J’ai très vite su que je ne pouvais compter que sur moi
De la violence psychologique oui : la seule émotion autorisée par ma mère était la colère, pour tout le reste elle décidait si nos émotions avaient lieu d'être ou pas (et c'était généralement pas), les rares fois où j'ai tenté d'exprimer mon désaccord je me suis entendu dire que ce n'était pas moi qui pensait ce que je disais, qu'on me l'avait mis dans la tête : que peut-on répondre à une telle négation de soi ?! ma mère s'énervait pour un oui, pour un non, au quotidien c'est insupportable et stressant ! rien n'était assez bien pour elle, elle trouvait toujours à redire. La liste n'est pas exhaustive.
Concernant les violences physiques je suis incapable de me rappeler si je les ai subi personnellement mais connaissant mes parents, ma mère principalement, je vois mal comment j'aurais pu y échapper. Je me souviens par contre avoir assisté impuissante aux violences physiques envers mes soeurs, ma soeur adoptée principalement qui était le défouloir de ma mère. Ces violences étaient : giffles, fessées, coups de chaussons, de ceinture en cuir, d'autres objets également, coups de poing, tordre les bras, tirer les cheveux, ma mère mettant ma soeur adoptée dans la baignoire et lui maintenant le jet d'eau, sans doute froid, dans la figure, de telle manière que moi qui n'était que spectatrice j'en ai gardé la peur de mourir noyée.
2) A partir de et jusqu'à quel âge ?
Je suis incapable de me souvenir d'une date de début mais très tôt sans doute, me concernant cela a duré à peu près jusqu'à mes 19 ans : mon job d'été poursuivi en même temps que mes études et le fait d'avoir une voiture m'ont permis un début d'indépendance (c'est à dire moins de contrôle possible de la part de mes parents), puis je suis rapidement partie. Après ça il y a encore eu des moments où ils tentaient d'avoir le contrôle ou insistaient alors que je n'étais pas d'accord avec eux, mais l'éloignement géographique m'aidait à trouver des excuses et mon indépendance ne leur permettait pas plus d'emprise. Il y a un an j'ai subi pour la dernière fois leur colère et leurs justifications après leur avoir envoyé une lettre dans laquelle j'exprimais mon ressenti par rapport à des faits passés et leur posais des questions simples pour tenter de leur faire comprendre que je ne considérais plus ce qui c'était passé comme normal et justifié. Suite à ça j'ai coupé les ponts car la discussion ne menait à rien et qu'ils étaient en colère après moi.
Concernant ma soeur adoptée (la plus petite et donc celle pour laquelle j'ai le plus de souvenir) : cela a commencé peu de temps après son adoption, elle avait à peine 4 ans, et cela a duré jusqu'à ses 14 ans date à laquelle elle a été placée en foyer, "heureusement" pour elle.
3) Par qui ? (père, mère, grands-parents, autre personne de la famille ou de l'entourage, enseignant...)
Ma mère principalement, mon père. Je n'ai pas le souvenir de violences physiques de la part d'autres gens, des instits, profs de musique et des tantes/oncles m'ont laissé des souvenirs désagréables à cause de paroles désobligeantes.
4) Cette ou ces personnes avaient-elles elles-mêmes subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?
Je n'en sais rien pour ma mère mais je suppose que oui. Pour mon père je ne sais pas de la part de ses parents mais je me souviens qu'il racontait que son grand-père scotchait des couteaux, pointes vers le haut, sur les bords de la table pour lui apprendre à manger sans être accoudé à table.
5) Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d'alors (colère, tristesse, résignation, indifférence, sentiment d'injustice ou au contraire de l'avoir “bien mérité”...) ?
De la rage (colère et impuissance), de la peur, et je me demandais pourquoi ? pourquoi mes parents réagissaient comme ça ?
6) Avez-vous subi cette(ces) épreuve(s) dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?
Dans l'isolement. Me concernant les violences étaient surtout psychologiques (pour celles dont je me souviens) il ne me serait jamais venu à l'idée d'aller m'en plaindre à qui que ce soit, je n'aurais pas pu à moins d'avoir la certitude que cette personne aurait bien réagi et je ne connaissais personne aussi bien que ça.
Concernant les violences physiques envers mes soeurs auxquelles j'ai assisté j'intégrais le discours de mes parents : c'était mérité, etc.
7) Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?
J'ai été une enfant (trop ?) sage. J'ai vite compris ce qu'il valait mieux éviter de faire/dire (ne pas mentir par exemple), cela n'empêchait pas tout mais cela m'a permis d'éviter plus que mes soeurs les violences physiques. J'ai très vite compris que cela ne servait à rien également d'essayer d'exprimer mon ressenti/ce que je pensais à mes parents, ils étaient incapables de comprendre et ce qu'ils me répondaient me faisait plus de mal qu'autre chose. Je gardais les choses pour moi mais je n'en pensais pas moins, ça personne ne pouvait me l'enlever. Je crois que je me suis détachée de mes parents assez vite, je me rappelle à 10 ans environ n'avoir plus voulu dire "maman" mais "ma mère" lorsque je parlais d'elle, c'était plus dur, cela correspondait mieux à mon ressenti vis à vis d'elle. J'ai très vite su que je ne pouvais compter que sur moi.
J'ai été plutôt bonne élève, suffisamment pour ne pas redoubler et tout réussir du premier coup. J'ai fuit géographiquement mes parents dès que j'ai pu sans rien leur demander, j'avais choisi mes études dans la branche ayant le plus de débouché pour être indépendante au plus vite.
8) Quelles en sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ? En particulier vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d'enfants (les vôtres, ou professionnellement) - merci de préciser le contexte ?
Je ne supportais pas les conflits avec mon compagnon au début de notre relation, au moindre conflit tout était fini pour moi, c'est quelque chose qui était lié au comportement de ma mère je crois : il n'y avait aucune possibilité de réparation en cas d'erreur, l'amour inconditionnel ce n'était clairement pas son truc. J'ai beaucoup de mal à supporter la colère, pourtant je sais que c'est une émotion qui doit avoir sa place comme les autres lorsqu'elle est saine.
Je suis quelqu'un qui apprécie les choses de qualité, je suis du genre à me renseigner un moment pour trouver le meilleur, le prix n'était pas ma préoccupation première (dans certaines limites évidemment), ce n'est pas vraiment un problème en soi mais je suis persuadée que cela vient du fait que ce qu'on faisait n'était jamais assez bien pour ma mère : elle trouvait toujours quelque chose à redire.
Je préfère éviter les conflits et continue si je sens qu'il le vaut mieux à garder ce que je pense pour moi.
Je n'ai pas d'enfant et ne suis pas souvent en contact avec des enfants.
9) Si vos parents ont su éviter toute violence, pouvez-vous préciser comment ils s'y sont pris ?
10) Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?
Quel gâchis... Toutes ces choses que l'on intègre dans notre façon de penser/d'agir et dont il est si difficile de se débarrasser. Les dégâts ne se font pas sur une génération mais sur plusieurs.
11) Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative est courante ?
Oui, en France.
12) Si vous avez voyagé et pu observer des pratiques coutumières de violence à l'égard des enfants, pouvez-vous les décrire assez précisément : quel(s) type(s) de violence ? par qui ? à qui (sexe, âge, lien de parenté) ? en quelle circonstance ? pour quelles raisons ? en privé ? en public ?
J'ai eu l'occasion d'aller en Uruguay cette année ou j'y ai de la famille et j'ai pu constater que malgré le fait que le pays soit parmi ceux ayant normalement aboli la violence éducative ce n'est pas encore vraiment appliqué (en espérant que ça le sera un jour). L'enfant d'1 an et demi se faisait tirer les cheveux par son père car il ne restait pas tranquille dans sa poussette pendant le repas alors que nous étions au restaurant.
Il y a peu de temps en France dans un parc d'attraction un père a réussi à jeter son fils à terre, et lui et la mère lui gueulaient dessus, il s'était a priori éloigné et ils ne le trouvaient plus (je ne sais pas combien de temps mais peu importe).
J'aimerais tellement réagir dans ces moments là mais j'en suis incapable, je reste figée ne sachant pas quoi dire ou faire pour ne pas attiser la colère du parent et aider l'enfant.
13) Qu'est-ce qu'évoque pour vous l'expression « violence éducative ordinaire » ? Quels types de violence en font partie ? Et quelle différence faites-vous, le cas échéant, entre maltraitance et « violence éducative ordinaire » ?
Je ne sais pas ce que j'aurais répondu à une époque, je n'aurais sans doute pas su quoi répondre mais aujourd'hui pour moi toutes les violences font partie des violences éducatives ordinaires, il y a tant de manières de blesser un enfant, c'est contre toutes qu'il faut se battre (physiques, psychologiques, ...). La maltraitance c'est les violences considérées comme "interdites" par un individu ou la loi, mais là la frontière dépend de chacun : pour mes parents être maltraitants aurait été de ne pas nous emmener voir un docteur si on en avait besoin, de ne pas nous avoir acheté de vêtements, donner à manger, nous frapper avec une ceinture ce n'était pas de la maltraitance.
14) Avez-vous des objections aux idées développées par l'OVEO ? Lesquelles ?
Non.
15) Comment nous avez-vous connus : site ? livre d'Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autres ?
Je crois que c'est après avoir découvert Alice Miller que j'en suis venue à découvrir Olivier Maurel et finalement le site.
16) Ce site a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l'égard des enfants ?
Renforcé.
17) Si vous acceptez de répondre, merci de préciser sexe, âge et milieu social.
Audrey, femme, 27 ans
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