Vous dites : « C’est épuisant de s'occuper des enfants.» Vous avez raison. Vous ajoutez : « Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser. » Là, vous vous trompez. Ce n'est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre. Pour ne pas les blesser.

Janusz Korczak, Quand je redeviendrai petit (prologue), AFJK.

Je me sens étranger dans cette « famille »

Témoignage reçu en réponse au questionnaire du site.

Avez-vous subi vous-même de la violence éducative au cours de votre enfance ? Sous quelle forme ? A partir de et jusqu'à quel âge ? Par qui ? (père, mère, grands-parents, autre personne de la famille ou de l'entourage, enseignant...)
Des lavements pratiqués par ma mère jusqu’à l’âge de 4-5 ans (également attouchements de la part du fils du voisin). Ensuite, j’apprends que je suis un « accident » (en fait je suis le résultat d’un pari de mon père avec un de ses copains : le 1er qui mettrait sa femme enceinte gagnerait une bouteille de vin et c’est lui qui a gagné). Battu par mon père parce que j’avais donné 1 ou 2 jouets à des amis à l’âge de 8 ans, (je ne me souviens plus des coups mais seulement de l’acharnement et du plaisir qu’il a pris à le faire), « tribunal familial » avec bulletins scolaires montrés par mes parents aux oncles, tantes, parrains et marraines, lesquels n’avaient même pas leur certificat d’étude, et qui, loin de m’encourager ou de pointer les points positifs, ne montraient que les points faibles, me disaient que je pouvais mieux faire jusqu’à l’âge de 14 ans, exigences de ma mère vis-à-vis des instituteurs et des professeurs et toujours à leur donner raison (« tu dois le respect à tes professeurs » : en fait, elle voulait dire « soumission ») humiliations publiques de mon professeur de dessin m’appelant « bébé confiture » parce que je ne dessinais pas assez bien à son goût, humiliations publiques de mon père, préretraité des mines à 45 ans, qui avait misé sur le salaire de mon frère et de ma sœur pour l’entretenir et qui me traitait de « fainéant », jusqu’à l’âge de 18 ans, et jusqu’au même âge, j’ai servi de défouloir pour racistes anti-jeunes père, famille, « amis de la famille », humiliations d’un cousin qui « rajoutait 2 pièces à la musique » et qui « hurlait avec les loups », humiliations de mon frère alors que je me retrouvais au chômage, hébergé chez mes parents, jusqu’à l’âge de 23 ans, encouragé par mon père, humiliations aussi, plus tard, de mon beau-frère, encouragé par mon père.
Du côté de ma mère, silence radio. Aucun soutien, seulement des jérémiades, et un visage de sphinx quand ce n’était pas des expressions de « dépression ». Ajoutons qu’elle s’est servi de moi comme larbin, homme de courses et de ménage, soigneur et confident de ses petites misères ; bref, comme béquille.
J’oubliais : menaces de violence, menaces de mort répétées de la part de mon père. Pour résumer les personnalités : lui, le pacha, et elle, la martyre. J’ajoute que je ne les considère pas comme des «parents » mais plutôt comme des géniteurs. Mon père, quand j’avais 14 ans, me trouve soudain « beau », et soi-disant pour « chahuter », veut m’embrasser « à la russe », si vous voyez ce que je veux dire. Il a tenté plusieurs fois de me coincer et à chaque fois, je l’envoyais valser ou s’écraser contre le mur, ce qui me valait des regards de haine.

Il avait aussi pris le pli de me regarder me laver alors que je tentais de m’isoler avec un paravent dans une cuvette en alu avec de l’eau qu’on faisait chauffer sur le poêle à charbon ou la gazinière (car il était trop incapable et trop paresseux pour monter une salle de bains digne de ce nom, comme les autres mineurs le faisaient). Même avec les rénovations, lorsque que chacun a eu sa salle de bains, (j’avais 18 ans), il trouvait le moyen d’ouvrir la porte fermée avec un tournevis pour me regarder en prétextant que je prenais trop de temps.

Cette ou ces personnes avaient-elles elles-mêmes subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?
Ma mère se faisait souvent battre par ma grand-mère pour les bêtises de mes oncles (elle est l’aînée) tandis que mon grand-père, ivrogne patenté (mais quand même, il a accompli de hauts faits d’armes pour la résistance). Du côté de mon père, je sais juste que c’est un gosse de vieux, n’ayant jamais eu de conversation avec mes grands-parents et mon père restant silencieux sur son passé. Il m’apparaît avoir été cancre, caractériel et capricieux.

Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d'alors (colère, tristesse, résignation, indifférence, sentiment d'injustice ou au contraire de l'avoir “bien mérité”...) ?
D’abord, un sentiment de trahison et d’abandon. Puis de la colère et de la haine, indifférence feinte, en attendant « mon jour », puis impression d’être vidé de toute énergie, avec quand même de la rancune et de la haine toujours présente, mépris de ma propre famille, que je considère comme des dégénérés.

Avez-vous subi cette(ces) épreuve(s) dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?
Jamais personne ne m’a soutenu, sauf un professeur de français, et encore, pour une de mes dissertations. Un grand sentiment d’abandon et de solitude absolue.

Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?
D’abord, une colère et une violence sur les autres, sur tout ce qui bouge, à l’école, sans discernement, par défoulement, ce qui m’a valu de prendre un sirop « pour les nerfs », isolation totale, enfance et adolescence sauvage, aucune fréquentation, méfiance extrême, puis peu à peu la dégringolade au niveau moral, l’avenir bouché, un sentiment de solitude absolue, comme je l’ai dit, et la certitude que personne à part moi-même ne pourrait me venir en aide, une revendication de mon indépendance et de ma liberté, ruminations et recherche de la meilleure façon de leur présenter « la facture ».

Quelles en sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ? En particulier vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d'enfants (les vôtres, ou professionnellement) - merci de préciser le contexte ?
J’en suis à une quasi rupture avec ma propre famille, et en cherchant à faire justice moi-même, il m’est venu l’idée, au nom du « talion », de les abandonner à leur sort comme eux m’avaient abandonné et laissé à moi-même. Je suis célibataire, sans enfant, parce que j’ai toujours refusé de me reproduire, de façon à ne pas faire à mon tour de dégénérés d’une part, et parce que j’ai toujours craint de reproduire sur eux un comportement que je blâme par ailleurs, parce que j’aurais été « contaminé ». J’évite les enfants, je n’ai pas vu grandir mes neveux, je n’ai aucun lien affectif avec mon frère et ma sœur, ni avec mes géniteurs, que je me sens étranger dans cette « famille ». Je ne suis pas un ermite pour autant, car je fréquente un groupe d’amis mais je prends soin de garder une toute petite distance, juste ce qu’il faut pour des relations agréables et courtoises sans viol de mon intimité pour autant.

Si vos parents ont su éviter toute violence, pouvez-vous préciser comment ils s'y sont pris ?

Si… beau rêve…

Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?
Je n’ai pas eu d’éducation. Mon éducation, c’est MOI qui l’ai faite moi-même, à travers mes lectures, mes discussions et mes implications dans les groupes que je fréquente.

Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative est courante ?
Oh que oui.

Si vous avez voyagé et pu observer des pratiques coutumières de violence à l'égard des enfants, pouvez-vous les décrire assez précisément : quel(s) type(s) de violence ? par qui ? à qui (sexe, âge, lien de parenté) ? en quelle circonstance ? pour quelles raisons ? en privé ? en public ?
J’ai voyagé uniquement en France, et aucun contact avec des enfants ou des jeunes.

Qu'est-ce qu'évoque pour vous l'expression « violence éducative ordinaire » ? Quels types de violence en font partie ? Et quelle différence faites-vous, le cas échéant, entre maltraitance et « violence éducative ordinaire » ?
Maltraitance et violence éducative ordinaire, c’est la même chose. C’est assouvir un besoin de domination, avec le silence ou l’approbation d’autrui, au nom de la bonne cause, l’éducation.

Avez-vous des objections aux idées développées par l'OVEO ? Lesquelles ?
Aucune objection. Elles méritent au contraire d’être débattues sur la place publique.

Comment nous avez-vous connus : site ? livre d'Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autres ?
Je suis tombé sur votre site suite à une recherche sur Google sur le thème : « humilié par mes parents ».

Ce site a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l'égard des enfants ?
Il complète les recherches que je fais actuellement, pour moi-même.

Si vous acceptez de répondre, merci de préciser sexe, âge et milieu social.
Je réponds volontiers : je suis un homme, j’ai 49 ans, et je suis employé de la fonction publique.

Bernard

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