Il est urgent de promouvoir la culture du respect de l’enfant comme “ultime révolution possible” et comme élément fondamental de transformation sociale, culturelle, politique et humaine de la collectivité.

Maria Rita Parsi, psychologue italienne.

J’ai été élevée sans punitions

Témoignage reçu en réponse au questionnaire du site.


Quelque part sur le site d'Alice Miller il est écrit qu'elle [Alice Miller je présume] se demande ce que penserait un extraterrestre venant d'un monde non violent en découvrant les humains. Comme justement je me suis souvent dit que je me sentais tel un extraterrestre parmi les humains j'ai eu envie de me permettre de donner ma réponse, aussi imparfaite soit-elle puisque je suis un usurpateur d'extraterrestre ^^.

Il ne manque pas de témoignages de victimes, pour dire à quel point la violence éducative qu'ils ont subie les a abîmés et handicapés pour leur vie d'adulte. Il semble que ce soit souvent en devenant parents que ces victimes cherchent à éviter les mêmes traumatismes à leurs enfants. Il est donc assez facile pour ceux qui veulent contre-argumenter de dire que ces parents « doux » agissent par faiblesse, qu'ils ne savent pas distinguer la violence dont ils ont été victimes d'une punition juste, que leurs enfants vont subir une autre forme de victimisation et devenir des « enfants rois ».

Comme je n'ai jamais été punie, ni menacée de l'être dans ma famille, et que j'ai grandi en ayant de bons résultats scolaires, sans devenir moi-même violente, y compris au niveau de la crise de l'adolescence que d'après ma mère je n'ai jamais faite, et que je me perçois comme une bonne personne, j'ai pensé que mon témoignage pouvait constituer un élément de réponse à « ce que vont devenir les enfants élevés sans punition ».

Je précise, car ces éléments portent aussi à débat, que j'ai été élevée par ma mère divorcée, depuis l'âge de 13 mois, sans beau-père ni homme à la maison, et avec la présence proche de ma grand-mère maternelle. On peut donc dire que j'ai eu deux référents parentaux, mais aucun référent masculin, ce qui n'a pas été problématique à mon sens.


Avez-vous subi vous-même de la violence éducative au cours de votre enfance ? Sous quelle forme ?

Non, tout au plus il est arrivé que ma mère crie, mais c'était par fatigue et ce n'était pas pour me punir, ce n'était donc pas de la violence éducative. (Quand elle criait je ne faisais rien - parfois je la suivais, parfois j'allais dans ma chambre - et elle arrêtait de crier au bout d'un moment. Je ne me disais pas littéralement "elle crie parce qu'elle est fatiguée", mais je devais ressentir sa souffrance d'une certaine façon car je me rappelle avoir pensé que je ne devais pas poser de problèmes car il était déjà difficile pour ma mère d'aller travailler.)
Je n'ai jamais été punie sous aucune forme que ce soit. Aucune menace de privation, le concept même de punition je l'ai appris à l'école.
Il n'a jamais non plus été utilisé de punitions dites "non violentes" comme le time-out, un concept que j'ai d'ailleurs toujours du mal à saisir.
[C'est stupide car s'isoler pour se calmer/prendre du recul si on l'estime nécessaire, devrait être une attitude mature et quelque chose qu'on a le droit de faire avec dignité ou avec humour selon la situation. En faire une punition prive donc l'enfant d'utiliser cette possibilité (décider lui même de se retirer) car ça voudrait dire "je me punis moi-même". Et c'est encore plus stupide quand c'est dans sa chambre que l'enfant est puni (ce qui est le plus souvent le cas) car sa propre chambre ne peut pas être considérée comme un lieu désagréable. En faisant une punition du fait d'être seul dans sa chambre il ne faut pas s'étonner que l'enfant ne veuille pas faire ses devoirs dans cette situation par exemple (ça m'amuserait de demander aux parents qui pratiquent cela ce qu'ils feraient face à un enfant qui passe volontairement la plupart du temps dans sa chambre)]

A partir de et jusqu'à quel âge ?
Avant les premières punitions que j'ai observées à l'école, et c'est surtout pour dire ça que j'ai voulu écrire ce témoignage, ma conception du monde était que quand quelqu'un a mal, d'une quelconque façon, physique ou émotionnelle, ou quand quelque chose est cassé, ça voulait dire qu'il y avait eu un accident. Et qu'il fallait réparer cet accident, la réparation n'étant pas une punition mais dans l'ordre normal des choses et souhaitable. Le principe selon lequel quelqu'un pouvait faire exprès d'être violent, et surtout faire mal à une autre personne en sachant ce qu'il fait et en souhaitant le faire, cela dépassait complètement les limites du monde connu pour moi.

Ce qui ne veut pas dire que je n'avais aucune forme de violence en moi, je ne voudrais pas qu'on croit que je suis persuadée que la nature humaine est bonne et que les enfants sont des petits anges. Voilà une façon dont de la violence s'est exprimée en moi et dont j'ai un souvenir très clair :
J'avais un personnage imaginaire, je ne dirais pas un ami car j'incarnais souvent moi même ce personnage, la frontière entre Léo et moi était très floue. Je peux dire que j'ai été sadique envers lui car je ne l'imaginais que souffrant, physiquement souffrant. Mais c'était complètement intériorisé, jamais je n'aurais imaginé appliquer de telles souffrances à une personne réelle. D'ailleurs c'était rendu impossible par le fait que je ne savais pas ce qui avait fait mal à Léo. La raison m'importait peu, il m'était nécessaire que Léo souffre car ce qui comptait c'était le câlin consolateur virtuel qui avait lieu. Ce personnage me permettait sans doute de donner une forme "consolable" à une tristesse dont la source m'échappait. Et m'échappe d'ailleurs toujours.
Je pense donc que même si l'être humain porte de la violence en lui, si exprimer de la violence ne se fait pas dans le monde dans lequel il vit, il trouvera naturellement une façon acceptable de vivre avec sa violence dans ce monde qui est le sien. Contrairement à ce que j'ai pu lire, comme quoi : « Il s’avère en effet que la vie neuve se manifeste chez le petit humain en pulsions d’une violence inouïe qui le submergent et l’asservissent d’autant qu’il n’a aucun moyen propre de les maîtriser. Il n’y parviendra qu’en y étant incité sinon contraint par ses parents dont l’amour compensatoire lui est plus encore indispensable. C’est ce mécanisme qui, au fil des semaines, des mois et des années, lui apprendra peu à peu à résister à ses pulsions, à les refouler et à se socialiser, c’est à dire à cesser de se croire le centre du monde pour finir par prendre en considération l’existence de l’autre. » [Aldo Naouri]
Eh ben j'aimerais dire à Monsieur Naouri qu'en tant que petite humaine je me sens particulièrement insultée par ces propos. Je ressens ça presque comme si on parlait de moi comme d'un animal. Je suis vexée, réellement, et j'ai envie de dire « non mais, je ne suis pas si faible pour me laisser asservir par ma propre force ».

Par qui ? (père, mère, grands-parents, autre personne de la famille ou de l'entourage, enseignant...)
J'ai vu des punitions (physiques et autre) être données par des enseignants, surtout de l'école catholique où j'ai été au primaire, par des parents d'enfants que je côtoyais quand j'étais adolescente. J'ai le plus souvent trouvé les adultes odieux et terriblement égoïstes dans leurs relations avec les enfants. Leurs propres désirs passent avant tout et les adultes trouvent très facilement que les enfants sont méchants quand ils ne les suivent pas sans problèmes dans la réalisation de ces désirs (comportement observé pendant les vacances d'été surtout). Les parents ont du mal à tenir compte de la fatigue et des limites physiques des enfants. Ils veulent être suivis dans leurs activités sportives, particulièrement par les garçons qui sont facilement dévalorisés quand ils ne peuvent pas suivre. Ou alors ils voudraient que les enfants dorment l'après-midi pour pouvoir sortir le soir, si l'enfant est de mauvaise humeur le soir on n'hésitera pas à lui dire littéralement que "c'est de sa faute, il n'avait qu'à dormir quand on le lui a dit, ce qui prouve que ses parents avaient raison".

Cette ou ces personnes avaient-elles elles-mêmes subi de la violence éducative dans leur enfance ? De quel type, pour autant que vous le sachiez ?
Ma mère a été quelque fois frappée sur les cuisses avec un martinet, par sa mère. Elle a eu des « gommettes » collées sur la bouche à l'école pour l'empêcher de bavarder. Elle a vu son grand frère (de 3 ans son ainé) se prendre des fessées et elle m'a raconté qu'une fois, à table, ma grand-mère lui avait cassé une assiette sur la tête.
Ma grand-mère elle-même n'a pas été une enfant battue à ce qu'elle m'a dit, mais en fait elle ne me l'aurait jamais dit, c'est de ma mère que j'ai appris que ma grand-mère avait eu une vie difficile pendant la guerre. Ma grand mère a toujours tout fait pour tenir son rôle de bonne fée auto-attribué. Elle a perdu sa mère à l'âge de 5 ans et ayant un père militaire (pendant la seconde guerre mondiale) elle a été trimbalée dans sa famille élargie. Je pense qu'elle avait du ressentiment contre les adultes qui l'ont élevée car ils n'ont pas fait d'efforts pour l'écouter. Ceci dit je pense qu'ils ne le pouvaient pas. Il me semble que ma famille a toujours été plutôt compréhensive, par exemple un oncle de ma grand-mère, qui était adolescent quand elle été enfant et a participé à l'élever, était ouvertement homosexuel, ce qui était plutôt rare à l'époque (de l'être ouvertement je veux dire) et n'a jamais été rejeté par la famille. J'ai d'ailleurs longtemps cru que lui et son compagnon étaient tous les deux mes oncles par lien de sang, jusqu'à ce que je comprenne vers 8 ans qu'ils étaient un couple. Je trouve que ce fait est significatif d'un état d'esprit de paix, non stigmatisant.

La grande majorité des gens qui étaient adultes quand j'étais enfant ont dû être frappés dans leur enfance. J'ai entendu ma grand-mère raconter qu'elle avait reçu une fessée par une voisine, ce qui prouve que tout le monde trouvait ça tellement normal ...

Vous souvenez-vous de vos sentiments et de vos réactions d'alors (colère, tristesse, résignation, indifférence, sentiment d'injustice ou au contraire de l'avoir “bien mérité”...) ?
Je n'ai jamais été moi même punie, mais j'ai toujours été choquée de voir d'autres enfants l'être, surtout quand il s'agissait d'enfants du même âge que moi. Le choc était le sentiment le plus fort dans ces moments-là. Je n'ai jamais craint que l'adulte se tourne contre moi quand j'assistais à une telle scène mais je n'ai jamais su intervenir non plus pour aider cette personne de mon âge et je m'en suis toujours voulu, m'accusant d'être faible et lâche. Malgré cela à l'adolescence j'ai souvent tâché de me montrer indifférente quand des parents grondaient ou laissaient pleurer leurs enfants dans des gares ou dans le train (j'étais interne au lycée et je prenais le train chaque semaine) car je pensais que je n'avais pas le droit d'aller parler ou prendre dans mes bras l'enfant d'un autre.
L'incompréhension et le sentiment d'un choc de cultures avec les gens de mon propre pays, voilà mes sentiments. Récemment au cinéma, avant le film, un père grondait sa fille d'environ 6 ans en lui expliquant qu'elle avait bien mérité sa claque, malgré une forte envie de dire "non" et d'essayer de dire à cette fille ce qui aurait pu la soutenir pour garder sa dignité, je n'ai rien fait car j'étais avec ma copine (oui je sors avec une fille, y'a pas d’ambiguïté dans cette phrase) et que je ne voulais pas lui gâcher cette soirée, qui était du temps pour nous à la base, en faisant un scandale qui aurait pu nous forcer à ne pas voir le film. C'était peut être égoïste, l'inverse aussi était peut-être égoïste.
Bien que je grandisse, je ne sais toujours pas comment intervenir.

Avez-vous subi cette(ces) épreuve(s) dans l'isolement ou avez-vous eu le soutien de quelqu'un ?
Dans l'isolement, car je n'ai jamais parlé à ma mère des violences à l'école. Comme je l'ai dit plus haut, je ressentais que ce serait un poids supplémentaire pour elle, dans une vie en dehors de la maison (professionnelle surtout) déjà pas facile.
Ensuite j'ai continué de ne parler que très peu des choses qui me choquaient dans le comportement des parents parmi ses amis car je passais, surtout aux yeux de ces gens, pour une jeune fille presque maladivement sensible.

Quelles étaient les conséquences de cette violence lorsque vous étiez enfant ?
J'étais très renfermée sur moi-même, j'ai passé ma première année entière de maternelle (à 2 ans) à refuser de parler bien que je prenais part aux activités qu'on me demandait. L'année suivante mes enseignantes ont conseillé à ma mère de consulter car elles pensaient que j'étais peut-être autiste (ça n'a jamais été fait car ma mère n'a jamais cru que j'étais autiste : à la maison je lui parlais jusqu'à la saouler ^^).
Je n'ai pas participé à l'oral en classe jusqu'au CE2, ou j'ai eu un enseignant qui a su me mettre plus en confiance et un ami qui m'a incitée à parler aussi. Cet enseignant pratiquait aussi des punitions que je trouvais barbares, comme pinçage de joues, coups de pied aux fesses… mais c'était un homme, le premier homme adulte auquel j'ai été confrontée de façon quotidienne dans ma vie, et j'ai pensé que cette violence était un truc intrinsèquement masculin, qui ne me toucherait jamais. Il punissait aussi des filles mais je l'ai occulté volontairement au profit de ma curiosité de connaître "un homme", je ne voulais pas le voir comme une mauvaise personne, j'ai essayé de me convaincre qu'il ne l'était pas, tout en souffrant à chaque punition à laquelle j'assistais. Curieusement je suis peut-être une des seules personnes de la classe qu'il n'ait jamais touchée.

J'ai menti à ma mère et à ma grand-mère presque quotidiennement en inventant mes journées à l'école pour faire croire que j'étais épanouie. Même si je n'avais pas le sentiment de commettre une faute car je ne le faisais pas pour cacher quelque chose de mal que j'aurais commis, je m'en voulais quand même d'avoir menti, après coup. J'avais peur aussi de devenir folle car des fois je ne savais plus ce qui c'était vraiment passé finalement.
J'ai planifié mon suicide en fin de collège mais j'y ai renoncé "par hasard" en voyant une autre opportunité de fuite dans la stratégie de choisir une option "arts appliqués", que personne de mon collège ne prendrait et qui me mettrait "dans l'obligation" de partir interne à plus de 2 heures de TGV de chez moi. C'est ainsi que je me suis retrouvée à étudier l'art alors que j'arrivais complètement dépressive. Dans ce lycée j'ai appris à être heureuse. (Personne n'y était puni (dans ma section) et nous appelions nos profs par leurs prénoms.)
Une autre conséquence, sans doute, de mes réactions vives face à la violence : toutes les personnes avec qui j'ai eu des relations amoureuses étaient d'ex-enfants maltraités (frappés régulièrement par leurs parents, voir bien pire).

Quelles en sont les conséquences maintenant que vous êtes adulte ? En particulier vis-à-vis des enfants, et notamment si vous êtes quotidiennement au contact d'enfants (les vôtres, ou professionnellement) - merci de préciser le contexte ?
Peut-être que c'est une des raisons pour lesquelles je veux devenir enseignante (prof des écoles).

Si vos parents ont su éviter toute violence, pouvez-vous préciser comment ils s'y sont pris ?

Ma mère m'a élevée en me montrant son exemple (mes parents ont divorcés quand j'avais l'âge de 1 an, suite à des problèmes graves de précarité et de violence qui mettaient ma vie et celle de ma mère en danger, je n'ai revu mon père que trois fois, brièvement). Je me souviens très bien, quand j'étais toute petite, de suivre ma mère absolument partout. Quand elle faisait la cuisine je la regardais faire la cuisine, quand elle prenait sa douche je la regardais se doucher... Ma mère avait toujours besoin de pouvoir me voir sans doute parce qu'elle était anxieuse à cause de ce qui s'était passé pendant la première année de ma vie, dont je n'ai aucun souvenir (évidemment sans doute). Je pense que ce lien fort avec ma mère a été fondamental. Elle me parlait beaucoup et expliquait tout ce qu'elle faisait, je me souviens de sa voix plus que de ce qu'elle disait mais ça gardait mon attention sur le monde adulte et me permettait de comprendre les choses en dehors de leur application à moi. Par exemple si elle m'avait longuement expliqué qu'il fallait manger des légumes et m'avait intéressée à la chose légume pendant leur préparation je ne me sentais pas victime de devoir consommer des légumes, par rapport à un enfant à qui on aurait mis des légumes dans son assiette en le forçant à en manger, je suppose.
Je sais que même avant mes 1 an, quand elle lisait elle me prenait sur ses genoux et lisait à haute voix. Je ne serais pas étonnée qu'elle m'ait lu tout Le Seigneur des anneaux à voix haute. Par la suite j'ai eu pas mal de livres d'enfants qu'elle me lisait chaque soir, avant d'aller lire son propre livre. J'ai toujours vu ma mère lire.
Ses activités et les miennes étaient complètement liées. Elle m'a appris certaines choses mais seulement à ma demande (du coup maintenant je sais coudre mais pas tricoter^^, elle ne m'a jamais forcée à rien). Les choses que j'ai apprises de ma mère étaient uniquement des choses en dehors de cadre scolaire.
Je n'ai jamais été infantilisée. Je veux dire par là qu'elle n'employait pas de mots comme "le miaou" ou "la meuh meuh" pour me parler, que je n'ai presque jamais été sur le pot (à part chez ma grand-mère) mais que j’allais aux même toilettes que tout le monde. On prenait nos repas en même temps, elle venait me dire de me lever après avoir pris sa douche (je savais qu'elle se levait juste avant moi) et après le rituel de l'histoire du soir elle allait lire dans sa propre chambre (l'heure de se coucher était l'heure de se coucher pour tout le monde, il n'y avait pas de distinction adulte–enfant).
Je n'ai jamais eu de suivi pour les devoirs, à part ma grand-mère qui me faisait lire à haute voix parfois. Ma mère me faisait confiance pour les faire, elle n'en parlait que pour me demander si ça irait, si une sortie était prévue, comme on le demanderait pour le planning d'un adulte, et ce dès le primaire. Je savais que si j'avais besoin d'aide je pouvais lui demander, d'ailleurs je n'arrêtais pas de la solliciter pour du vocabulaire quand j'ai commencé à lire seule (à 7 ans).

Je dirais que pour résumer le concept éducatif de ma mère :
- Elle m'a longuement montré les choses par la répétition de journées très simples. Pour elle, sacrifier le fait de sortir le soir faire la fête par exemple était normal et faisait partie de mon éducation. Elle n'a commencé à me laisser seule le soir pour sortir que vers mes 12 ans.
- Elle a toujours répondu à toutes mes questions sincèrement, sans sujets tabous. Elle ne m'a jamais dit que le père Noël existait et m'a dit la vérité en tout.
- Elle m'a incitée à l'autonomie en me disant souvent "tu as le droit de" et "ce n'est pas en toi que je n'ai pas confiance mais en les autres" (pour m'expliquer pourquoi elle ne me laissait pas aller à tel ou tel endroit). L'autonomie dans mon éducation a consisté à me gérer moi-même dans le foyer (m'habiller seule selon le climat dès 3 ans (avec les conseils de ma mère qui m'envoyait faire quelque chose sur le balcon pour que je me rende compte du temps si elle estimait que mon choix n'était pas judicieux) faire mes devoirs sans supervision dès 6 ans, laver mon linge et faire le ménage dans ma chambre à 11 ans, faire un repas pour moi-même et passer la soirée seule à 12 ans ). Je n'ai pas été incitée le moins du monde à quitter la maison, pas de colonie de vacances, pas de sorties scolaires car je ne voulais pas y aller. Ce qui n'a pas empêché de prendre mon indépendance facilement.

J'ai été élevée sans punitions mais pas sans frustrations comme en sont souvent accusés les enfants bénéficiant d'une éducation trop douce et respectueuse (soyons clairs : dans notre société être heureux c'est être coupable d'avoir ce que tout le monde n'a pas). Je savais qu'il y avait des choses trop chères pour que je puisse les avoir. Vers 6 ans j'ai commencé à avoir une notion des prix, très vague, mais je regardais les prix des choses et j'ai appris à ne plus demander ce que je savais que ma mère ne pourrait pas m'acheter. Le demander aurait été tout simplement méchant. Mais ce n'était pas une autorité parentale, c'était une limite réelle, la limite du pouvoir d'achat de ma mère. Je savais que ma mère et ma grand-mère m'offraient tout ce qu'elle pouvaient.

Ainsi des limites oui j'en ai eu dans ma vie, mais jamais des limites en tant qu'enfant, uniquement des limites en tant que personne, que je ne ressentais pas comme imposées particulièrement à moi. Il n'a pas était question de me préparer au monde réel en m'apprenant la frustration mais de me montrer le monde directement tel qu'il était réellement, avec toute les frustrations que cela comporte. Ce qui est nettement moins frustrant.

Mes limites je les ai testées à l'adolescence, mes limites physiques avec l'alcool, ma capacité à tenir le coup en cours après une nuit blanche, quelques excès alimentaires. De mon point de vue c'était normal que je fasse ce genre de tests pour connaître le corps qui serait mon corps d'adulte. Ça n'a pas été jusqu'à l'expérience ordalique. A la fin du collège elle m'a laissé choisir mon orientation scolaire de façon complètement libre, j'ai géré ma vie depuis comme je l'entendais. Il n'y a eu aucun conflit avec ma mère durant la période de mon adolescence.

Quelle personne je suis aujourd'hui, après cette éducation sans punition, j'en ai parlé avec ma copine et notre conclusion amusée est que je serais presque psychorigide :
- Je me lève dès que le réveil sonne, voir avant, et je ne le laisse pas sonner.
- Je fais mon lit tous les matins.
- J'évite de demander des choses que je pense ne pas pouvoir obtenir, si ce ne sont pas des choses importantes, afin de ne pas placer les gens dans une situation désagréable,
- J'arrive toujours avec un peu d'avance aux rendez-vous.
- J'ai tendance à faire des heures supplémentaires gratuitement au travail.
- J'accorde une importance relative à mes notes (depuis toujours mais cette tendance s'est affirmée avec le temps) et plus d'importance à ce que j'ai compris, assimilé et à mes progrès. Mais ma copine classe dans mes aspects psychorigides le fait que je fasse toujours sérieusement un travail même si je n'ai rien à y gagner en notation.
- J'ai une forte tendance à prendre toujours le même chemin pour aller dans les endroits habituels.
- Je prend presque toujours les passages piétions, je marche sur le passage piéton et pas à côté pour raccourcir le trajet. Ma copine au contraire a eu une éducation stricte, elle a été surveillée, notamment dans son travail scolaire et elle a subi des punitions physique. Sa mère est persuadée que si elle a un bon travail aujourd'hui c'est grâce aux punitions qu'elle lui a infligé. Pour tous les comportements énumérés plus haut, ce sont ceux où nous avons constaté qu'elle fait exactement l'inverse. Ce qui va jusqu'à arnaquer sur les horaires de travail (ça devra rester anonyme^^). Je la cite : « J'ai été tellement brimée alors... ».

Globalement, que pensez-vous de votre éducation ?
Que tous les enfants du monde devraient être élevés comme je l'ai été par ma mère. Que l'école aurait pu être tellement plus qu'elle n'a été !

Viviez-vous, enfant, dans une société où la violence éducative est courante ?
J'avais le sentiment que oui, qu'elle était partout autour de moi. Même dans les dessins animés à la télévision (Tom Sawyer me faisait éteindre la télé). La lecture de la comtesse de Ségur à cette période (qui, de mon point de vue, est clairement contre la violence éducative) m'a permis de "rencontrer" une personne normale et consciente qui voyait le même chose que moi : un monde où les enfants devaient lutter. C'était plus constructif qu'un monde des bisounours, car ses livres me disaient "oui, c'est vrai, cette violence existe, et elle est injuste, il est légitime de lutter contre". Ces lectures m'ont énormément soutenues et aussi influencée.

Si vous avez voyagé et pu observer des pratiques coutumières de violence à l'égard des enfants, pouvez-vous les décrire assez précisément : quel(s) type(s) de violence ? par qui ? à qui (sexe, âge, lien de parenté) ? en quelle circonstance ? pour quelles raisons ? en privé ? en public ?
Je n'ai presque pas voyagé à l'étranger, à part en Espagne. Je n'y ai pas vu d'enfants être frappés dans la rue.

Qu'est-ce qu'évoque pour vous l'expression « violence éducative ordinaire » ? Quels types de violence en font partie ? Et quelle différence faites-vous, le cas échéant, entre maltraitance et « violence éducative ordinaire » ?
La violence éducative ordinaire est celle contre laquelle l'enfant ne peut pas trouver d'appuis auprès de d'autres adultes pour reconnaître cette violence et le protéger. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne puisse pas lutter, car ne pas se laisser casser par cette violence, se relever quand on atteint un âge suffisant, réussir à passer outre, c'est lutter et même gagner.

La maltraitance est un niveau de violence où la vie est mise en danger et contre laquelle on peut faire intervenir une décision de justice.

Définition facultative :
L'autorité, est l'influence qu’exerce sur nous quelque chose (une institution ou un livre…) ou quelqu'un, dont l'avis sur certains aspects de la vie nous semble juste et exemplaire. Nous éloigner de ces avis nous fait douter de nous-même et nous remettre en question car ce qui s'éloigne du bien a des chances d'être mal. L'autorité est un point de repère, qu'on ne subit pas, mais vers lequel on regarde pour se diriger dans le monde. Quand un parent frappe son enfant, le principal danger c'est que ce parent devienne une autorité de référence et que l'enfant devienne un adulte qui fasse usage de la violence en suivant la voie qu'il juge être juste.
Les parents étant placés biologiquement comme une autorité légitime, je trouve que c'est une trahison particulièrement grande et destructrice si l'enfant à a reconnaître que ses parents ne représentent pas une voie correcte, et qu'il se retrouve, de ce fait, sans guide.

Avez-vous des objections aux idées développées par l'OVEO ? Lesquelles ?
Aucune objection, j'espère que les choses avanceront pour les enfants.

Je voudrais ajouter une chose néanmoins :
- Je suis contre les châtiments corporels car je suis contre l'agressivité. La violence peut être transformé en exaltation ou bien vécue de façon virtuelle mais jamais laissée libre de se réaliser en dehors du contrôle auto-disciplinaire d'un sport par exemple.
- Mais je suis contre les châtiments corporels pas seulement pour la gentille raison qu'être violent c'est mal, mais aussi pour une raison idéologique plus sévère (n'oublions pas que d'après ma copine je suis un peu psychorigide).
Donner une fessée pour punir d'une bêtise signifie qu'on peut être pardonné, même d'une faute considéré comme grave, en se soumettant à une humiliation et une douleur symbolique. Dans la grande majorité des cas considérés de "violence éducative ordinaire" la douleur est symbolique, ça je tiens à l'affirmer clairement. Demandez à quelqu'un de vous pousser fort pour vous faire tomber sur du macadam, lavez vos genoux écorchés sous le jet de la douche et finissaient à l'alcool. Comparez la douleur avec ce que vous estimez pour une fessée (voyez combien de temps vous aurez mal aux genoux aussi et comparez). Il m'est arrivée de me casser la gueule en vélo quand j'étais petite et de me soigner moi-même les genoux comme je l'ai décrit. Après avoir eu les larmes aux yeux quelques secondes après la chute, je me disais juste "ben merde" et la plupart du temps je rentrais à vélo. Je n'étais pas plus choquée que ça par cette douleur que je gérais très bien et dont j'identifiais la source comme n'étant pas dangereuse pour moi. Presque tous les enfants se cognent ou tombent en jouant et gèrent bien cette douleur.
Le concept de la fessée signifie qu'on a pas besoin de réparer ses fautes, pas besoin d'assumer ses actes, il suffit de demander pardon, d'accepter l'humiliation, et l'affaire est emballée. Or, pour moi, c'est complètement faux, on ne peut pas obtenir le pardon sans réparer. Ça s'appelle assumer les conséquences de ses actes, et le rôle éducatif de l'adulte est d'aider l'enfant à le faire pour que l'enfant se rende compte qu'il doit agir de manière réfléchie et qu'il devienne capable de faire face à de plus en plus de situations.

A ce sujet je n'aime pas non plus l'expression « conforté dans sa nature d'enfant » (chose que produit à en croire ceux qui l'ont subi et le font subir en toute bonne foi, le fait de recevoir des fessées, chose qui paraît parfois réservée aux enfants de la même façon que les talons aiguilles aux femmes). Un enfant est un être humain mais jeune, un adulte est un être humain plus vieux. Qu'est ce que ça veut dire « conforter dans sa nature d'enfant » ? Un enfant étant « celui qui ne parle pas », la force le fait penser qu'on peut conforter cela en faisant de l'enfant « celui dont la parole n'a ni valeur ni conséquence, celui qu'on écoute pas ». Est-ce que ça ne va pas lui apprendre à devenir fataliste et accepter plus tard sa condition quelle qu'elle soit ? Sans doute, si le but est de créer des gens soumis alors ça fonctionne. Mais il me semble que c'est un paradoxe de prétendre élever un enfant sans avoir le désir sincère qu'il s'élève justement, au-dessus de nous-même, de la génération précédente. Les enfants sont ceux qui iront plus loin que nous et au lieu de les entraver avec l'éducation, l'éducateur devrait leur faire confiance, leur donner tous les bagages qu'il faut et les laisser partir vers un avenir dont il doit accepter qu'il lui échappe. C'est le cycle de la vie, non ?

Comment nous avez-vous connus : site ? livre d'Olivier Maurel ? salon ? conférence ? autres ?
Par Internet, en faisant des recherches sur Alice Miller.

Ce site a-t-il modifié ou renforcé votre point de vue sur la violence éducative à l'égard des enfants ?
Le site a placé des mots et des chiffres sur ce que je constatais et donne des armes pour avoir plus de répondant face aux adultes violents.

Si vous acceptez de répondre, merci de préciser sexe, âge et milieu social.
LJ, 24 ans, élevée dans une cité HLM, actuellement étudiante. Mère employée, niveau social moyen, sans situation de précarité.


Un enfant n'a pas besoin de limites.

Personne n'a besoin de limites car tout le monde en a déjà. J'ai entendu une fois, alors que j'étais encore jeune, peut être 16 ou 17 ans, je ne sais plus, une personne qui était sans doute un pédopsychiatre, dire cela dans une émission sur les enfants (j'ai longtemps regardé "Les maternelles" et "La fête des bébés", juste pour voir les enfants ^^, c'est sans doute là que j'ai vu ça). Ce monsieur a utilisé une feuille de papier machine blanche A4 pour représenter la vie. Il a dit : "Si l'enfant doit se déplacer dans la vie seul, c'est très angoissant, il n'a aucun repère. Mais si on imagine qu'on plie la feuille comme ça (et il a plié la feuille en deux dans la sens de la longueur) ça fait un chemin, et il va avancer tout droit." C'est ainsi qu'il illustrait le fait de "fixer des limites".

Cette façon de voir la vie comme une feuille m'a paru très juste. L'image exprime bien que la vie offre au départ toutes les possibilités, mais qu'elle est aussi limité, ne serait ce que parce qu'on est mortel. Si on demande à des adultes de visualiser leur vie comme une feuille certains vont peut-être penser que c'est une feuille pour écrire dessus, d'autres que c'est un plan/une carte, ou que c'est une surface (qu'il ne faut pas tomber de la feuille - dans la drogue par exemple - sinon on meurt). Il me semble que personne ne penserait de sa propre vie que le but c'est de la traverser le plus vite possible, ni ne plierait la feuille pour en faire un étroit ravin.

Je préfère l'imaginer comme une surface. A partir de cette image de la feuille je me suis dis que c'était comme une île où les côtes seraient des falaises (j'ai beaucoup d'imagination peut être). Évidement, tomber de la falaise est une erreur fatale : on mourrait sûrement. On pourrait comprendre alors que les parents interdisent aux enfants de s'approcher des limites de îles. Néanmoins, passer toute sa vie sur une île sans jamais voir la mer ça parait dommage. Surtout qu'en ayant la falaise à leurs pieds la plupart accepteront sans doute cette limite et ne voudront pas sauter. Un jour un enfant de l'île ne l'acceptera pas. Malgré les moqueries qu'il subira il n'abandonnera pas, il inventera le bateau ou l'avion, et il découvrira que le monde, depuis l'origine des temps, était bien plus vaste que ce qu'avaient envisagé ses ancêtres. Cet enfant aura changé le monde, on se souviendra de lui, car en réalité ceux qui sont capables de franchir les limites ne sont qu'une petite minorité, de rares individus.

Vouloir fixer des limites à l'intérieur d'un monde limité dont nous sommes déjà incapables de franchir les limites, voilà un comportement étrange des humains. Je pense que ceux qui sont déjà dérangés par les limites de leur vie cherchent à fixer aux autres des limites encore plus étroites afin qu'il existe dans leur monde des limites qu'ils soient capables de dépasser. Les limites et les frustrations sont vraiment un problème, surtout les nôtres.


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