors des visites pédiatriques, dans le cadre de programmes de promotion de la lecture, par les institutions publiques et autres. Ils notent aussi que la diffusion de livres éducatifs pour bébés a d'autres effets positifs, sur les interactions parent-enfant, sur le développement du langage, sur les futures capacités de lecture de l'enfant.
La chercheuse américaine Stephanie M. Reich et son équipe ont donc testé l'hypothèse que de tels livres sont un moyen efficace pour transmettre aux parents des connaissances sur le développement des jeunes enfants, et pour modifier leurs représentations sur les attitudes parentales appropriées, en particulier concernant les châtiments corporels.
Des livres pour enfants qui découragent les châtiments corporels
Six livres ont été créés spécialement pour cette série d'études. Chaque livre fournit des recommandations adaptées à un âge du bébé (nouveau-né, 2 mois, 4 mois, 6 mois, 9 mois, 12 mois). Ces recommandations concernent le développement physique, cognitif et émotionnel, la sécurité de l'enfant à la maison, en voiture et à l'extérieur, les soins que la mère peut s'accorder à elle-même, les avantages de l'allaitement, les « stratégies éducatives » (disciplinary strategies) et la nutrition.
En ce qui concerne l'éducation, les livres dissuadent les mères de frapper/fesser les enfants, et les incitent à utiliser des « stratégies éducatives » alternatives : distraire ou rediriger l'attention de l'enfant, et « encourager les comportements appropriés 2) ».
Chacun des six livres a été décliné dans une version « éducative » et une version « non éducative », avec des illustrations identiques mais des textes différents. Seules les versions « éducatives » véhiculent les messages de sensibilisation désirés ; les versions non éducatives comportent des textes neutres quant aux thèmes de recherche.
Les personnes suivies dans l'étude ont été réparties en trois groupes : le 1er groupe recevait gratuitement les 6 livres en version éducative, le 2e groupe les 6 livres en version non éducative, et le 3e groupe aucun livre.
145 mères d'un premier enfant ont participé à l'étude
L'étude a été menée aux États-Unis, auprès de 145 femmes, mères d'un premier enfant (primipares), à faibles revenus, ethniquement diverses bien qu'à forte dominante afro-américaine (63 % contre 31 % de « caucasiennes » et 9 % d’« hispaniques ») ; il est à noter que les châtiments corporels sont une pratique « éducative » particulièrement légitimée dans la population afro-américaine aux États-Unis 3). Ces femmes ont été « recrutées » pour l'étude au cours de leur premier trimestre de grossesse. Elles ne connaissaient pas le but de l’étude, mais pensaient participer à une recherche sur la lecture aux bébés, au cours de laquelle elles recevraient éventuellement des livres gratuits. Les résultats ont été régulièrement évalués jusqu'aux 18 mois de l'enfant.
Après lecture, les mères ont un avis plus négatif sur les châtiments corporels
Deux études précédentes (référencées dans celle commentée ici) avaient déjà démontré que les livres éducatifs pour bébé permettaient d'augmenter les connaissances des mères en matière de prévention des blessures et de développement de l'enfant, et d'améliorer les pratiques liées à la sécurité de l'enfant au cours des 18 premiers mois.
La nouvelle étude montre que les livres éducatifs pour bébés sont un moyen efficace et peu onéreux pour modifier les représentations des mères sur la parentalité, en particulier sur l'usage des châtiments corporels. Les analyses conduites dans le cadre de l'étude ont montré que c'était le cas à la fois pour les femmes avec un faible niveau d'études et pour celles avec un niveau d'études élevé.
Menée dans un contexte américain, elle a aussi montré que cela était d'autant plus vrai pour des femmes afro-américaines, ce qui est notable étant donné la légitimation fréquente des châtiments corporels comme moyen éducatif dans la population afro-américaine.
Principales limites de l'étude
Stephanie Reich et ses collaborateurs ont l'honnêteté d'expliciter diverses limitations plus ou moins significatives de leur étude. Sans entrer dans trop de détails que le lecteur intéressé pourra trouver dans l'étude elle-même, il convient de mentionner les plus importantes.
L'étude a évalué les représentations des personnes suivies, notamment concernant les châtiments corporels (ainsi que plusieurs autres facteurs liés à la parentalité, y compris certaines autres formes de violence éducative, mais pas seulement). Cependant, elle n'a pas recueilli de données sur l'impact de la lecture des livres éducatifs pour bébé sur les pratiques effectives des mères, qui n’est donc pas mesuré. C'est probablement la principale limite de l'étude : même si de nombreuses études ont déjà montré une corrélation significative entre les représentations et les pratiques éducatives – en particulier en matière d'usage des châtiments corporels -, cette étude ne démontre que la réduction des représentations éducatives favorables aux châtiments corporels, mais pas une réduction effective de leur utilisation, qui n'est pas mesurée.
Par ailleurs, l'échantillon étudié étant principalement composé de femmes à faibles revenus, l'étude ne permet pas en toute rigueur d'extrapoler ces résultats à des femmes à revenus plus élevés. De même, les résultats ne peuvent pas être extrapolés à des personnes ayant une plus longue expérience éducative, la population étudiée étant exclusivement constituée de femmes primipares.
Une autre limite évidente – non mentionnée par les chercheurs – est que cette étude ne concerne que des mères et non des pères. L’illustration reproduite ici, extraite d'un des livres, laisse supposer que la mise en scène d’une mère (et non d’un père) était une contrainte nécessaire afin de maximiser, par identification, la sensibilisation de l'adulte qui lirait le livre.
- Stephanie M. Reich, Emily K. Penner, Greg J. Duncan, Anamarie Auger, Using baby books to change new mothers’ attitudes about corporal punishment, Child Abuse & Neglect 36 (2012) 108-117, doi:10.1016/j.chiabu.2011.09.017.[↩]
- Cette pratique, bien qu’évidemment beaucoup moins « violente » que les châtiments corporels, est cependant sujette à caution, dans la mesure où elle peut facilement devenir un contrôle et une manipulation du comportement – avec le risque, concernant les compliments, que l’enfant n’apprenne pas à développer son propre jugement (sur ce qui est bon ou mauvais pour lui-même et les autres), mais devienne dépendant de l’avis du parent pour toutes ses actions ou « accro aux compliments ». Voir cet article sur le « système récompense-punition » et le livre d’Alfie Kohn Aimer son enfant inconditionnellement. (Note OVEO.[↩]
- Voir par exemple cet article (en anglais) de 2010 sur le site NoSpank : Time to Spare the Rod in Black Communities. (Note OVEO.[↩]
‹ Les Châtiments corporels de l’enfant, par Daniel Delanoë Le manque de soins et de maternage après la naissance engendre des perturbations génomiques dans les neurones ›