Il ne peut y avoir plus vive révélation de l'âme d'une société que la manière dont elle traite ses enfants.

Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté.

« Défendre la cause des enfants », sur France Culture

Dans l’émission Être et savoir sur France Culture, Louise Tourret a reçu lundi 9 octobre la pédopsychiatre et chercheuse à l’Inserm Laelia Benoit, qui a récemment écrit un court texte, Infantisme, publié aux éditions du Seuil (octobre 2023), et Sorj Chalandon, journaliste et écrivain dont le roman L’Enragé (Grasset, 2023), inspiré de faits réels, vient également de paraître.

Les invités, qui ont en commun la défense du droit des enfants à être reconnus en tant que sujets – et non objets de propriété –, ont été invités pour échanger sur le thème de la défense de la cause des enfants.

Nous partageons cet épisode intéressant avec nos lecteurices car, visiblement sans le savoir, les intervenants défendent ardemment la cause que l’OVEO tente de rendre visible depuis de nombreuses années : les droits humains des enfants.

Laelia Benoit présente le concept d’infantisme1 (traduction du concept de childism utilisé aux États-Unis, où elle l’a découvert) par la définition qu’en a fait l’américaine Elizabeth Young-Bruehl2 dans son livre Childism: Confronting prejudice against children, publié en 2013 – après sa mort en 2011 : « Le préjugé envers les enfants, fondé sur la croyance qu’ils appartiennent aux adultes et qu’ils peuvent (voire qu’ils doivent) être contrôlés, asservis ou supprimés [‘removed’] pour servir les besoins des adultes. »3

L. Benoit explique avoir voulu « proposer un mot en français pour pouvoir réfléchir ensemble, en France, à cette notion ». Le terme ciblerait peut-être plus précisément l’idée sous-jacente que les parents – ou l’État – seraient propriétaires des enfants (et les enfants donc objets et non sujets). Mais les observations et réflexions que le concept entraîne ne sont finalement pas différentes de celles liées à la critique de la domination adulte ou de l’adultisme (lire par exemple notre déclaration de philosophie).

S’il est assez déconcertant – et, avouons-le, plutôt irritant – d’entendre Laelia Benoit exposer le concept d’infantisme comme si cette réflexion – et son intersectionnalité avec d’autres formes de domination – n’avait jamais émergé en France (elle ne semble pas connaître les écrits de Delphy, Dussy, Piterbraut-Merx ou Olivier Maurel, par exemple et pour ne citer que les plus récents), elle insiste néanmoins sur des éléments qui nous sont familiers et qu’il nous semble important de mettre toujours plus en lumière : le continuum (de la violence et de la domination), le parallèle avec d’autres formes de domination et le fait que cette condition découle d’un choix politique de société et non uniquement du problème de certaines familles (« au lieu de voir qu’il faudrait faire des aménagements sociaux pour soutenir les parents réellement, on les autorise à se défouler sur leurs enfants des contraintes sociales trop lourdes qui pèsent sur eux »).

Sorj Chalandon a quant à lui une approche plus instinctive et émotionnelle. Son ouvrage, L’Enragé, parle des bagnes d’enfants qui ont existé jusqu’au XX siècle en France et de la manière dont les jeunes, parfois pour avoir volé une pomme ou être tout simplement orphelins ou abandonnés par leur famille, y étaient traités. Il imagine le destin d’un des enfants qui a pris part à la révolte de 1934, et n’a jamais été repris.

Au cours de l’interview, il fait le lien entre cet épisode de l’Histoire et le sort actuel des enfants. Il s’émeut par exemple dès les premières minutes de scènes de violence éducative ordinaire (concept qu’il n’emploie pas) qui lui reviennent en mémoire. Les explications qu’il fournit dans la suite de l’échange prouvent à quel point sa mémoire d’enfant et son souvenir traumatique l’habitent encore intensément, ce qui lui fait prononcer cette phrase absurde et terrible : « Faites-le chez vous, caché s’il vous plaît, mais pas dans un restaurant, parce qu’il y a des gens qui sont autour. »

Pour autant, son questionnement sans concession et les exemples qu’il cite donnent toute la mesure de l’attitude malsaine, grossière et dévastatrice des adultes face aux plus jeunes.

Il rappelle aussi le slogan des années 1970 « Non au racisme anti-jeunes », contestant une forme de haine profonde des jeunes qui a joué un rôle pivot dans sa vie.

Un échange à écouter sur le site de France Culture.


  1. À ne pas confondre avec le terme enfantisme, qui veut dire le contraire, utilisé notamment par le Collectif enfantiste (collectifenfantiste.fr).[]
  2. Dans une présentation disponible sur Internet de l’ouvrage d’Elizabeth Young-Bruehl, on peut lire que, dans son sens large, childism définit ‘a legitimation of an adult’s or a society’s failure to prioritize or make paramount the needs of children over those of adults and the needs of the future adults over the needs of the present adults. It is role reversal at the level of a principle’ (p. 280)On pourrait traduire cela par : « une légitimation de l’échec d’un adulte ou d’une société à donner la priorité ou la primauté aux besoins des enfants sur ceux des adultes et aux besoins des futurs adultes sur ceux des adultes actuels. Il s’agit d’une inversion des rôles à l’échelle du principe. »[]
  3. ‘on the ground of the belief that they are property and can (or even should) be controlled, enslaved, or removed to serve adult needs’. Removed pourrait aussi être traduit par « enlevés », « retirés » (des familles) – l’idée générale étant de s’en débarrasser.[]

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