La violence faite aux enfants dans les traditions religieuses et spirituelles
La violence éducative ordinaire fait de plus en plus débat, aussi dans les traditions religieuses et les écoles de sagesse. Dans la même période, nous avons reçu un certain nombre d’informations sur ce sujet, ainsi qu’un article sur l’enfance des « maîtres spirituels » que nous publions sur cette page.
L’ONG Global Initiative to End All Corporal Punishment of Children vient de publier en anglais (mai 2015) un “manuel” destiné aux croyants de toutes les religions pour montrer que ces religions ne préconisent pas nécessairement les châtiments corporels : Ending corporal punishment of children – a handbook for worship and gatherings (version abrégée : Faith-based support for prohibition and elimination of corporal punishment of children – a global overview)
La déclaration de Kyoto reproduite dans cette brochure (p. 53-54) n’existe apparemment pas en français, mais la conférence mondiale Religions for Peace (mai 2006) est citée par la sénatrice canadienne Céline Hervieux-Payette (membre du comité de parrainage de l’OVEO) dans cet article sur le Canada. Voir aussi sur le site de l’Unicef le communiqué de presse du 29 août 2006 : La huitième conférence mondiale des religions pour la paix adopte une déclaration sur la violence contre les enfants.
Olivier Maurel a répondu par un commentaire à un article de François Cassingena-Trevedy intitulé Fessée à la fessée (sic), publié dans le n° de juin 2015 de la revue jésuite Etudes. Nous reproduisons ci-dessous sous une forme plus lisible ce commentaire, paru en plusieurs morceaux sur le site.
Comme toujours en pareil cas, d’autres commentaires soutiennent l’auteur, qui use d’une façon qu’on peut juger aussi perverse qu’habile de son autorité et de son « talent littéraire » pour faire passer des idées rétrogrades. Il tourne en dérision le débat sur « la fessée » (à noter qu’il est effectivement bien commode de limiter à « la fessée » la question de la violence éducative ordinaire et de ses multiples formes !) et nous explique que, pour grandir et devenir un être humain digne de ce nom, nous avons besoin de chocs salutaires (voire d’électrochocs) – si la fessée est sans doute trop vulgaire pour des esprits élevés, il peut, lui, nous trouver d’autres moyens plus raffinés. En oubliant au passage qu’un enfant n’est pas un adulte et n’a pas le choix de dire oui ou non à ces moyens d’élever son âme…
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Mon père,
Permettez-moi de vous dire que votre article à propos de la fessée est consternant. Consternant par le ton ironique que vous adoptez pour parler d'une question sur laquelle vous n'avez manifestement aucune information sérieuse.
Vous parlez des punitions corporelles comme s'il s'agissait d'une question dérisoire alors qu'en réalité c'est un fait anthropologique majeur qui a probablement fait de l'espèce humaine l'espèce la plus destructrice et violente de toutes les espèces. Savez-vous qu'on bat les enfants depuis au moins 5000 ans comme en témoignent partout, dans toutes les sociétés anciennes, les proverbes qui apparaissent en même temps que l'écriture ?
Que les enfants ont été battus partout pendant toute la durée de la formation de leur cerveau, c’est-à-dire de peu de mois ou d'années après leur naissance jusqu'à leur majorité dans les sociétés patriarcales, ce qui a littéralement modelé leur cerveau en l'habituant à la violence, en le forçant à s'y soumettre et en le préparant à l'utiliser ?
Que les coups leur étaient donnés par les personnes (parents et enseignants) qui étaient les modèles des enfants, ce qui augmentait encore leur efficacité destructrice ?
Que la violence qu'ils subissaient était du niveau de la bastonnade et de la flagellation dont la gifle et la fessée donnée à main nue sont des restes atténués mais bien de la même lignée ?
Que l'Eglise, votre Eglise, a sans aucun état d'âme encouragé cette pratique pendant vingt siècles dans tous ses établissements scolaires et dans les familles ?
Que les contestataires de cette pratique (Erasme, Rabelais, Montaigne, Rousseau et bien d'autres) ont souvent été condamnés et mis à l'index par votre Eglise et que celle-ci a résisté pendant des siècles jusqu'à aujourd'hui à l'évolution qu'ils ont heureusement déclenchée ?
Qu'aujourd'hui encore, dans beaucoup de pays, ce sont les Eglises qui s'opposent à l'interdiction des punitions corporelles ?
Qu'aujourd'hui encore, dans la dernière édition du Catéchisme de l'Eglise catholique, l'article 2223 cite benoîtement un des proverbes bibliques qui encouragent cette pratique ?
Que le Comité des droits de l'enfant a dû rappeler à l'ordre le Vatican qui n'a toujours pas interdit les punitions corporelles non seulement pour les quelques dizaines d'enfants du personnel du Vatican, mais pour les 57 millions d'enfants accueillis dans les écoles dépendant du Vatican ?
Savez-vous aussi que dans un petit livre dont vous avez peut-être eu l'occasion de lire le titre : l'Evangile, on trouve sur les enfants des paroles d'un certains Jésus de Nazareth qui sont assez peu compatibles avec la fessée que vous considérez comme un usage si charmant et si formateur ?
Olivier Maurel.
A lire également : Quand le Saint-Père parle des pères… lettre ouverte d’Olivier Maurel au pape… qui nous propose régulièrement de nouvelles versions du « coup du père François » ! Espérons que, au-delà d'une encyclique sur l'écologie fort nécessaire, le pape lira l'article d'Olivier Maurel Une pollution méconnue : la violence éducative...
Que serait la sagesse dans un monde dans lequel les besoins de tout enfant seraient respectés ?
par Véronique Brard
La question que je me pose est la suivante : dans une société où nous ignorons tout des besoins de l’enfant, pouvons-nous poser comme hypothèse que les conséquences de la violence faite aux enfants conditionnent même l’enseignement des «sages» de notre époque ?
Cette réflexion s’est imposée à moi à la lecture du livre Pour chaque moment de la vie, livre dans lequel Fabrice Midal a réuni certains textes de Chögyam Trungpa. Chögyam Trungpa est considéré comme l’un des plus importants maîtres spirituels du XXe siècle « par sa capacité à ouvrir la sagesse qui réside en nous, sans faire aucun compromis. » Aux États-Unis comme en Europe, il est suivi par de nombreuses personnes s’intéressant aux enseignements bouddhistes.
En lisant ce livre, il m’a sauté aux yeux que l’éducation que nous recevons conditionne ce que nous sommes et ce que nous enseignons, même dans le cas de ceux qui sont considérés comme des maîtres spirituels et qui sont certainement des êtres éminemment spirituels. Il me semble évident qu’il existe une maltraitance, non nommée, non reconnue, dans l’éducation de ces personnes – réellement exceptionnelles à plus d’un égard - et qu’elle conditionne en partie leur enseignement.
Je partage pour ma part la croyance que certains enfants sont nés pour avoir un destin spécial et que certaines traditions savent reconnaître ces enfants et leur donner les conditions de vie qui vont leur permettre de développer les qualités nécessaires à la mission pour laquelle ils sont venus sur terre. Il en est ainsi des enfants qui deviendront des Mamus dans la tradition Kogi, par exemple. Je peux respecter ces traditions même si à un certain niveau, elles sont choquantes. Il n’en reste pas moins que lorsque je lis le livre de Fabrice Midal, je ne peux m’empêcher de voir entre l’éducation reçue par Chögyam Trungpa et son enseignement des liens étroits de cause à effet.
Voici ce que Fabrice Midal écrit dans ce livre p. 9 (les notes et les italiques sont celles du livre) :
« Né au Tibet en 1939, Chögyam Trungpa est élevé dans une perspective Traditionnelle 1, c’est-à-dire un monde où la sagesse n’est pas une invention personnelle dépendant de notre seule subjectivité, mais un trésor reçu par une transmission fondée sur une autorité - en tant qu’instance sacrée de la légitimité 2. Héritier d’une lignée remontant au Bouddha lui-même, Chögyam Trungpa est formé pour transmettre cette voie dans sa pureté inhérente. Il témoigne à plusieurs reprises de ses résistances à assumer un tel destin - si l’on sait entendre par là la capacité à “rendre possible un avenir à la mesure de ce qui nous a été légué”. Et pour rendre possible un tel avenir et être à la hauteur de sa tâche, il lui fallait tout abandonner : “On me remettait toujours à ma place. Depuis l’âge de dix-huit mois, on m’avait élevé strictement, de sorte que je n’aie aucun point de repère, aucune idée de ce qu’était la liberté ou une discipline relâchée. Je n’avais aucune idée de ce que pouvait être une vie d’enfant ordinaire qui joue dans la terre, ou avec des jouets, ou qui mord un morceau de métal rouillé ou quelque chose d’autre 3.”
« La rencontre avec son maître, après des années durant lesquelles il est élevé par ses tuteurs, change tout. Ce dernier lui présente le visage vivant de ce qu’on lui avait jusqu’alors enseigné. »
Notons que la rencontre avec ce maître, d’après ce livre, va se faire lorsque cet enfant à 9 ans ; neuf années passées avec des « tuteurs » qui n’incarnent pas ce qu’ils enseignent. Clairement, les besoins premiers de sécurité et d’attachement qui sont ceux de tout enfant n’ont pas été présents dans l’enfance de ce maître. Il existe une maltraitance certaine à obliger un enfant entre 18 mois et 9 ans à vivre de cette façon.
Un peu plus loin, p. 14, avec cette superbe ignorance avec laquelle on traite encore de nos jours de l’enfance, Fabrice Midal écrit à propos de l'exil forcé de Chögyam contraint de quitter le Tibet lorsqu’il a vingt ans :
« Il n’est animé d’aucun regret, ou tout au moins d’aucune nostalgie, pour le monde de son enfance, cet âge d’or où il a pourtant été traité avec tant d’égards et où, malgré la corruption, quelque maîtres avaient réalisé pleinement la vérité du chemin. »
Nommer une telle enfance âge d’or est sérieusement questionnable… Je suis tout aussi interpellée par cette phrase de Fabrice Midal, un peu plus loin dans sa préface p. 16 : « […] Nous avons ici un précieux indice pour comprendre l’exigence propre à notre temps : reconnaître qu’aucune solution ne peut nous éviter l’expérience de l’angoisse et de la douleur. Il n’est pas possible de se cacher ou de se protéger du chaos. »
Dans ma vision, rien ne peut nous éviter de ressentir, une fois devenu adultes, les sentiments et ressentis que nous avons mis de côté lors de notre enfance. La négation de la maltraitance de l’enfance nous amène alors à considérer ces ressentis et sentiments comme les expériences normales et obligées de tout adulte. A mon avis, elles ne le sont pas. Ce sont simplement les sentiments enfouis en nous, ceux dont notre enfance nous a «imbibés» qui remontent lors de notre vie d’adulte. Il se peut qu’une enfance heureuse nous donne une tout autre expérience.
Dans l’enseignement de Chögyam, certains points sont des aides et des insights remarquables. J’aime son « Ne pas fatiguer la vérité » et d’autres points fulgurants de sens, mais ce qui me frappe, c’est qu’il va, comme l’écrit Midal et comme l’ont expérimenté un certain nombre de ceux qui ont suivi son enseignement, sans cesse désorienter ses lecteurs et ceux qui cherchent à suivre son enseignement.
Il ne fait que nous redonner en cela, selon ma lecture, cette désorientation dont il a été victime dans son enfance. Il va prôner l’insécurité comme doctrine de base, il va se faire le chantre de l’abandon de tout repère et même celui de l’abandon de l'espoir. « Aucun maître, aucune situation ne devrait assurer un réconfort à quiconque », enseigne-t-il. Les citations suivantes me semblent tout aussi explicites :
P. 95 du livre cité : « L’exigence de base pour marcher sur la voie spirituelle est l’inespoir. Le désespoir c’est la paresse, un intellect insuffisant. On n’est même pas disposé à chercher la raison du désespoir. C’est un vide complet.
L’inespoir, en revanche, est très intelligent. On n’arrête pas de chercher. On tourne une page après l’autre en disant : « C’est sans espoir, sans espoir. » On reste extrêmement vigoureux, inespérément vigoureux. On cherche encore des lueurs d’espoir, mais chaque fois on finit par se dire : « Ah non ! Beurk ! »
P. 97 : « Il ne subside [subsiste ?] aucun espoir de comprendre quoi que ce soit. Il ne subside aucun espoir de découvrir qui a fait quoi ou quoi a fait quoi ou comment les choses fonctionnent. »
Plus loin, p. 361, dans « Être sans sol et sans points de repère », il écrit : « Le problème réside dans le fait que nous essayons toujours de nous sécuriser, de nous assurer que tout va bien. Nous cherchons constamment quelque chose de solide à quoi nous accrocher. »
Le but de cet article n’est pas de réduire ou de détruire l’enseignement de Chögyam Trungpa, simplement de réfléchir au fait que tous sur cette terre nous venons de siècles de maltraitance et que tous ceux que nous nommons sages, voire saints, sont imprégnés des conséquences psychologiques de cette maltraitance. Tous ceux qui vivent sur terre sont influencés par leur enfance et aucune enfance, même celle de ceux qu’on nomme les maîtres, n’est exempte de maltraitance. Même une grande figure comme Amma a été maltraitée et a maltraité ses disciples. Je parle de cette grande figure spirituelle hindoue Mata Amritanandamayi qui chaque année, au Zénith de Toulon, entre autres, offre son étreinte et son réconfort. La maltraitance de l’enfance, son influence même sur ceux que notre société nomme sages ou saints est une chose dont nous devons devenir conscients.
Pour moi, contrairement à ce qu’écrit Fabrice Midal, la sagesse reste une invention personnelle qu’il nous faut découvrir et aucune tradition avec un petit ou un grand T ne nous y mènera. Seul le discernement est de mise.
Pour finir, citons encore une phrase de Chögyam Trungpa qui peut fort bien, je l’espère, ne plus être une vérité dans un monde où les enfants ne seront plus maltraités : « Ni triste ni joyeux. Nous opposons habituellement ces deux sentiments. Mais, en réalité, quand notre cœur est ouvert, il est tout à la fois triste et joyeux. Pourquoi les distinguer ? La tristesse authentique est inséparable de la joie. » J’espère bien que non.
Il me semble que même l’enseignement des guides spirituels pourrait être différent si une certaine maltraitance, voire une maltraitance certaine n’était pas présente dans leur enfance. Lorsque je lis le dernier livre de Daniel Meurois Vu d’en haut, j’y trouve une simplicité rafraichissante : « […] Tout naturellement parce que la Vérité et le Bonheur se confondent. Est vrai ce qui rend heureux, car ce qui rend heureux rend bon. Bon pour soi, bon pour l’univers. » Il est vrai que ceux qui parlent là sont des êtres dont l’enfance ne s’est pas passée sur terre… pour ceux qui aiment ouvrir leur esprit à cette possibilité.
A voir [la vidéo n'est plus disponible] : Quand l'explication du mal donnée par le bouddhisme ne passe plus, émission télévisée où une Cambodgienne, ancienne professeure de philosophie, raconte son éloignement du bouddhisme à la suite des exactions commises par les Khmers rouges. Elle explique (à partir de la 8ème minute de la vidéo) que, dans le bouddhisme, l'attitude recommandée face à la violence est la "sérénité" (donc l'acceptation et la soumission, non la révolte). La loi du karma, commune au bouddhisme et à l'hindouisme, est une loi de causalité (telles causes entraînent tels effets), mais aussi de responsabilité, qui veut que chacun soit "responsable" de ce qui lui arrive - si le mot de "culpabilité" n'est pas prononcé, là encore, on voit bien qu'il n'y a qu'un pas de l'une à l'autre. La prise de conscience survient pour elle "quand le karma change de camp", que, mise face à sa propre faiblesse, à celle de son fils de trois ans, de ses amis fusillés, elle n'accepte plus d'être "responsable" (selon la loi du karma) de la violence subie. A la fin du reportage, elle raconte sa conversion au catholicisme quelques années plus tard, en France, à cause, dit-elle, de l'Evangile et de la personne "à taille humaine" de Jésus, qui n'est pas présenté comme "au-dessus de toutes les passions", contrairement au Bouddha et aux maîtres spirituels bouddhistes. (N.B. : l'OVEO est une association laïque, dont les membres peuvent être athées ou de n'importe quelle religion ou tradition. Nous ne présentons en aucun cas cette "conversion" comme une nécessité ni un progrès, mais un choix personnel, dans une certaine situation.)
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(Mise à jour du 29/07/2020) : dans le même esprit critique de la "loi du karma" comme "théorie bouclier" (Alice Miller), un article de Marc-André Cotton paru dans Peps n° 24 (printemps 2019) à propos d'une phrase couramment employée par certains thérapeutes : Les enfants choisissent-ils leurs parents ?
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Une adhérente de l’OVEO a relevé quelques citations que nous reproduisons. N’hésitez pas à nous en envoyer d’autres !
Dans La méditation m'a sauvé de Phakyab Rinpoché (Le Cherche-Midi éditeur), p. 45 : « Je lui [son père] suis reconnaissant des fessées retentissantes qu'il réussit à me donner [...]. J'avais une énergie débridée [...]. Que serais-je devenu si son autorité ne m'avait fait prendre conscience des limites à ne pas franchir ? » « Mon père me battit avec une telle rage que, pendant plusieurs jours, je ne pus plus m'asseoir [...]. Je lui en sais infiniment gré. »
Le livre de Sarah Naphtali, S'occuper de soi et de ses enfants dans le calme - Bouddhisme pour les mères (Payot), donne certains conseils qui nous interpellent… (A suivre.)
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Les enfants sont couramment battus dans les monastères tibétains. Dans son livre Mon autobiographie spirituelle, le Dalaï-Lama parle, sans la remettre en cause, de la violence subie de la part de ses maîtres quand il était enfant. Dans un entretien télévisé pour l'émission La marche du siècle, le Dalaï-Lama répond à des questions sur son enfance, ses parents (qui ont joué des rôles très différents envers lui) et son tuteur.
Le 10 janvier 2013, Olivier Maurel a publié sur sa page Facebook un passage du discours prononcé par le Dalaï-Lama le 25 mai 2008 à Nottingham en Angleterre (lire le texte complet) :
Comment aider autrui
En ce qui concerne la manière d’aider les autres, il y a de nombreuses façons de le faire ; en général, cela dépend des circonstances. Quand j’étais jeune, vers sept ou huit ans, et que je devais étudier, mon tuteur Ling Rinpotché gardait toujours un fouet sur lui. À cette époque, mon frère aîné immédiat et moi-même étudiions ensemble. Alors en fait, il y avait deux fouets : l’un des deux était jaune, c’était un fouet sacré, un fouet pour le Dalaï-Lama. Même un fouet sacré, quand on l’utilise, je ne pense pas qu’il provoque une quelconque douleur sacrée ! Cela semble dur comme méthode, mais en réalité ce fut très utile. [C’est nous qui soulignons.]
Finalement, le fait qu’une action soit utile ou nuisible dépend de la motivation. Sur la base d’un souci sincère pour le bien-être d’autrui à long terme, les méthodes peuvent être tantôt dures, tantôt douces. De temps en temps, même un petit mensonge peut aider. Par exemple, supposons qu’un ami proche ou un parent vivant dans un pays éloigné soit gravement malade ou presque mourant, et que vous le sachiez. Mais vous savez aussi que si vous dites à telle personne qu’un de ses proches est sur le point de mourir, celle-ci sera bouleversée et inquiète, et risque même de perdre connaissance. Alors vous dites : « Il, ou elle, va bien. » Si votre préoccupation est à cent pour cent de ne pas contrarier cette personne, alors, dans un tel cas, bien que le mensonge soit non éthique d’un point de vue de votre intérêt personnel, il se peut qu’il soit le plus approprié d’un point de vue altruiste.
Les méthodes violentes et non-violentes
Donc, quelle est la meilleure manière d'aider autrui ? C’est difficile. Nous avons besoin de sagesse ; il nous faut avoir une conscience claire des circonstances ; et nous avons besoin de flexibilité pour recourir à des méthodes différentes en fonction des circonstances. Mais le plus important est la motivation : nous avons besoin de nous sentir sincèrement concernés par les autres.
Par exemple, que l’on emploie une méthode violente ou non violente dépend sensiblement de notre motivation. Bien que le fait de dire un « mensonge blanc » constitue en soi un acte de violence, il peut, selon la motivation, être une méthode permettant d’aider les autres. Donc, de ce point de vue, c’est une méthode non violente. D’un autre côté, si nous faisons un cadeau à quelqu’un dans l’intention d’en retirer quelques bénéfices, ce n’est pas, en apparence, un acte de violence ; mais au final, puisque nous voulons abuser de l’autre personne et l’exploiter, c’est une méthode violente. Ainsi, la violence ou la non-violence dépendent de la motivation. Toutes les actions humaines dépendent de la motivation. Cela dépend aussi du but poursuivi, d’une certaine manière ; mais si notre cible est une fin en soi et que notre motivation est la colère, alors c’est difficile. Ainsi, en dernier ressort, la motivation est ce qu’il y a de plus important.
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Commentaire d’Olivier Maurel :
« […] J'avoue que, sans me surprendre, [ce passage] me déçoit pas mal. J'aurais cru que le Dalaï-Lama, après toute une vie de méditation, aurait raisonné d'une façon un peu moins banale et un peu plus consciente. Ce qu'il dit là : « Cela semble dur comme méthode, mais en réalité ce fut très utile », c'est ce que disent tous les adultes qui ont subi, de leurs parents ou de leurs éducateurs, des violences habituelles dans la société où ils vivaient, et ne les ont pas remises en question. Avec un raisonnement pareil, on justifie aussi bien le fouet que la gifle et la fessée ou la bastonnade. J'ai entendu exactement les mêmes propos de gens qui avaient été frappés à coups de bâton. Mais ce passage, pour moi, prouve autre chose. C'est que la méditation et la prière sont incapables de faire prendre conscience du mal causé par la violence faite aux enfants. Les Eglises chrétiennes pendant vingt siècles ont prié, appelé sur elles le Saint-Esprit, et pendant vingt siècles elles ont recommandé de battre les enfants. Il a fallu que ce soient des dissidents de la religion ou des athées qui montrent que battre des enfants est de la maltraitance et a des conséquences catastrophiques. Jésus pourtant a parlé des enfants dans des termes qui auraient dû pousser ses disciples à renoncer à cette méthode d'éducation. Mais, précisément parce qu'ils avaient été eux-mêmes battus par leurs parents auxquels ils étaient viscéralement attachés, comme tous les enfants, ses disciples n'ont pas pu comprendre ce qu'il disait. »
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Ce sujet est développé dans le dernier livre d’Olivier Maurel, Vingt Siècles de maltraitance chrétienne des enfants, paru en mars 2015 aux éditions Encretoile (voir la présentation du livre sur le site d’Olivier Maurel).
Voir également : Dictons, proverbes, expressions… violents envers les enfants
Le catéchisme pour la violence éducative ?
- Nous écrivons ce terme avec une capitale pour le distinguer du sens vague et courant qui est désormais le sien. Par Tradition, il faut entendre la transmission vivante au cœur d’une lignée authentique d’enseignements qui vise à ouvrir l’homme à l’inconditionnel.[↩]
- Cf. Hannah Arendt, « Qu’est-ce que l’autorité » ? in La Crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972 p.121-185.[↩]
- Chögyam Trungpa, Voyage sans fin. La sagesse tantrique du Bouddha, trad. Stéphane Bédard, Éd. du Seuil, 1992 p.130.[↩]
‹ Deux réactions à la violence éducative