Vous dites : « C’est épuisant de s'occuper des enfants.» Vous avez raison. Vous ajoutez : « Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser. » Là, vous vous trompez. Ce n'est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre. Pour ne pas les blesser.

Janusz Korczak, Quand je redeviendrai petit (prologue), AFJK.

J’ai peur de faire mal aux enfants

Témoignage reçu en réponse au questionnaire du site.

 
- Avez-vous subi vous-même de la violence éducative au cours de votre enfance ? Sous quelle forme ?
Oui, ainsi que mes deux frères cadets (dont un particulièrement).
Gifles, fessées, coups de martinet, tabassage, brûlures.
Humiliations, insultes, rabaissements, enfermements, dénigrements, cris.
Puis, déni de ces comportements.

- A partir de et jusqu'à quel âge ?
Probablement dès mon plus jeune âge et jusqu’à mon départ du foyer paternel (ma mère a fini par nous abandonner) à 18 ans.

- Par qui ? (père, mère, grands-parents, autre personne de la famille ou de l'entourage, enseignant...)
Mon père ainsi que ma mère.

- Cette ou ces personnes avaient-elles elles-mêmes subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?
Sans doute, mais aucun d’eux deux n’en a jamais parlé.

- Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d'alors (colère, tristesse, résignation, indifférence, sentiment d'injustice ou au contraire de l'avoir "bien mérité"...) ?
J’avais en moi beaucoup de colère mais, malgré tout, j’acceptais la violence en attendant que cela passe. Je m’enfermais dans ma chambre évitais mon père, le plus violent, et faisais tout pour ne pas le contrarier. Je devais être parfaite afin de ne pas provoquer la violence que mon frère cadet subissait beaucoup plus.

J’ai compris tard que j’avais très très peur de mon père, j’ai près de trente ans et cela est toujours viscéralement le cas, alors que je vis à 300 km de lui.

Mon frère cadet, enfant non désiré (« un bébé pilule » disais ma mère, sans complexe et face à lui), quant à lui, a subi beaucoup plus de sévices. Mon père médecin, pour calmer ses pleurs (il réclamait des câlins) lui faisait des piqûres de tranquillisant afin de ne plus l’entendre. Il le mettait debout, nu dans le garage, sortait le tuyau d'arrosage et l'aspergeait d'eau glacée jusqu'à qu'il cesse de pleurer, de crier ou même de parler. Il a été absolument détruit par la violence et la maltraitance. Lui-même extrêmement violent et dépressif, il est aujourd’hui en rupture avec le reste de la famille, de la fratrie, de la société dans son ensemble et atteint de schizophrénie, addict aux drogues à l’alcool. Il attente à sa vie de manière très régulière.

- Avez-vous subi cette (ces) épreuve(s) dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?
Sans jamais en avoir parlé, car je pensais ces comportement normaux, j’étais soutenue par mes grands-parents et l’employée de maison qui travaillait chez nous à temps plein.

Plus tard, lorsque j'ai évoqué au collège les déviances de mes parents, l'alcoolisme et la violence de ma mère, personne ne m'a accordé de crédit : ça n'existe pas dans un milieu bourgeois, lettré, éduqué.

Mon soutien inconditionnel a toujours été le plus jeune de mes deux frères. Nous nous soutenions sous les coups.

Enfin, plus tard, mon mari m’a beaucoup aidée à comprendre qu’une telle éducation est anormale, dangereuse, déviante et destructrice.

- Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?
Je cherchais à être parfaite afin d’éviter les coups.

Adolescente, j’étais très violente avec mes camarades de classe et mes frères. J’usais de mon sens du verbe pour humilier les plus faibles. J’ai beaucoup de regrets aujourd’hui et malgré tout, dès que je me sens déstabilisée, agressée j’adopte ce même mécanisme de défense.

- Quelles en sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ?
J’ai des accès de violence envers mon mari, je suis plus calme depuis que j’ai entamé une thérapie, et j’ai peur qu’il m’abandonne dès la moindre contrariété.

Je cherche la perfection en tout. Je ne peux m’empêcher de faire, faire, faire. Très active, je fais mon maximum pour m’occuper, ne pas penser.

- En particulier vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d'enfants (les vôtres, ou professionnellement) - merci de préciser le contexte ?
Je ne suis pas encore mère mais, je suis tante depuis un an et j’ai fait une découverte : j’ai peur des enfants. En réalité, j’ai peur de faire mal aux enfants. Je suis complètement gauche avec eux, je n’ai pas confiance en moi, j’ai peur de les bousculer, de les violenter, alors, malgré tout l’amour que j’ai pour mon neveu, je l’évite.

C’est la raison pour laquelle j’ai entamé une thérapie. Je souhaite être mère, mais avant cela j’ai besoin de comprendre et accepter mon histoire.

- Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?
J’étais considérée, ainsi que mes deux frères, comme le chien de chasse de mon père. J'étais un outils, il fallait que j’obéisse.

Mes parents ont cherché à nous dresser pour diverses raisons :
- épater les amis « comme ils sont beaux, sages, obéissants »,
- avoir la paix « si tu tombes, je ne te suture pas » (tous deux sont médecins),
- ne pas laisser nos corps s’exprimer « le froid est une sensation, il ne fait pas froid », il n’y avait donc pas de chauffage à la maison,
- les servir (le plus petit de mes frères, à 13 ans préparait le repas de mon père et lui servait avant qu’il ne rentre, sinon, l’humiliation, les cris et les coups étaient assurés), nous avions des TIF (travaux d’intérêt familial) quotidiens : ramasser les feuilles mortes, nettoyer le trottoir, ramasser les crottes de chiens dans le jardin. La raison de ces tâches ne nous étaient pas expliquées, nous devions les exécuter car « c’est comme ça »,
- Les satisfaire "tu as eu 18 au bac ? Pourquoi t'as pas eu 20/20 ?"

- Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative est courante ?
Oui. En France, je suis née dans les années 80.

- Avez-vous des objections aux idées développées par l'OVEO ? Lesquelles ?
Non !

- Comment nous avez-vous connus : site ? livre d'Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autres ?
Grâce au site d’Alice Miller (après la lecture de ses livres).

- Ce site/livre/salon/conférence a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l’égard des enfants ?
Oui, cette violence, comme les autres, n’a pas lieu d’être. Aussi étonnant que cela puisse sembler, c’est une découverte récente pour moi.

Et, une libération de l’apprendre : je peux être un autre parent que ceux qui ont été les miens. Ceci signifie que depuis peu je désire être mère alors que le refusais catégoriquement (déjà petite fille), je ne voulais pas faire souffrir un petit être.

- Si vous acceptez de répondre, merci de préciser sexe, âge et milieu social.
Femme, 28 ans, milieu catholique bourgeois.

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