En cette période de fêtes, que l'OVEO vous souhaite aussi heureuses que possible, nous nous posons une nouvelle fois la question de l'usage qui peut être fait du père Noël, au-delà de son simple rôle de "pousser à la consommation"...
Je ne dirais pas que faire croire ses enfants au père Noël relève de la violence éducative, cela ne s'apparente pas à une fessée ou une humiliation, en revanche, cela consiste clairement pour moi en une manipulation, avec un résultat assez violent : la plupart des enfants vivent très mal la trahison (car c'en est une), la découverte de la vérité et donc la prise de conscience : « Mes parents et la société en général m'ont menti depuis toujours. »
Je ne comparerais pas non plus le père Noël avec les fées, les elfes, les « monstres » (gentils…), les constructions imaginaires de toute sorte avec lesquelles ma fille de trois ans adore vivre. La différence avec tout autre personnage imaginaire, c’est son ancrage dans le réel. Le père Noël a ceci de particulier qu'il est fourni clés en main, l'enfant n'a aucune liberté d’imaginaire sur lui, il est présenté comme réel au même titre que n'importe quel être humain, et la société a construit le mensonge de façon très élaborée : le père Noël est partout, on ne peut y échapper.
Mon but ici n’est pas de pointer un doigt accusateur sur les parents (très majoritaires) qui entretiennent le mythe avec leurs enfants. Nous avons presque tous grandi avec le père Noël et il me paraît naturel, lorsqu’on a des souvenirs de moments magiques, de vouloir les revivre avec ses enfants. Ce que j’essaie d’expliquer ici, c’est que, derrière la magie apparente de Noël, se cache également un mensonge. En effet, dire à ses enfants que ce personnage existe, avec des mises en scène comme le biscuit mangé et le verre de lait bu, les cadeaux sous le sapin, les rappels constants au sein de la famille et du monde extérieur, et cela durant des années, n’est pas anodin, et que c’est peut-être une de ces habitudes qu’on peut parfois choisir de rejeter lorsqu’on les regarde sous un angle différent et qu’on les remet en question.
C’est mon cas. Ma fille ne croit pas au père Noël (on ne lui a pas dit qu'il n'existait pas, on ne lui en parle pas, c'est tout), elle reçoit ses cadeaux de notre part, et la magie est là, dans le plaisir d'être ensemble (comme chaque jour, d'ailleurs !), dans le plaisir d'offrir et de recevoir quelque chose d'agréable de la part de quelqu'un qu'on aime et qu'on peut prendre dans les bras pour le remercier (et qui ne nous décevra pas aussi brutalement quelques années plus tard...).
Ma fille a tout un monde imaginaire que nous encourageons, qu’elle crée aussi toute seule, ou à partir d’histoires, de livres, de jeux, de ce qu’elle voit et entend… La particularité du père Noël, c’est que c’est un mensonge organisé. Dès le début du mois de décembre, il est partout, avec son visage joufflu et bonhomme, sa hotte débordant de cadeaux (pour les enfants sages, bien sûr, ceux qui ont fini leur soupe, dormi la nuit, pas gigoté sur leur siège, pas réclamé, pas pleuré, pas protesté, pas critiqué, pas désiré…).
Elle adore Peter Pan et croit bien évidemment qu’il existe, comme les personnages des histoires que nous lui lisons, comme Balthazar et Pépin, la petite taupe, le gentil loup… mais elle découvrira qu’il n’existe pas « pour de vrai » quand elle y sera prête, cela se fera en douceur, parce qu’il n’a jamais fait partie du monde réel, parce que c’est elle qui a choisi d’y croire. Contrairement au père Noël, avec lequel la société fait un travail considérable pour duper les enfants, et ainsi préparer le sentiment de trahison et de déception qui suivra des années plus tard. On répète aux enfants chaque jour d’hiver qu’il va venir, on le voit dans les magasins, on entretient la supercherie et la manipulation. Il existe pour moi une différence fondamentale entre encourager les enfants à « croire », à élaborer des mondes magiques, et leur mentir littéralement, chaque jour, ainsi que toute la société. Le sentiment de trahison est, il me semble, bien particulier au père Noël. Il est également assez traumatisant d’apprendre non seulement qu’on nous a menti toutes ces années, mais que ceux qui l’ont fait sont les personnes qui étaient censées nous guider, nous instruire, nous soutenir, nous protéger.
On pourrait, j’imagine, essayer de traiter le père Noël comme un personnage parmi d’autres, un bonhomme magique qui vient apporter les cadeaux par la cheminée. Mais c’est oublier que nous vivons dans une gigantesque communauté... Notre enfant va à la crèche, à l’école, côtoie d’autres enfants et adultes, sort dans la rue ! Le mensonge sera distillé quoi qu’on fasse, et si l’enfant pense déjà qu’il existe un père Noël, il sera entraîné malgré lui dans la frénésie générale, et y croira comme les autres.
Souvent, lorsqu’un enfant a un moment de doute, les parents le rabrouent comme s'il était déloyal ou méchant. Il y a aussi les menaces liées au père Noël : si tu ne finis pas ta soupe, si tu ne fais pas ceci ou cela, si tu n’es pas sage, alors le père Noël ne passera pas. Il te voit, tu sais, que penses-tu qu'il dirait s’il te voyait ? Il te juge…
Un moyen de pression, une menace de plus. Et même si la plupart des parents non violents n'ont pas recours à ces manipulations, le mensonge est là, construit, organisé, avec en plus ce côté consommateur et capitaliste. Cela fait partie de ces « évidences » culturelles acquises. Si on y déroge, on est coupable. On n’a « pas le droit ».
Ce que je ne comprends pas, en fait, c'est pourquoi ? Pourquoi le père Noël ? Quel intérêt de mentir de façon aussi laborieuse et forcenée aux enfants, alors qu'il existe déjà tant de magie dans le monde, et tant d'imagination merveilleuse dans leurs têtes ?