C'est à l'échelle mondiale qu'il faut désormais inventer de nouveaux concepts mobilisateurs, pour parvenir à cet idéal : l'égalité en dignité et en droit de tous les êtres humains.

Françoise Héritier, anthropologue, ethnologue, féministe, femme politique, scientifique (1933 – 2017)

Le mensonge du père Noël

Le père Noël, à la fois vaste campagne commerciale et support de violence éducative ordinaire...

Par Victorine Meyers

père noëlIl était une fois, un vieux bonhomme avec une grande barbe blanche qui vivait au pôle Nord....
La plupart des contes commencent ainsi. Lorsque j'ai commencé à lire des contes à mes enfants, je précisais toujours qu'un conte est une histoire qui s'est transmise au fil du temps et qui ne raconte pas forcément la réalité ni la vérité, qui peut être tout simplement plaisant à écouter, ou qui a été écrit avec une visée éducative ou une volonté de transmettre une tradition.
Qu'en est-il de l'histoire du père Noël ? Elle n'est pas présentée comme un conte, mais, bien au contraire, la société tout entière se ligue pour orchestrer le plus grand canular de l'histoire, celle de l'existence du père Noël. Ce père Noël ne vient que si les enfants sont sages, dès le début du mois de décembre, la plupart des personnes que nous rencontrons demandent à mes enfants s'ils ont bien été sages... ce à quoi je réponds que non, et que je ne le souhaitais pas ! Ou bien mes enfants répondent eux-mêmes qu'ils savent que le père Noël n'existe pas.... Je suis alors « accusée » de ne pas donner l'occasion à mes enfants de vivre la magie de Noël... Nous n'avons pas besoin d'inventer une histoire pour vivre la magie d'un moment de partage, l'excitation du moment où nous décorons ensemble, l'attente des cadeaux, et puis les voeux que nous échangeons à l'occasion du jour du solstice d'hiver autour d'un feu pour fêter le retour de la lumière.
La magie résiderait-elle dans les menaces - « si tu n'es pas sage, le père Noël ne passera pas » -, ou bien dans les sempiternels magasins habillés de lumière pour attirer les convoitises, ou encore dans les plats de traiteurs qui videront votre porte-monnaie ou votre compte en banque pour que vous puissiez festoyer autour d'un repas « extraordinaire »... ?
Faire croire à son enfant que le père Noël existe, et utiliser ce mensonge pour obtenir obéissance et résultats scolaires, par exemple, est de l'ordre de la violence éducative ordinaire. N'oublions pas le père Fouettard qui apporte le martinet : je n'ai que 37 ans et j'en ai reçu un, alors, oui, cela existe encore ! Ni saint Nicolas qui apporte les douceurs si les enfants ont été bien sages...
Je ne connais pas d'adultes dans mon entourage qui remettent en question cette mascarade, ils sont plutôt scandalisés que je le fasse, en réalité, j'ose croire que peut-être cela les met mal à l'aise et que la réflexion qui en découlera leur fera prendre conscience de ce mensonge collectif.
Raconter l'histoire du père Noël à nos enfants peut être un moment chaleureux et joyeux, si l'enfant sait que c'est un conte, son imaginaire peut se laisser entraîner au gré de l'histoire.
En revanche, que pensent les enfants à qui on a fait croire au père Noël en découvrant que celui-ci n'existe pas ?
Je me souviens avoir été envahie d'une grande vague de tristesse... j'ai pleuré, beaucoup pleuré.. sur ce personnage que je trouvais sympathique et qui finalement n'était qu'un mensonge... et puis j'ai été en colère contre mes parents et tous ceux qui m'avaient menti... Certes, j'étais une petite fille « bien élevée », ou plutôt, devrais-je dire, bien conditionnée, donc je n'ai pas exprimé cette colère, je savais qu'elle était irrecevable, je l'ai donc enfouie... mais je suis restée avec une cicatrice de plus...
Lorsque j'ai reçu le martinet du père Fouettard et que mon grand-père m'a dit : « Tu vois, si tu n'es pas sage, ce sera pour toi », j'ai été envahie d'un grand froid, mais j'ai su très vite que je me conformerais, comme je l'ai toujours fait, à ce qu'on attendait de moi... jusqu'au jour où j'aurais ma revanche...
L'idée de se venger vient souvent de blessures reçues, on courbe le dos sous les coups (pas forcément physiques, les coups sont aussi les atteintes à l'intégrité par des mensonges, des trahisons...), et se forge l'idée de prendre sa revanche...
Je me venge aujourd'hui en refusant de prendre part au mensonge du père Noël, encore heureux que la vengeance n'est pas d'un autre ordre... Oserai-je faire le parallèle avec les violences dont on accuse les jeunes aujourd'hui ? Oui, j'ose, ce ne sont pas seulement les coups, les gifles, les claques, mais bien aussi les chantages, punitions, menaces, humiliations qui sont le terreau de la violence de nos enfants devenus adolescents. Leur revanche sur ce qu'ils ont subi sans pouvoir rien faire, sans avoir de témoin bienveillant comme le décrit Alice Miller, éclate... et on déplore alors la « mauvaise éducation » donnée par les parents...


Mythe et mensonge : la perte de la confiance

Par Anne Le Quellec

En ce qui concerne le mythe du père Noël, pas mal de parents pensent faire plaisir à leurs enfants, mais, s'ils se souvenaient de ce qu'ils ont éprouvé en découvrant la vérité, ils remettraient cette tradition en question. Pour se faire une idée de ce qu'un enfant éprouve en découvrant que ceux auxquels il a besoin de faire confiance lui ont menti, sans motif vital, peut-être suffit-il de se souvenir de ce que, adulte, on a ressenti quand on a découvert par un tiers qu'une personne très proche nous avait menti ?
Je n'ai pas oublié le jour où j'ai su que le père Noël n'existait pas. Je ne sais pas exactement quel âge j'avais, au moins six ans. C'est une voisine, plus âgée que moi (environ 12 ans), qui me l'a dit dans l'escalier de mon immeuble, alors que nous faisions un bout de chemin ensemble. Sans doute était-ce à l'époque de Noël, ce qui expliquerait que le sujet ait été abordé, par elle ou moi j'ai oublié. Ce dont je me souviens bien, c'est du ton condescendant sur lequel elle m'a demandé : « Tu ne sais pas encore qu'il n'existe pas ? » Non seulement j'étais très perturbée par le mensonge, mais en plus j'avais honte de ma naïveté... Il est évident que les enfants apprennent presque toujours la vérité de cette façon...
Mentir à la (ou les) personne(s) qui dépend(ent) de nous et a (ont) donc besoin de nous faire confiance pour ne pas être plongée(s) dans la confusion, cela ne fait aucun bien. Ce n'est déjà pas particulièrement gentil de mentir juste pour « taquiner », en rétablissant rapidement la vérité. Mais faire durer des années un mensonge, quel qu'en soit le but, c'est un abus de confiance et de pouvoir. C'est utiliser la naïveté de l'enfant, puis, lorsque le mensonge est découvert, porter atteinte à l'innocence existant au fond de chaque être humain. Le fait de préserver une grande part d'innocence (et non d'aveuglement) tout au long de sa vie est certainement un facteur limitant la destruction du vivant par les êtres humains, une source de bonheur, d'émerveillement et de confiance en l'autre... Le mensonge n'est nécessaire que pour se protéger en cas de menace de plus fort que soi. Ne pas dire toute la vérité, c'est bien sûr souvent une façon de respecter la sensibilité de l'autre, mais mentir sciemment à un plus faible que soi, je ne vois là aucune bienveillance.


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