C’est seulement quand se produit un changement dans l’enfance que les sociétés commencent à progresser dans des directions nouvelles imprévisibles et plus appropriées.

Lloyd de Mause, président de l'association internationale de Psychohistoire.

A propos du « nouvel » enseignement civique et moral destiné aux élèves…

Par Amandine C., membre de l’OVEO

Une première réaction pourrait nous venir : pourquoi cantonner cette idée, si on la porte auprès des enfants, à ces derniers seulement ? Qu’en est-il des échanges entre enseignants et parents (sans l’enfant ?) ? Ce ne sont pas les enfants qui font la société qui les accueille… Et pourquoi ne pas établir des tables rondes du même type dans les entreprises, les services divers ? Pourtant, on observe aisément que les « difficultés » des cours de récréation reflètent l’ensemble de celles rencontrées dans tous les lieux sociaux, même si la violence peut y être plus manifeste, en raison de certaines immaturités qui ne permettent pas de la maquiller ou de la camoufler encore assez, et finalement de la normaliser…

D’aucuns déplorent le manque de discipline, de respect tant des autres que des règles… et la solution serait un enseignement supplémentaire, dans une enfance déjà surchargée ? Celui-ci serait par ailleurs un enseignement à part… comme si les thèmes qu’il recouvre étaient à cloisonner, alors qu’ils ne peuvent être par définition que transversaux !

Offrir aux enfants des temps de cercles de parole et d’échange, où ils auraient autant à dire que les adultes qui organisent les rencontres, serait bien plus constructif… mais cela suppose que l’adulte descende de son piédestal.

Nous baignons dans une culture de pompiers pyromanes à bien des niveaux, production alimentaire, santé… mais « éducation » sans doute avant tout, puisque tout en découle.

Ainsi, tout en continuant par ailleurs à suivre des programmes rigides et un fonctionnement tant relationnel que pédagogique qui a montré ses limites et n’en finit plus de s’essouffler, passant un nombre croissant d’individus à la moulinette, on veut par ailleurs apprendre aux enfants comment « il faut » se comporter. Le reste des enseignements fait preuve bien trop souvent, dans son approche et dans sa « transmission », d’un manque flagrant de respect pour l’enfant-élève, et là encore, selon la manière dont ce nouvel enseignement sera proposé, on imagine aisément un professeur utiliser les mêmes ressorts « éducatifs » de la pédagogie noire pour inculquer… le respect ! On sait pourtant 1 que l’enfant apprend par imitation, et non par des explications théoriques…

En effet, on sait à présent (les anciennes générations avaient peut-être cette excuse pour leur cécité) qu’un enfant naît avec en germe tout ce savoir-être tant réclamé, qu’un enfant naît altruiste et empathique par nature 2. S’il est respecté, entendu dans ses besoins, accompagné dans ses émotions (et non brimé/bridé), entouré d’adultes eux-mêmes respectueux de leur propre personne et de celle d’autrui (et c’est là que cela coince clairement dans notre société…), il ne pourra que manifester tout ce potentiel en lui.

Mais l’adulte préfère encore et toujours projeter sur l’enfant maintes croyances en sa possible perversion (désinformation culturelle à l’appui), en son impotence, le couper de tant de ses sensations et émotions que de ses élans, pour ensuite mieux le modeler à son image. L’enfant forcé à manger telle quantité à telle heure sera ensuite accusé de se montrer difficile quand venir à table lui fera horreur… l’enfant qui mangeait « comme un ogre » pour être « gentil » se fera plus tard reprocher son surpoids…

Et il en est de l’enfant-tube digestif comme ensuite de l’enfant-élève-entonnoir… Ou l’art de prendre les situations à l’envers pour mieux les tordre, situations où l’adulte se pose toujours en victime de ces enfants pour qui, pourtant, on fait tellement ! Les vieilles recettes ressortent alors : il faut davantage de discipline, d’autorité, de respect (de qui ?), de vivre-ensemble et de règles… Surtout pas de remise en cause de l’existant (en termes d’accompagnement), le redressement est toujours axé sur l’enfant, qui reste incompris dans ce qu’il est profondément… Par moments, on frise la schizophrénie.

Il est toujours saisissant de voir des enfants très jeunes (dès 3-4 ans) qui ont déjà en eux cette méfiance, voire cette défiance; ils ne vont plus parler spontanément ou alors en prenant une petite voix, ils vont « rapporter » les « bêtises » que d’autres peuvent faire, et pourtant, on sent bien que ce ne sont en eux que masques pour gagner la reconnaissance de l’adulte tout-puissant… Ce même adulte qui va ensuite donner des leçons de morale et de civisme, alors même qu’il n’en saisit pas la profondeur et les implications jusque dans son rôle parental, dans sa responsabilité déjà en tant que citoyen (avant tout autre rôle qu’il pourrait se donner, notamment en matière d’éducation) d’accueillir les nouvelles générations qui feront la société dans laquelle il vieillira…

C’est que, finalement, morale et civisme, sous forme d’enseignement qui plus est, me semblent bien recouvrir les « parents intériorisés » dont parle Alice Miller. Au lieu de faire le constat de l’échec de la relation à l’enfant basée sur le pouvoir (qui atteint sa pleine légitimation entre enseignant et enseigné, comme entre parent et enfant), d’admettre qu’il serait important de se remettre en cause devant tout ce qu’on sait à présent (notamment par l’apport des neurosciences) de ce qu’est un enfant et de son développement, bref, au lieu de changer très vite son fusil d’épaule (voire de laisser tomber le fusil !), on va encore chercher à travailler sur l’enfant 3. Comment faire autrement sans mettre en cause ce que l’on a soi-même reçu et, finalement, sans mettre en cause ses aïeux ?!

A mon sens, morale et civisme ne s’apprennent pourtant pas avec des mots… ou alors, comme l’enfant qui apprend en automate à dire bonjour-et-merci, le bon élève saura réciter la leçon, mais, si son environnement n’évolue en rien dans les modèles relationnels, continuera à manquer de respect envers les autres puisque, bien souvent, il n’en a que peu pour lui-même, convaincu à force d’éducation de n’être jamais ni « assez » ni « bon », et que c’est la loi du plus fort, du « meilleur » qui l’emporte toujours.

Vouloir se donner et afficher comme « objectif » officiel, sans doute salué par la majorité des parents, de « rétablir l’autorité des maîtres » ne peut pas, l’histoire l’a déjà montré, permettre à une société d’avancer vers davantage de respect du vivre-ensemble ni même vers un savoir-être plus harmonieux ! il est tout simplement aberrant que l’on ose encore proposer ce genre de re-forme (comme dirait Jean-Pierre Lepri 4) au XXIe siècle, avec le recul apporté notamment par le siècle dernier, et les connaissances qui sont à notre portée, mais si peu diffusées et encore moins digérées.

Pour plus de civisme, commençons par respecter les enfants dans ce qu’ils sont intrinsèquement, déposons les armes et les peurs découlant de la méconnaissance de ce qu’est un enfant et de nos refoulements d’adultes ; osons une relation de sujet à sujet, sans artifice ni enjeux de pouvoir.



  1. Voir les ouvrages du Dr Catherine Gueguen, d’Isabelle Filliozat, de Jesper Juul, entre autres.[]
  2. Voir le livre d’Olivier Maurel Oui, la nature humaine est bonne, son article Les bases de la paix existent déjà chez l'enfant, ou encore cet article d’Alfie Kohn : L’agressivité est-elle innée chez les humains ?[]
  3. Faire à l'enfant, au lieu de faire avec lui, selon l'expression d'Alfie Kohn.[]
  4. Voir La Fin de l’éducation ?, éd. L’Instant présent, 2013, rééd. Myriadis/Le Hêtre.[]

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