Les enfants n'ont pas besoin d'être éduqués, mais d'être accompagnés avec empathie.

Jesper Juul.

En mémoire de Marina

Comme le rapportent Le Point et plusieurs autres journaux, deux associations de défense des droits de l'enfant, "Innocence en danger" et "Enfance et Partage", ont mis en cause l'Etat pour faute grave dans l'affaire de la petite Marina Sabatier (*), morte en 2009 sous les coups de ses parents. Ces associations ont estimé que les institutions publiques et les services sociaux qui dépendent du conseil général n'ont pas traité sérieusement cette affaire. En effet, les enquêtes sur les soupçons de maltraitance avaient été refermées malgré des signalements auprès du parquet du Mans, après que des enseignants de la petite fille et son médecin scolaire avaient signalé dès 2008 par écrit les bleus, les jambes et doigts déformés, les hématomes ou encore "la peau des pieds arrachée".

Malgré cela, le tribunal d'instance du 13e arrondissement de Paris a rendu sa décision jeudi matin : l'État ne sera finalement pas poursuivi.

La mise en cause de l'Etat serait pourtant justifiée pour une autre raison. La France a signé et ratifié depuis plus de vingt ans la Convention relative aux droits de l'enfant, dont l'article 19 stipule qu'il doit protéger les enfants "contre toute forme de violence". Tous les cinq ans, lors de la remise au Comité des droits de l'enfant des rapports sur l'application de cette convention, le Comité rappelle au représentant de la France qu'elle doit interdire toute forme de punition corporelle et humiliante, comme l'ont déjà fait 33 Etats. Or, depuis vingt ans, aucun gouvernement n'a eu le courage de prendre cette mesure et de voter une loi interdisant non seulement la maltraitance caractérisée, mais aussi les gifles et les fessées.

Seul notre aveuglement nous empêche de voir la continuité entre les gifles et les fessées et la maltraitance qui blesse et qui tue. L'escalade de la gifle ou de la fessée, considérées comme bénignes et même éducatives, à la maltraitance peut s'effectuer facilement, surtout si l'on a été soi-même maltraité dans l'enfance. La violence subie dans l'enfance, légitimée par l'opinion publique ("Une bonne fessée n'a jamais fait de mal à personne !"), peut devenir violence sans mesure quand l'enfant se rebelle et fait front ("Même pas mal !"). C'est en grande partie parce que presque tout le monde considère qu'il est normal de frapper les enfants que certains les frappent sans limites.

Si l'on compare à un iceberg l'ensemble de la violence infligée aux enfants par leurs éducateurs, la maltraitance est sa partie émergée, dénoncée, condamnée, mais elle n'existerait pas sans les neuf dixièmes de sa base immergée qui la soutient. Tant qu'on ne s'attaquera pas à cette base, tant qu'on justifiera la violence sur les enfants jusqu'à un certain point (gifles, fessées, humiliations…), il y aura toujours une forte minorité de parents qui, pour des raisons diverses, franchiront toutes les limites jusqu'à blesser, torturer ou tuer leurs enfants.

Il faut, bien sûr, améliorer les mesures de vigilance à l'égard de la maltraitance, et notamment donner aux médecins, au cours de leurs études, une réelle formation pour la détecter. Mais, l'expérience de la Suède et des pays scandinaves le montre, la seule mesure qui réduit réellement les cas de maltraitance c'est l'interdiction de toute forme de violence, si faible soit-elle, à l'égard des enfants.

Il est scandaleux qu'en France, alors qu'il est interdit de frapper un adulte qui peut se défendre et porter plainte, on considère comme normal et éducatif de frapper un enfant qui ne peut ni l'un ni l'autre. Considère-t-on comme une intrusion inacceptable de l'Etat dans la vie familiale le fait d'interdire la violence conjugale ? Trouverait-on normal d'admettre la violence jusqu'à un certain point à l'égard des femmes comme on le fait à l'égard des enfants ?

Il faut rappeler que "depuis 2003, le Comité européen des droits sociaux a conclu que la France, la Hongrie, Malte, la Pologne, la Roumanie, la République Slovaque, la Slovénie, l’Espagne et la Turquie avaient violé l’article 17 de la Charte pour ne pas avoir interdit toutes les formes de châtiment corporel". (Communiqué de presse de l'Organisation mondiale contre la torture, 7 juin 2005.)

Olivier Maurel,
fondateur de l'OVEO.


Liens :

* : Enfants « battus » : les errements de la Justice


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