Il est urgent de promouvoir la culture du respect de l’enfant comme “ultime révolution possible” et comme élément fondamental de transformation sociale, culturelle, politique et humaine de la collectivité.

Maria Rita Parsi, psychologue italienne.

La corrida, une éducation à la violence

A la suite de nos contacts avec Hélène Brissaud, assesseur au tribunal pour enfants d’Aix-en-Provence, et avec d’autres personnes qui relient maltraitance des enfants et des animauxa, nous avons reçu de Dimitri Mieussens, auteur de livres sur la corrida, l’article suivant, qui traite des dangers particulier pour les mineurs du spectacle (et de la pratique !) de la corrida.

Comme cela est expliqué sur le site Pas de corridas pour les enfantsb, la corrida est seulement un cas parmi tous les spectacles violents qui peuvent être proposés aux enfants et aux adolescents (l'un des rares spectacles, cependant, qui consiste explicitement, et de manière non fictive, à torturer un animal, chose que seule permet dans la loi française l'exception de "tradition locale ininterrompue"). Il ne s’agit pas pour l’OVEO d’en faire son « cheval de bataille », et nous n'oublions pas non plus les tortures infligées aux animaux d'élevage, cette fois sous prétexte de nous nourrir, ou aux animaux de laboratoire sous prétexte de nous soigner. Mais le cas de la corrida est frappant et emblématique à divers titres.

De plus, les arguments des défenseurs de la corrida (et de ceux qui s’opposent à son interdiction aux mineurs) ont ceci d’intéressant qu’ils sont encore bien souvent le fait de personnalités influentes, d’artistes et d’intellectuels qui reprennent les dogmes psychanalytiques de la « pulsion de mort » (qu’il faudrait satisfaire par ces spectacles) et de la « catharsis » nécessaire si l’on ne veut pas que la violence (supposée innée chez l’être humain et non le produit de l’éducation) trouve d’autres exutoires plus dangereuxc… Cet argument est aussi celui qui justifie beaucoup de spectacles ou d’œuvres culturelles en général mettant en scène la violence, y compris des œuvres destinées aux enfants (contes, chansons, etc.). Les arguments présentés dans cet article et sur les pages qui y sont citées en lien peuvent donc s’appliquer également dans ces cas.


a. Chacune pouvant être un indicateur et un symptôme de l’autre – il est par exemple beaucoup plus rare que, dans une famille, les enfants seuls soient maltraités et non les animaux, ou inversement, même s’il existe des cas où un seul enfant ou animal sert de « souffre-douleur » (dans ce cas, il nous semble de toute façon que la présence d’un souffre-douleur dans une famille est en soi une forme et un indicateur de violence éducative ordinaire concernant tous les membres de cette famille !).

b. Extrait : « Bien entendu, le spectacle de la corrida n'est pas un facteur de traumatisme pour tous les enfants*. Bien entendu, la corrida n'est pas de nos jours un facteur de violence majeur, par rapport aux problèmes de sécurité socio-économique, de cohérence éducative, de structure familiale, ou d'environnement urbanistique. Mais il s'agit au moins, en principe, d'un facteur que la société peut contrôler. » (* La phrase est un peu ambiguë, mais il faut entendre par là, bien sûr, que tous les enfants ne sont pas amenés à voir une corrida, et non que ce serait un facteur de traumatisme seulement pour certains, mais pas pour tous les enfants qui verraient ce spectacle ! Note de l’OVEO.)

c. On notera en particulier, sur le site de la « contre-pétition » en lien dans l’article ci-dessous, une contribution d’Elisabeth Roudinesco, citée comme auteure de La part obscure de nous-mêmes, Une histoire des pervers (tout un programme…) et qui fait un parallèle entre les opposants à la corrida et les comportementalistes qui veulent manipuler les êtres humains comme des rats de laboratoire, ou encore les traite de « nouveaux fascistes »…

A lire également sur notre site, sur cette question de la violence « nécessaire », un article d'Alfie Kohn : L'agressivité est-elle innée chez les humains ?


Les enfants de la corrida

Par Dimitri Mieussens, auteur de L'Exception corrida

Habituellement, dans nos sociétés modernes, l’accès des spectacles violents au jeune public est réglementé afin de préserver des individus par définition fragiles. Cependant, en France, les arènes sont ouvertes aux enfants qui se font alors spectateurs mais aussi acteurs d’un spectacle décrié : la corrida. Existe-t-il un risque pour les enfants de la corrida ? Des psychiatres et des psychologues se sont penchés sur la question.

I - Les spectacles violents et le jeune public

Les raisons de détourner les jeunes des spectacles violents n’échappent généralement à personne. Le public mineur est un public particulier qu’il faut préserver d’influences néfastes parce qu’il est composé d’individus en pleine construction affective, donc éminemment influençables et fragiles. En France, c’est l’article 227-24 du Code pénal qui assure la protection de l’enfance contre, notamment, tout message à caractère violent. En substance, ledit article stipule que « le fait soit de […] diffuser par quelque moyen que se soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent […] ou de nature à porter atteinte gravement à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ».

Quel est, concrètement, le danger d’exposer un mineur aux scènes de violence ?

Le danger le plus souvent mis en avant est celui de favoriser ou d’augmenter l’expression de l’agressivité chez des personnes qui sont des êtres en devenir, c'est-à-dire engagés dans des processus évolutifs majeurs qui feront d’eux des hommes et des femmes, des citoyens du monde, que l’on souhaite généralement dotés d’un bon équilibre affectif.

Il n’est aujourd’hui plus mis en doute que la violence se développe à travers l’exposition répétée à des scènes de violence1. Pour dire vrai, le débat n’est pas tout à fait clos, et l’on peut parfois entendre ou lire que les spectacles violents diminueraient l’agressivité du sujet parce qu’ils agiraient sur lui comme une sorte de défouloir. Néanmoins, les spécialistes de la question, psychiatres et psychologues, s’accordent plus volontiers à dire que de tels spectacles déclenchent des pulsions agressives, qu’ils sont susceptibles de servir de modèle dans la vie réelle, ou encore qu’ils banalisent la violence avec le risque, dans ce dernier cas, que le sujet ne réagisse plus face à une situation qui nécessite normalement une attitude de rejet de sa part2.

II - La corrida est, pour le moins, un spectacle violent

Ce n’est pas un postulat que de dire que les courses de taureaux à l’espagnole sont des spectacles violents. Même ceux qui n’ont jamais assisté à une corrida savent que l’animal est provoqué, blessé jusqu’au sang et mis à mort sur une période déterminée et idoine3.

On peut légitimement considérer que les souffrances infligées aux taureaux relèvent de la « torture » prise dans son acception large de tourment, de persécution au travers de souffrances physiques mais aussi morales4. Cette torture est une composante essentielle et déterminante du spectacle : si les toreros ne faisaient pas souffrir le taureau durant un quart d’heure, il n’y aurait pas de corrida. Aussi, lorsque l’on aborde la question de la violence dans la corrida se pose également la question de la cruauté. Que les actes mêmes, et eux seuls, réalisés à l’aide de différents outils (banderille, pic, épée, poignard), revêtissent un caractère cruel est un fait indéniable. L’« acte de cruauté » est d’ailleurs, comme les « sévices graves », un motif qui justifie l’interdiction de principe de la corrida en France (cf. C. pén., art. 521-1). Par contre, il est difficile de savoir si, dans l’afición, on trouve quelque inclination à prendre plaisir à voir des hommes vêtus avec luxe diminuer physiquement une bête, jusqu’à sa mort programmée. Autrement dit, si la cruauté, un penchant malsain pour la souffrance et la mort, anime les aficionados. Selon les plus célèbres d’entre eux, comme Picasso, Leiris, Ibanez, Hemingway, Solana, cela ne faisait pas de doute. Ce dernier, par exemple, percevait la corrida comme « un révélateur de la cruauté humaine, un catalyseur des pulsions les plus négatives de l’individu5 ». Certes, il s’agissait d’une autre époque, d’une époque où l’on « déboyautait », pour reprendre une expression d’Hemingway, de tristes haridelles à la demande expresse d’un public qui avait le goût du sang qui coule et qui ne s’en cachait pas. Cependant, je crois qu’il est légitime et pertinent de se poser la question de savoir si, à notre époque, et à tout le moins, il reste quelque réminiscence de cette cruauté dans les attentes du public, si ce dernier est encore animé d’une curiosité morbide.

Nous avons vu que la corrida est un spectacle violent, voyons maintenant quelles sont les mesures prises en la matière pour protéger l’enfance.

III - Le spectacle tauromachique et le jeune public

La Catalogne, qui, en juillet dernier, a banni toutes les corridas de son territoire, interdisait déjà, depuis 1999, leur accès aux enfants de moins de 14 ans ; en Equateur, l’interdiction est toute récente et ne concerne que les enfants de moins de 12 ans ; au Mexique, l’accès des arènes avait été interdit plus largement à tous les mineurs – cette réglementation resta en vigueur seulement un temps (très court), le temps que le lobby taurin réussisse à détourner presto l’interdiction en faisant pression sur les politiques.

Et en France ?

Chez nous, tout au plus avons-nous un CSA qui considère que les images télévisuelles comportant des scènes de corrida nécessitent une signalétique de catégorie II (déconseillé aux moins de 10 ans). Et c’est tout. Les arènes sont donc ouvertes aux enfants de tout âge, et l’industrie tauromachique exploite amplement cet avantage : tarifs préférentiels, prosélytisme dans les écoles, ferias des enfants, écoles tauromachiques. Même si les écoles tauromachiques6 (6) sont en France d’une importance confidentielle (3 à 4 écoles accueillant une poignée d’élèves), il faut savoir que, dès l’âge de 10 ans, un enfant peut, les mercredis et samedis après-midi, dans le cadre de ses activités extrascolaires, s’escrimer, de ses mains malhabiles, à blesser puis à tuer un animal, en l’occurrence un taurillon ou une génisse, sous les applaudissements d’un public pour partie enfantin. Il s’agit d’un véritable apprentissage de la violence par des enfants, dont le but n’est pas de faire de futurs toreros mais des aficionados et, surtout, de faire plaisir à papa.

Voici donc un spectacle à la violence crue, interdit par la loi française pour cause de sévices graves et d’actes de cruauté (sauf lorsqu’il y a « tradition locale ininterrompue »), destiné à tout public… Ce genre de paradoxe n’est pas rare au sein du phénomène complexe de la tauromachie et les bizarreries y sont légion. Par exemple, les écoles tauromachiques sont subventionnées par les communes et les conseils généraux, ou encore les associations protectrices des enfants sont silencieuses sur la question des jeunes et de la corrida. On a même pu voir l’UNICEF-France, dont la mission est « d'assurer à chaque enfant, santé, éducation, égalité et protection », tenir un stand au cours d’une feria des enfants à Nîmes (certes, sans mise à mort). Que faut-il comprendre ? Que les enfants et adolescents n’encourent aucun risque à assister aux corridas ou même à y participer ? Tournons-nous vers les personnes qui ont une compétence particulière en la matière : les psychiatres et psychologues, dont certains se sont spécialement prononcés sur le problème des enfants de la corrida.

IV - Quels risques pour le jeune public des courses de taureau ?

Des professionnels de la santé, spécialistes de psychiatrie et de psychologie, se sont exprimés sur la question de l’influence de la corrida sur le jeune public. Que disent-ils ? Les enfants qui assistent ou participent aux corridas encourent-ils quelque danger d’ordre psychique ? Les avis sont tranchés, comme toujours en la matière.

La réponse est oui, selon un collectif français créé autour des docteurs J.-P. Richier et J. Lequesne, réunissant à ce jour 75 psychiatres et psychologues qui expliquent pourquoi ils demandent « que le spectacle de la corrida, ainsi que l'entraînement à sa pratique, ne soient plus autorisés aux moins de seize ans ». Selon le collectif, les risques encourus par les enfants sont notamment les suivants :

- « effets traumatiques », résultant de certaines scènes pouvant heurter le jeune public ;

- « accoutumance à la violence », laquelle est enseignée en alléguant art, culture et tradition ;

- « fragilisation du sens moral », en raison de l’incohérence qu’il y a à confronter un droit à faire souffrir des animaux, sous couvert de tradition, aux valeurs inculquées par une société qui condamne la souffrance faite aux êtres vivants. Le spectacle tauromachique dans lequel un animal est contraint à participer et auquel on « inflige longuement des blessures puis la mort » est susceptible de « déstabiliser les critères du juste et de l’injuste » ;

- « perturbation des valeurs » résultant de la faiblesse des justificatifs de la corrida (esthétisme, tradition, identité culturelle) face à la souffrance, au sang et à la mort, et dans une « société [qui] est en train de repenser en profondeur nos rapports avec les animaux et avec la nature ».

La réponse est non, si l’on prête attention à une sorte de contre-pétition, qui n’a pas eu autant de succès que la première puisqu’elle regroupe à peine une quinzaine de signatures. Si les arguments ici mis en avant ne sont pas toujours d’ordre médical – les pétitionnaires ne sachant pas toujours faire taire les aficionados qu’ils sont – cette initiative est surtout abîmée par quelques propos malheureux ou cocasses, voir risibles (on y parle des antispécistes7, que l’on traite de « nouveaux fascistes », on fait référence à des « valeurs de la chevalerie », etc.). Tout cela n’est pas très sérieux, aussi ne vais-je pas en relever toutes les « balourdises »8 pour m’attarder un peu plus sur un argument plus appréciable, mis en avant par les médecins issus du petit monde de la tauromachie, permettant à ces derniers de répondre par la négative à la question qui nous retient.

Voici ce que disent et soutiennent les psychiatres et psychologues opposés à l’interdiction de la corrida aux moins de 16 ans pour cause de violence : l’enfant n’est jamais seul dans l’arène, il y a un adulte pour lui expliquer ce qui se passe, pour donner un sens à tout ça. Il s’agirait de prévenir, par des explications, l’excitation provoquée par le spectacle en ce qu’elle peut être traumatisante pour l’enfant – « Cela se fait par la parole qui explique les situations dans leur vérité avec des mots justes », dit précisément le Dr J. Maller sur le site de la FSTF. Ceci exposé, est-ce qu’expliquer la violence de la corrida à l’enfant spectateur peut suffire ? A mon avis non, pour trois raisons.

- Tout d’abord, il y a dans le spectacle tauromachique de la chair déchirée, des heurts, du sang, une mise à mort rarement efficace, et donc, souvent, un animal à achever au poignard (avec plus ou moins de bonheur) et des beuglements déchirants à la clé. Bref, rien de montrable à un enfant, ni même à un adolescent.

- Ensuite, si l’on peut considérer que certaines violences peuvent être expliquées pour leur donner un sens, et plus exactement pour dire qu’il est juste de les provoquer (on tue pour se nourrir, par exemple), ce ne peut être une raison en soi pour qu’on puisse considérer lesdites violences comme montrables à n’importe qui.

- Enfin, et surtout, si certaines violences sont justifiables (par exemple prélever – c'est-à-dire tuer – des animaux sauvages dans une population en surnombre car privée de son prédateur naturel), ce n’est pas le cas de la violence des corridas. En effet, cette violence ne peut trouver aucun fondement légitime car une de ses composantes essentielle et nécessaire ne peut elle-même trouver de justification : je veux parler de la cruauté des actes. La cruauté ne se justifie pas. Jamais. Il est intéressant de noter que ce caractère « non justifiable » des actes de cruauté se retrouve dans le Code pénal : la nécessité, fait justificatif permettant d’écarter la responsabilité pénale, a été expressément supprimée par la loi du 6 janvier 1999 en matière de sévices graves et d’actes de cruauté envers les animaux, le législateur ayant considéré qu’il ne pouvait jamais être nécessaire d’exercer de tels actes.

Cela dit, il est intéressant de connaître les explications données au jeune public dans les arènes et au retour des ferias. En effet, lorsque l’aficionado explique le spectacle tauromachique, c’est au travers d’un discours fardé de légendes, d’idées sans consistance, de paradoxes insurmontables où l’homme, par « tradition » et « au péril de sa vie », domine un « animal féroce », dans un combat où la bête, humanisée, se fait « complice » du torero et « collabore9 » à la réalisation d’un « chef-d’œuvre éphémère », notamment « en retardant l’échéance [de sa mort] à l’extrême » pour ne pas nuire à la réputation du matador, parce que, il faut le dire, le taureau « accepte son destin » et il est animé d’un « vif désir de mourir », etc., etc. 10. Autrement dit, le discours est fantasmagorique et abracadabrantesque, il repose sur un raisonnement dont la logique apparente, très fragile, est destinée à masquer la réalité, à faire illusion (il y a essentiellement négation de la souffrance et négation de l’animal lui-même au moyen de réifications et d’humanisations).

Est-ce cela les « mots justes », les « situations [expliquées] dans leur vérité », comme le soutient le Dr J. Maller (cf. supra) ? Est-on sûr que ces paroles satisfont un jeune public qui, forcément, s’interroge face à la brutalité sanguinolente et mortifère des courses de taureaux ? Les enfants ne sont-ils pas confrontés à des contradictions insolubles puisque les valeurs et qualités évidentes qu’on leur enseigne en dehors des arènes – la compassion, la considération, le respect de l’animal, la condamnation des actes cruels, des souffrances inutiles, etc. – réfutent celles que le discours taurin véhicule ? Et quelles leçons morales essentielles entend-on enseigner aux enfants de la corrida lorsque des hommes torturent et abattent des animaux qui, dans un combat imaginaire, sont à leur merci ? Comment, en outre, se construit la relation de ces enfants avec les animaux, sinon sur de mauvaises bases ? Au travers de ces questions, nous le devinons, le discours taurin lui-même n’est pas sans risque pour la jeunesse.

La corrida est un spectacle violent, de sang et de mort. Ce n’est donc pas un spectacle pour les enfants et les adolescents, et encore moins une activité extrascolaire. En outre, comme la violence des corridas est spécialement caractérisée par des « actes de cruauté » et des « sévices graves », lesquels interdisent par eux-mêmes de trouver des raisons valables à l’existence de cette violence, toute tentative d’y enrôler de jeunes individus fragiles et immatures relève, à n’en pas douter, d’une certaine irresponsabilité.


1. Les études réalisées sur le sujet sont abondantes. Le plus souvent elles portent sur deux phénomènes de société incontournables couramment imprégnés de violence : la télévision et les jeux vidéo.
2. Voir à ce sujet notamment : J. Godefroid, Psychologie. Science Humaine et science cognitive, De Boeck, 2008, 2e éd.
3. Au-delà de 15 minutes, l’animal saisit les subterfuges (essentiellement que ce n’est pas la cape qu’il faut encorner) et devient, par conséquent, réellement dangereux. Durant le spectacle, le danger repose avant tout sur les fautes que peuvent commettre les toreros, parce que ce que l’on appelle l’art de toréer est une chorégraphie, dont la première des prouesses est qu’elle est réalisée quasiment au millimètre près à l’aide d’animaux trop lourds, car intensivement alimentés, mais surtout créés par la méthode de la sélection pour être éminemment prévisibles. Le matador de toros Belmonte déclara à ce sujet que « […] les toros de corrida constituent un produit de civilisation, une fabrication industrielle comme les parfums Coty ou les automobiles Ford. » (in Manuel Nogales, 1936, in Bourdin, Corrida, la fin des légendes, Denoël, 1992, p. 48).
4. Le taureau est un animal grégaire. A son entrée dans l’arène, il se trouve séparé de ses congénères, accueilli par une foule en liesse et une poignée de toreros qui gesticulent dans tous les sens. L’animal balaie ces drôles d’agitateurs par des charges hésitantes, avant de choisir un petit bout de terrain dans cet espace sans coin (souvent proche du toril et de son odeur rassurante, parfois à l’endroit où est mort, juste avant, un de ses congénères). Sur ce bout de terrain, il se sent en sécurité, c’est la querencia d’où on le déloge en le citant (en l’excitant) pour le toréer.
5. Solana, 1961, in Barbé Coquelin de Lisle, 1990, in Zumbielh, La tauromachie, art et littérature, L’Harmattan, 1990, p. 59.
6. Voir à ce sujet, notamment : « La torture ça s’apprend ? » sur TV7provence.com.
7. Le spécisme est une discrimination selon l’espèce comme le racisme l’est selon le concept (biologiquement infondé pour l’espèce humaine) de race. L’antispécisme s’est construit pareillement, par analogie avec l'antiracisme.
8. Je ne traiterai pas non plus des habituels sophismes comme, par exemple, il y a pire ailleurs, (les enfants qui meurent de faim) ; il vaudrait mieux s’occuper d’autre chose (comme « [des] enfants qui ont des chiens de combat », dit le Dr Rufo dans La Provence du 30/09/2007). Ces arguments sont expressément fallacieux, ils n’expliquent rien et sont destinés à détourner l’attention. Voir à ce sujet notamment : J.-B. Jeangène Vilmer, « Les sophismes de la corrida », Revue Semestrielle de Droit Animalier n° 2, 2009, p. 119-124. (Note de l’OVEO : Cf. aussi, du même auteur membre du collectif juristes-animaux, une tribune dans Libération.)
9. A défaut de collaborer, le taureau qui ne s’accorde pas aux canons de la tauromachie peut être qualifié de criminel – c’est le cas lorsqu’il ne charge pas droit, a tendance à frapper obliquement d’un côté ou de l’autre, ou ne se laisse pas abuser par le leurre de la muleta.
10. (10) J’ai livré pêle-mêle en italique des formules que l’on trouve invariablement dans le discours taurin autant pour rendre compte d’un spectacle que pour justifier la corrida elle-même. Voir à ce sujet notamment mon ouvrage : L’Exception corrida. De l’importance majeure d’une entorse mineure, L’Harmattan, 2005, p. 171 sq.

, , ,