Quand on a rencontré la violence pendant l'enfance, c'est comme une langue maternelle qu'on nous a apprise.

Marie-France Hirigoyen.

J’étais persuadée que les enfants devaient être matés dès le plus jeune âge

Témoignage reçu en réponse au questionnaire du site.

Avez-vous subi vous-même de la violence éducative au cours de votre enfance ? Sous quelle forme ?

Oui, violence physique (assez peu) et psychologique.
- Gifles (peut être 10 en tout par mon père, toujours pour des mensonges)
- Surement quelques fessées et tapes sur la cuisse dans ma petite enfance (mais je ne m’en rappelle plus très clairement)
- Menaces de fessées
- Isolement forcé dans ma chambre et/ou mon lit
- Absence de réponse à mes pleurs de bébé (il fallait que l’on fasse nos nuits !) et d’enfant (quand j’étais punis dans mon lit et que je pleurais, personne ne venais, seul le sommeil mettait un terme à mes appels)
- Culpabilisations / pas de place pour les émotions « négatives » : « vous n’êtes pas très malheureux quand même ! Il y en a beaucoup qui aimeraient être à votre place ! Vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez !»
- Négligences de ma mère concernant les problèmes médicaux (à 2 ans, après une chute dans les escaliers, je suis restée 1 semaine avec une double fracture du bras avant que ma mère m’emmène voir un médecin).
- Alimentation forcée : bébé, ma mère sucrait ma soupe pour que je la mange. Enfant, on m’obligeait à finir mon assiette en me laissant seule à table pendant parfois plus d’une heure, ma mère me menaçait de m’emmener à l’école avec mon assiette. Il est arrivé plusieurs fois que ma mère pique une crise de nerf en me tapant puis en me forçant à manger ma soupe froide en m’engouffrant rapidement les cuillères dans la bouche. Un jour, cela m’a même fait vomir dans mon assiette.

Au-delà de ces quelques violences, mes souvenirs douloureux concernant mon enfance sont surtout liés à l’atmosphère de tension que faisait régner mon père. Mon père était assez absent (il ne participait pas aux sortis/vacances en famille parce que ça ne l’intéressait pas). Concernant les enfants, son principe de base était : « les enfants ne doivent pas m’emmerder ! ». Nous devions nous soumettre à toutes ses injonctions.
- « quand je te dis quelque chose, tu baisses les yeux et tu n’as rien à ajouter ! »
- « les adultes ont toujours raison, même quand ils ont tords »

Les repas étaient particulièrement source de tensions (c’était les plus longs moments que nous passions en sa présence). Il ne participait jamais à la préparation des repas, à la mise du couvert et au débarrassage. Il mangeait à son rythme sans tenir compte de nous : il pouvait passer au dessert avant tout le monde. Il sortait de table quand il avait fini de manger, même si nous étions encore au plat principal.
Quand il arrivait à table (toujours en retard), il se servait en premier et disait parfois avec un léger sourire : « le père se sert en premier et les enfants après, s’il en reste ».
Pendant le repas, nous ne devions pas parler : « les enfants ne parlent pas à table ! » et on devait le servir : « j’ai fait quatre gamins, je ne vais quand même pas me lever à table ! ». Mon père accordait beaucoup d’importance aux bonnes manières alors le repas n’était qu’une suite de remarques : « tiens-toi droite ! Mets le pain à gauche de ton assiette ! Le doigt moins loin sur la fourchette !, etc. ».

Mon père était impulsif et assez lunatique, les mêmes causes ne produisaient pas les mêmes effets. J’ai donc vite compris que les remontrances étaient inévitables et j’en étais arrivée à la conclusion que nous étions grondés juste parce que nous étions des enfants.

Ma mère ne nous a jamais défendue des remontrances de mon père, elle se soumettait aussi. Elle a toujours cautionné son attitude : « vous cherchez aussi, vous n’avez qu’à obéir ! ».

Ma mère a toujours été liée à sa famille. Le modèle éducationnel était assez proche du notre chez mes différents cousins. Les enfants devaient obéir aux adultes, ils leur devaient le respect. Dans ma famille maternelle (cousins, oncles, tantes et grands-parents), les adultes considéraient qu’il n’y avait pas d’enfants « mal-élevés » chez nous mais seulement des enfants « qui ne savait pas profiter de la bonne éducation qu’ils recevaient ». Je les ai souvent entendus dire cette phrase qui les amusait beaucoup. Et, quand un enfant était puni pour une bêtise qu’il n’avait pas commise, j’ai déjà entendu mon oncle dire « tant pis, la punition vaudra pour la dernière bêtise que tu as fais et qu’on n’a pas vu ! ». Et ça aussi, ça les faisait rire, comme s’ils s’amusaient de notre condition d’enfant. Quand une de mes petites cousines tentait de se rebeller un peu contre l’autorité des adultes, on lui disait : « Mais tu te prends pour qui ? On ne va quand même pas se laisser emmerder par une gamine de 4 ans !? »

A partir de et jusqu'à quel âge ?
Toute mon enfance (jusqu’à 20 ans) et d’une certaine façon, encore aujourd’hui.

Par qui ? (père, mère, grands-parents, autre personne de la famille ou de l'entourage, enseignant...)
Mes parents
Mes oncles, tantes et grands-parents indirectement

Cette ou ces personnes avaient-elles elles-mêmes subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?
J’ai très peu d’éléments sur l’enfance de mon père. Ma grand-mère m’a raconté qu’un jour quand il était petit, elle s’était couchée un soir en oubliant qu’elle avait mis mon père au coin un peu plus tôt. Elle s’est relevée un peu plus tard en entendant du bruit : mon père était toujours au coin. (Cette anecdote est surement assez révélatrice de la façon dont était élevé mon père et de la crainte qu’il avait de sa mère). Ma grand-mère a toujours considéré que mon père avait de mauvaises intensions envers elle.

Ma mère a grandit dans une famille bourgeoise. Elle a surtout été élevée par des domestiques et n’avait que peut de contacts avec ses parents. Elle n’a jamais été frappée « parce qu’elle était sage ». Elle a été témoin de violences de ses parents à l’égard de son frère aîné (martinets, gifles violentes allant jusqu’à le mettre à terre à l’âge de 17 ans, etc.). Son frère aîné a été placé dès l’âge de 9 ans dans un internat catholique où les enfants étaient frappés. Mon grand-père se revendiquait partisans de la « bafo-thérapie ».

Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d'alors (colère, tristesse, résignation, indifférence, sentiment d'injustice ou au contraire de l'avoir “bien mérité”...) ?
Mon père était imprévisible, j’ai donc appris à me méfier tout le temps de lui, un peu comme un animal qui doit toujours être sur le qui-vive. En sa présence, j’avais tout le temps peur.

Par rapport aux gifles qui nous étaient données pour des mensonges, je finissais par me dénoncer pour des fautes que je n’avais pas commise, juste pour que mon père arrête de nous gifler.

Je me souviens de la rage que je ressentais contre mon père. Je n’avais pas le droit de l’exprimer mais il ne pouvait pas m’empêcher de penser ce que je voulais. Je le regardais et je pensais : « je te déteste ! Je n’oublierais jamais ça ! Un jour, je partirais d’ici et tu ne me reverras plus jamais ! ». J’ai aussi plusieurs fois pensé que je me vengerais.

Je ressentais une grande colère et une profonde injustice.

Je détestais le comportement de mon père mais, paradoxalement, je l’admirais beaucoup.

Quand les adultes de mon entourage s’amusaient de notre condition d’enfant et se délectant d’être des d’adultes tout puissants, je me souviens que je ressentais une grande distance entre enfants et adultes, comme s’il s’agissait de deux mondes distincts. Parfois je me disais que je détestais leur monde et parfois, je me disais que j’avais hâte d’y entrer. Enfant, je me sentais souvent très seule et complètement incomprise.

Cet univers dans lequel j’étais baigné m’appris à admirer l’obéissance : je me disais qu’un jour, moi aussi je serais adulte et aurait ce droit à être respectée enfin et à me faire obéir.
Quand ma mère demandait à mon frère de ranger sa chambre et que ça durait plusieurs jours, elle finissait par s’énerver. Je la regardais s’énerver et je me disais qu’elle ne savait pas s’y prendre et que si j’étais à sa place, j’interdirais à mon frère de sortir de sa chambre jusqu’à ce qu’elle soit rangée, y compris pour les repas.
Quand j’allais chez ma tante qui était très autoritaire avec ses enfants, j’admirais la discipline qu’elle parvenait à faire régner chez elle (dès l’âge de 4 ans, quand ses enfants arrivaient en retard à table, elle n’avait rien à dire et ils allaient d’eux même dans leur chambre car ils savaient qu’ils n’auraient pas le droit de manger en raison de leur retard). Je trouvais cette discipline admirable et je me promettais de faire pareil avec mes enfants.

J’ai grandi dans l’idée que j’étais privilégiée dans ma famille et que beaucoup n’avait pas la chance que j’avais.

Avez-vous subi cette(ces) épreuve(s) dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?
Seule.
Je pensais que ce que je vivais était normal et qu’il n’existait pas d’autre façon de se comporter avec les enfants. Je pensais même que j’avais plutôt de la chance parce qu’il était rare que je sois giflée (contrairement à mes cousins).
Mon entourage admirait l’attitude de mon père : « voilà au moins des enfants qui savent se tenir à table ! ».

Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?
J’ai appris à mentir, à ne pas tout dire.

J’ai appris à me méfier des adultes.
J’avais souvent peur.
J’ai appris à me soumettre.
J’ai appris à garder pour moi ce que je pensais et/ou ressentais
J’ai souvent ressenti de la culpabilité quand j’avais de « mauvaises pensées » (je me trouvais méchante)
Je ne me sentais pas importante.
J’ai appris à être artificielle pour être acceptée : j’ai appris à faire du « théâtre ».

Quelles en sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ? En particulier vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d'enfants (les vôtres, ou professionnellement) - merci de préciser le contexte ?
- Ayant appris le « théâtre », j’ai bien peur de ne pas très bien savoir qui je suis vraiment quand je ne suis pas « actrice ».
- Manque de confiance en moi

- Episodes dépressifs / dévalorisations
- Incapacité à pleurer pendant 5 ans
- Autocensure
- Crainte de ne pas être aimée

Avant même d’être mère, j’avais souvent beaucoup de mal à supporter l’attitude des enfants que je côtoyais. Je trouvais que les parents étaient trop laxistes et je me demandais pour qui se prenaient ces enfants. Je me disais que ces parents allaient le payer plus tard en se faisant humilier par leurs enfants qui leur cracheraient à la figure. J’étais persuadée aussi que les enfants les plus mal élevés risquaient de devenir délinquants.

Pendant ma formation d’infirmière, on m’a enseigné les « lois » de la psychanalyse (théories freudiennes) qui ont renforcées mon point de vue.

Quand j’ai été enceinte de mon premier enfant, je lui ai souvent dit en caressant mon ventre : « et bien toi mon petit bonhomme, t’auras pas intérêt à me parler comme ça ! » J’étais persuadée que les enfants devaient être matés dès le plus jeune âge. Mes diverses lectures sur l’autorité (Didier Pleux, Aldo Naouri, Claude Halmos, etc.) validaient ces convictions et leur donnaient une valeur universelle. Etant au contact d’enfants dans mon travail, je me servais de la psychanalyse pour assoir mon discours auprès des parents : « l’enfant grandit de frustrations en frustrations… »

Quand mon fils est né, j’ai senti un débordement d’amour pour lui. Il y avait comme un paradoxe entre tout cet amour et ma conviction qu’il fallait que je le mate. Je me disais qu’il ne fallait pas que je me laisse attendrir, que c’était là toute la difficulté de l’éducation. J’étais convaincue que je lui rendais service en étant très ferme avec lui, que je faisais ça pour son bien. Et, en le regardant tout bébé, je me disais : il va falloir que je sois très ferme dès le début pour que ça soit moins difficile pour lui.
Dans ce contexte, mon fils a vite appris à s’adapter. Il a vite appris à dormir dans le noir, dans le jour, dans le bruit. A 11 mois, je le mettais au coin quand il jetait sa cuiller par terre. A l’âge d’un an, il suffisait que je lui dise d’aller au coin pour qu’il y aille. A 18 mois, « merci » fut l’un de ses premiers mots. Il ne réclamait jamais dans les magasins. A 2 ans ½, pour demander quelque chose, il disait : « Puis-je avoir de l’eau s’il te plait maman ? » (ce qui me valait les éloges du personnel de la crèche). Bref, je l’avais formaté dès le plus jeune âge. Mon père jubilait quand il lui disait : « puis-je avoir le sel s’il te plait grand-père ? ». Il le faisait même répéter pour montrer aux autres.
Quand sa sœur est née deux ans plus tard, j’ai assez vite été en difficulté. Même avec la manière « forte », elle refusait toujours de se soumettre à mon autorité. Après le coin vint la tape, puis la fessée, puis la grosse fessée. Cette escalade de violence me dérangeait, je ne voyais plus de solutions.
J’ai alors écouté une émission de radio où l’invité était Jacqueline CORNET et j’ai été assez interpellée pas son discours. Cela a été le point de départ d’un grand changement. J’ai lu pas mal de livres sur le sujet dont les livres d’Olivier MAUREL (j’ai lu 3 fois Œdipe et Laïos), j’ai lu tous les livres d’Alice MILLER. Cela m’a permis de faire un vrai travail sur moi et de déconstruire progressivement toutes mes convictions. J’ai changé mon regard sur l’Enfant. Mon mari m’a accompagné là dedans et a aussi profondément changé.

Aujourd’hui, tout a changé chez nous (même si nous ne sommes pas des parents parfaits). Les deux mondes (celui des enfants et celui des adultes) ne font plus qu’un. J’ai totalement changé le regard que je portais sur mes enfants. J’ai découvert mon fils ainé, ça a presque été comme un deuxième accouchement. Ma petite fille « indomptable » m’apparait aujourd’hui comme une petite fille sensible qui a besoin d’être entendue et prise en compte. Et le petit troisième a eu la chance de n’être jamais tapé et/ou puni. Nous ne pouvons nous empêcher de comparer ses premières années à celles des aînés. Il est juste heureux et bien dans sa peau.

Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?
Destructrice

Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative est courante ?
Oui, en France.

Qu'est-ce qu'évoque pour vous l'expression « violence éducative ordinaire » ? Quels types de violence en font partie ? Et quelle différence faites-vous, le cas échéant, entre maltraitance et « violence éducative ordinaire » ?
Pour moi, la violence éducative est déjà une maltraitance. Elle commence dès que l’on n’a plus une attitude adaptée à l’enfant. (Encore aujourd’hui, je me considère parfois maltraitante envers mes enfants quand je leur crie dessus ou quand j’ai une remarque blessante).

Ma définition de la maltraitance est étroitement liée à ma profession (je travaille dans la protection de l’enfance).

La maltraitance est le degré de violence pour laquelle on sait que le Juge des enfants prendra des mesures (AEMO ou Placement).

Pour tout les autres cas, je considère qu’il s’agit de violence « ordinaire » (que je considère comme très graves en tant que telles et surtout parce qu’elles ne sont pas prises en compte par le système judiciaire)

Avez-vous des objections aux idées développées par l'OVEO ? Lesquelles ?
Aucune

Comment nous avez-vous connus : site ? livre d'Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autres ?
Par le livre « la fessée ».

Ce site a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l'égard des enfants ?
Cela m’a aidé et m’aide encore dans mon cheminement personnel et dans mon changement de regard sur l’Enfant.

Si vous acceptez de répondre, merci de préciser sexe, âge et milieu social.
Femme, 31 ans, classe moyenne.

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