Jan Guillou, La Fabrique de Violence
Jan Guillou est un journaliste et écrivain de renommée internationale, né en 1944 d’un père français et d’une mère norvégienne à Södertälje en Suède. Il est l’auteur de nombreux ouvrages (romans d’espionnage, romans historiques, écrits politiques) dont beaucoup sont traduits dans de nombreuses langues.
Il a toutefois commencé sa carrière comme journaliste et publia à ses débuts un reportage sur une institution scolaire qu’il avait fréquentée et dont les méthodes éducatives étaient particulièrement violentes. Le scandale fut tel qu’il obligea le gouvernement suédois à fermer l’établissement en 1966. Quelques années plus tard, en 1981, Jan Guillou publiera le roman autobiographique Ondskan (littéralement : « Le mal ») tiré, entre autres, de son expérience personnelle dans cet établissement. Le roman a été édité en français en 1990 sous le titre La Fabrique de Violence. On peut en lire un extrait et une revue sur le site de l’éditeur.
Depuis, le livre été adapté pour le théâtre en France, sous la direction de Tiina Kaartama, par la compagnie La Métonymie, et la pièce est régulièrement jouée depuis 2003. Un article publié fin janvier dans le quotidien La Dépêche donne une idée claire de ce que l’auteur dénonce, à savoir « la violence sous toutes ses formes, les douleurs indélébiles que celle-ci engendre ; il accuse la loi du plus fort, le système éducatif où elle fait rage et ceux qui frappent, pensant ainsi donner des leçons. » C’est la raison pour laquelle nous classons ce roman parmi les rares œuvres dénonçant la violence éducative ordinaire. Le roman a également été adapté au cinéma en Suède en 2003 par Mikaël Håfström. Le film a été nominé aux Oscars la même année dans la catégorie « film en langue étrangère ».
Commentaires
De David Dutarte, Membre de l'oveo
J’ai lu ce roman il y a une dizaine d’années alors que je vivais en Suède. Je me souviens de l’avoir dévoré en l’espace d’un week-end et d’avoir été presque tétanisé par la violence extrême qui y est décrite, aussi bien dans la famille du héros que dans l’établissement scolaire qu’il fréquente. Comme lui face à son père, on compte les coups qui tombent. On serre les dents avec lui. C’est bien plus tard, après avoir découvert l’OVEO et lu des livres d’Alice Miller et d’Olivier Maurel, que j’ai compris la signification véritable de cette œuvre. Plus que de dénoncer la violence éducative ordinaire, Jan Guillou nous la fait (re-)vivre au travers de son propre vécu. J’irai même jusqu’à dire qu’il réveille en nous les sentiments oubliés, perdus, enfouis dans les méandres de notre mémoire, de notre propre vécu de la violence éducative qu’on nous a infligée. C’est là toute la force de ce roman !
De Tiina Kaartama, metteur en scène, compagnie La Métonymie
La violence. La violence envers les jeunes, la violence des jeunes, à la maison, à l’école. Que répondre ? Comment y répondre ? Quels moyens reste-il lorsqu'on n’a appris que ceux-là ?
Des questions que l’on se pose, un débat pourtant clos d’avance. Nous savons qu’il ne faut pas avoir recours à la violence, nous savons qu’il ne faut pas frapper. Déjà tout petit nous l’apprenons. Ne pas frapper. Sauf, bien sûr, lorsqu’on nous frappe pour bien nous l’apprendre. Sauf, bien entendu, lorsqu’on a fait du mal et que nous le méritons. Sauf, bien évidemment, lorsque frapper est justifié par la sécurité des autres, autrement dit, de tous. Nous apprenons un discours, ne pas frapper, mais nous assimilons une pratique fort différente : le plus grand ou l’adulte peut frapper le plus petit ou l’enfant s’il le juge bon et juste. C’est à lui de voir. C’est au plus grand de peser le pour et le contre, au plus petit de subir le jugement.
La violence n’est pas un phénomène marginal. Elle demeure partie intégrante de l’éducation que nous donnons à nos enfants. Elle est quotidienne certes, mais pour certains, elle l’est bien plus que pour d’autres. Lorsqu’elle est présente, lorsqu’elle est là, pouvons-nous vraiment définir la frontière qui sépare l’acte malveillant de la punition que l’on veut bienveillante ?
La Fabrique de Violence est le récit d’une jeune vie qui ne se construit à l’école et à la maison qu’autour de la violence : Erik est un garçon de treize ans dans l’attente constante d’une punition, d’une cravache, d’une lutte, d’un coup à donner ou à recevoir. Comment y répondre ? Que répondre ? Des mots ? Quels moyens reste-il lorsque l’on n’a appris que ceux de la douleur et de l’humiliation ?
C’est aux adultes d’en enseigner d’autres. La Fabrique de Violence est aussi le récit de la responsabilité que doivent prendre les adultes face à ce qui arrive aux enfants, à ce qui se passe parmi eux. Il en appelle à la responsabilité de chacun. Il nous rappelle que la passivité est un acte en soi, que laisser faire c’est décider de ne rien faire. C’est un choix, un choix dont nous sommes responsables. Il conjure les adultes d’agir autrement, de ne pas détourner le regard, sous prétexte que « comme ça ils apprendront ». Ils apprendront, oui, mais quoi ? Que le monde est indifférent à la souffrance de celui qui ne sait pas se défendre ? Qu’il est favorable au plus fort ?
Peut-être qu’il en est réellement ainsi. Peut-être qu’il n’y a toujours eu que la loi du plus fort pour régir la société humaine. Nous souhaitons qu’il en puisse être autrement. C’est pourquoi nous voulons faire entendre, faire voir, et faire réfléchir ce texte.
Daniel Pennac, Comme un roman ›