Le droit de nommer les choses
Témoignage reçu en réponse au questionnaire du site
Avez-vous subi vous-même de la violence éducative au cours de votre enfance ? Sous quelle forme?
Oui douches froides, coups et fessées.
À partir de et jusqu'à quel âge ?
Vers l’âge de 9 ans, un peu avant et un peu après.
Par qui ? (père, mère, grands-parents, autre personne de la famille ou de l'entourage, enseignant…)
Ma mère uniquement.
Cette ou ces personnes avaient-elles elles-mêmes subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?
Ma mère n’en a pas le souvenir, je ne lui ai parlé que lorsque j’avais 40 ans de mes douloureux souvenirs d’enfance et ensuite je lui ai demandé si elle-même avait reçu de la violence, mais elle ne s’en souvient pas et elle n’a pas de souvenirs avant l’âge de 12 ans.
Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d'alors (colère, tristesse, résignation, indifférence, sentiment d'injustice ou au contraire de l'avoir ”bien mérité“...) ?
J’étais complètement effrayé, essayant de fuir, mais ma mère me tenait fermement les bras pour que ne m’échappe pas. J’avais très peur de ce qu’elle allait me faire. J’ai ensuite basculé dans la tristesse et la résignation.
Avez-vous subi cette(ces) épreuve(s) dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?
Je me sentais complètement seul face à cette violence reçue. Mon père, qui n’a jamais frappé personne, travaillait beaucoup et n’était pas témoin de ces scènes. Ma sœur et mon frère ont aussi reçu des coups, mais n’en étaient pas témoins pour moi et je n’en étais pas témoin pour eux. En fait, la seule personne à qui j’aurais pu en parler, c’était ma mère. Une fois, après qu’elle m’a frappé, je l’ai regardée en face et lui ai dit que ce n’était pas bien. C’était très important pour moi de nommer les choses pour m’en détacher, mais elle a alors levé la main, me demandant si j’en voulais encore. Ce refus de reconnaître mon droit de nommer ce qui venait de se passer pour le mettre à l'extérieur de mon être pour prendre soin de moi m’a fait plus de mal encore que la violence physique. Ma capacité à m’aimer de façon autonome et non dans le regard de l’autre en a pris un coup.
Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?
J’étais triste, cela a eu une répercussion sur mon entrain à apprendre à l’école et ma joie de vivre. Ma vie a changé avec cette violence, je me suis renfermé en partie.
Quelles en sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ? En particulier vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d'enfants (les vôtres, ou professionnellement) - merci de préciser le contexte ?
Je n’ai pas eu d’enfant, mais j’ai fréquenté ceux d’amis ou de ma sœur. Durant des années j’étais mal à l’aise avec les enfants. En particulier les enfants enjoués et gais, dont l’attitude d’ouverture à la vie donnait du relief à l’état de souffrance de mon enfant intérieur. Lorsque mes souvenirs d’enfance ont refait surface, 30 ans après les faits, j’ai écrit quotidiennement pour donner la parole à l’enfant que j’étais à l’époque. Après 5 ans d’écriture et autres soins, j’ai retrouvé progressivement un équilibre et j’ai constaté qu’en retrouvant le dialogue avec mon enfant intérieur ma capacité à communiquer avec les enfants s’améliorait beaucoup. J’ai aussi retrouvé une meilleur capacité à être en relation avec une compagne.
Lorsque je suis témoin de violence faite aux enfants, avant que ma mémoire ne me livre ce que j’avais vécu enfant, je n’avais pas de mal à intervenir ou à signaler de tels actes. Lorsque je me suis replongé dans mes douleurs d’enfance, je n’arrivais plus à agir en étant témoin de ces barbaries, car je n’étais plus un adulte capable d’intervenir, mais soudainement en état de sidération et paralysé. Après 5 ans de catharsis je peux à nouveau intervenir lorsque je suis témoin de violence faite aux enfants.
Si vos parents ont su éviter toute violence, pouvez-vous préciser comment ils s'y sont pris ?
Mon père a su éviter la violence tant verbale que physique, mais il me semble qu’il était dans une certaine forme de violence contre lui-même.
Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?
C’est une éducation globalement nourrissante mais contrastée. Mis à part cette violence j’ai été bien entouré par mes parents, ma sœur et mon frère aînés. Mes parents avaient un esprit assez ouvert et m’ont permis de vivre mes passions. Cette violence imprévisible et cachée aux yeux des autres créait une grande interrogation dans ma conscience. Je me souviens très clairement d’avoir analysé la situation, me disant qu’il me faudrait changer de parents, et l’instant d’après comprenant que ce n’était pas une solution envisageable, j’ai du coup décidé de me construire mentalement une mère idéale et d’occulter ces épisodes de violence qui pourtant altéraient tristement mon équilibre et ma joie de vivre.
Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative est courante ?
Pas de façon visible dans l'entourage de familles de mes amis ni des amis de mes parents. Ceci dit, à l'école et plus tard au collège où j’étais, il y avait très souvent de la part des professeurs des attitudes de domination et d’humiliation publique, parfois même des baffes. La violence éducative était courante dans ce collège (catholique), comme dans tant d’autres j’imagine à l’époque.
Si vous avez voyagé et pu observer des pratiques coutumières de violence à l'égard des enfants, pouvez-vous les décrire assez précisément : quel(s) type(s) de violence ? par qui ? à qui (sexe, âge, lien de parenté) ? en quelle circonstance ? pour quelles raisons ? en privé ? en public ?
J’ai constaté en France de la violence faite aux enfants par les mères ou les pères sous forme de chantage affectif, de moqueries, de coups, en public (galeries marchandes, pleine rue, aéroport…) ou en privé. Je n'en ai pas été témoin lors de mes nombreux voyages, mais je n'ai pas eu souvent l'occasion d'entrer dans l'intimité des familles plusieurs jours de suite.
Qu'est-ce qu'évoque pour vous l'expression « violence éducative ordinaire » ? Quels types de violence en font partie ? Et quelle différence faites-vous, le cas échéant, entre maltraitance et « violence éducative ordinaire » ?
La violence éducative ordinaire évoque pour moi toutes les attitudes physiques, psychiques et verbales de domination, rabaissement, brutalité… Il me semble que la maltraitance (je vous réponds sans vérifier au préalable ) concerne aussi un défaut de soins par incapacité ou négligence.
Avez-vous des objections aux idées développées par l'OVEO ? Lesquelles ?
Non. Simplement j’ai lu plusieurs livres d’Alice Miller et à chaque fois ils font monter en moi un manque, une frustration. Je trouve qu’il manque une dimension à ce qu’elle partage. Il me semble qu’en rejetant l’idée de pardon elle se prive d’un regard vaste sur l’existence qui nous permet de prendre de l’altitude et quitter le magma d’une vision trop dualiste sur nos expériences de vie. Pourtant je n’utilise pas de façon évidente le terme de pardon, qui pour moi est trop lié à la religion, mais je crois qu’il y a de la place pour une libération et une vision apaisée que les propos d’Alice Miller ne m’ont pas livrée.
Par ailleurs, en prenant du recul sur ce qu’est la violence, il me semble que souvent est nommé violence des faits centrifuges qui vont d’un individu vers les autres quelle que soit leur forme, et pas assez la violence centripète que l’individu retourne contre lui-même.
J’ai été et suis encore trop souvent violent contre moi-même. Aujourd’hui j’ai besoin d’avoir une vision plus vaste. De voir par quels inspirations, attitudes, actes et choix de vie nous pouvons collectivement libérer la circulation de la vie pour que les violences, que ce soit celles qui sont apparentes ou celles que l’on s’inflige à soi-même, se transforment en conscience puis liberté et joie.
Comment nous avez-vous connus : site ? livre d'Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autres ?
À travers le livre La Fessée.
Ce site a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l'égard des enfants ?
Je me suis senti moins seul à trouver ces actes barbares et dommageables pour toute notre société et même notre environnement.
François, 50 ans, « milieu bourgeois »
‹ Un père sadique Je ressens toujours ce sentiment de honte ›