Vous dites : « C’est épuisant de s'occuper des enfants.» Vous avez raison. Vous ajoutez : « Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser. » Là, vous vous trompez. Ce n'est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre. Pour ne pas les blesser.

Janusz Korczak, Quand je redeviendrai petit (prologue), AFJK.

5 ans après la loi du 10 juillet 2019, comment les médias abordent-ils la question de la violence éducative ordinaire ?

Dans l’objectif d’apporter des éléments de bilan de la loi du 10 juillet 2019 « relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires », il nous a semblé intéressant d’analyser les discours médiatiques actuels.

Les médias ont abordé la question à différentes reprises ces derniers mois :

  • en juin-juillet 2023, à l’occasion des révoltes urbaines qui ont suivi la mort du jeune Nahel Merzouk, tué par un policier pour un refus d’obtempérer, dans lesquelles de nombreux adolescents ont été impliqués,
  • en avril 2024, lors de l’arrêt de la cour d’appel de Metz maintenant le droit de correction (voir notre lettre ouverte à la Cour de cassation), puis de la campagne de StopVEO sur la question de l’héritage des violences, et de la « journée de la non-violence éducative » (JNVE) le 30 avril,
  • en juin-juillet 2024, à l’occasion du deuxième baromètre IFOP-Fondation pour l’enfance et des 5 ans de la loi de 2019.

Nous avons constaté plusieurs types de discours (à noter que nous nous sommes concentrés essentiellement sur les médias « mainstream » : radio et télévision ; les publications dans la presse étant en général plus nuancées et avançant davantage d’éléments de contexte et de réflexion ; nous n’avons pas tenu compte non plus des échanges sur les réseaux sociaux ou média en ligne (voir ci-dessous la liste des émissions référencées dans cet article). Ils suivent un spectre allant de la nécessité du recours aux punitions corporelles à la nécessité d’un changement de paradigme quant à notre façon de considérer les plus jeunes. Dans l’ensemble, nous remarquons que la dimension structurelle de la domination adulte est au mieux impensée, au pire, revendiquée. Pourtant, l’idée émerge timidement avec les notions d’infantisme (discrimination des plus jeunes) et d’enfantisme (luttes en faveur des intérêts des enfants).


Liste des émissions référencées dans cet article

24/09/24 – Caroline Goldman, psychothérapeute invitée d'Amandine Bégot dans RTL Matin (intégrale) (RTL) – La santé mentale, grande cause nationale 2025 (C. Goldman).
15/09/24 – Affaire de la fillette frappée à l'école : que faire face aux violences éducatives ? (France info) – Violences d’une maîtresse.
13/09/24 – Avocats de l'institutrice et de la famille, mère de l'enfant et psychologue: retour sur l'affaire de l'enfant frappée par son enseignante à Paris (BFM TV) – Violences d’une maîtresse. Extraits de plusieurs interviews.
12/09/24 – « Une affaire anecdotique » : l'avocat de l'enseignante ayant frappé une élève à l'école évoque un « craquage » (BFM Île-de-France) – Violences d’une maîtresse. Avocat de l’enseignante.
11/09/24 – Fillette de 3 ans frappée par sa maîtresse lors de sa première rentrée : l'enseignante suspendue (Europe 1) – Violences d’une maîtresse.
11/09/24 – Une petite fille de 3 ans frappée par une maîtresse d'école, une plainte déposée : « C'est glaçant » (BFM RMC) – Violences d’une maîtresse. Interview de l’avocate de la mère.
11/09/24 – Édito Pascal Praud - Enfant de trois ans frappée par sa maîtresse : « Cette vidéo m'a mis mal à l'aise » (Europe 1) – Violences d’une maîtresse. Édito de Pascal Praud.
11/09/24 – Vidéo d'une élève de 3 ans frappée par sa maîtresse à Paris : « Ça m'a mis les larmes aux yeux », confie une auditrice (Europe 1) – Violences d’une maîtresse. Témoignage d'une auditrice.
11/09/24 – Enseignante accusée d'avoir frappé une élève de 3 ans : six questions qui se posent après l'ouverture d'une enquête préliminaire (France info) – Violences d’une maîtresse.
11/09/24 – Élève frappée par sa maîtresse : que risque l'enseignante soupçonnée de violences ? (RTL) – Violences d’une maîtresse.
10/09/24 – Élève de 3 ans frappée : sa mère sur BFMTV (BFMTV) – Violences d’une maîtresse. Interview de la mère.
10/09/24 – Petite fille frappée par une enseignante à Paris : sanctions, enquête, santé de la fillette, ce que l'on sait (France Bleu Paris) – Violences d’une maîtresse.
10/09/24 – Élève de trois ans frappée en classe : l'enseignante suspendue (TF1 Info) – Violences d’une maîtresse.
04/09/24 – « Ça ne fait pas de mal de prendre un peu de recul sur nos choix éducatifs » : immersion dans un stage de responsabilité parentale (France info) – Stages de responsabilité parentale.
03/09/24 – L'infantisme selon Laelia Benoît (France Culture) – Concept "infantisme".
03/09/24 – Caroline Goldman : « Les critiques m'intéressent autant que les remerciements » (France Inter) – Sortie du livre de C. Goldman.
30/08/24 – Faut-il en finir avec l'éducation bienveillante ? (TFI Info) – Sortie du livre de C. Goldman.
06/08/24 – Que pensez-vous de la fessée « éducative » ? (Europe 1) – 5 ans de la loi (Olivier Maurel).
25/07/24 – Cinq ans après la loi anti-fessée, les parents n'ont pas changé leurs habitudes d'éducation (BFM RMC) – Baromètre de la Fondation pour l'Enfance.
11/07/24 – Loi anti-fessée : « Je pense qu'on confond tout (...) » (RTL France) – 5 ans de la loi (Robert Ménard).
11/07/24 – Lettre aux Français, interdiction de la fessée (à 21'45) (RTL Matin) – 5 ans de la loi.
13/06/24 – La fessée en questions (TF1) – Baromètre de la Fondation pour l'Enfance.
13/06/24 – L'infantisme, la discrimination des mineurs (France Inter).
07/06/24 – Fessée, gifle, cris… Les parents ont-ils trop recours aux violences éducatives ordinaires ? (BFM RMC) – Baromètre de la Fondation pour l'Enfance.
07/06/24 – 81% des parents reconnaissent avoir encore recours aux violences éducatives ordinaires selon une étude (BFMTV) – Baromètre de la Fondation pour l'Enfance.
du 6 au 9/05/24 – Série « Les enfants peuvent-ils parler ? » (France Culture).
06/05/24 – Violences éducatives : où se situe la frontière entre l’éducation et la violence ? (France Bleu Paris) – Arrêt Cours d'appel de Metz.
30/04/24 – Elever ses enfants sans punitions, sans fessée, sans crier, c'est possible ? (France Bleu Hérault) – JNVE.
30/04/24 – « Violences éducatives ordinaires » : quelles alternatives pour asseoir son autorité parentale ? (Europe 1) – JNVE.
30/04/24 – Parents-enfants : lancement d'une nouvelle campagne pour "briser le cercle vicieux" des violences éducatives (France Bleu Auxerre) – Campagne de StopVEO.
30/04/24 – « Lutter contre les violences éducatives ordinaires participe à la prévention d'autres violences plus graves », selon Arnaud Gallais (C News) – JNVE.
30/04/24 – Valérie Laurent, directrice de l'Ecole des Parents et des éducateurs du Gard (France Bleu Gard Lozère) – JNVE.
29/04/24 – Campagne contre les violences éducatives ordinaires : « Il n’y a pas de bonne fessée et de mauvaise fessée », souligne l'association Enfance sans violence (France Info) – JNVE, Campagne de StopVEO.
29/04/24 – Violences éducatives ordinaires : « se comprendre pour désamorcer nos réactions » explique une coach parentale (France Bleu Saint-Étienne Loire) – JNVE, Campagne de StopVEO.
29/04/24 – Violences éducatives : il faut aussi savoir punir les enfants, selon une psychologue drômoise (France Bleu Drôme Ardèche) – JNVE, Campagne de StopVEO.
29/04/24 – Violences éducatives ordinaires : "On reproduit souvent ce qu'on a vécu", analyse le président de l'association Stop VEO (France Info) – JNVE, Campagne de StopVEO.
29/04/24 – Journal de 12h30 (à 14') (France Culture) – Campagne de StopVEO.
29/04/24 – Violences éducatives : à Marseille, des parents reconnaissent qu'il est difficile d'éduquer sans punir ou sans crier (France Bleu Provence) – JNVE.
28/04/24 – Les chansons des "joyeuses" punitions corporelles (France Info) – Arrêt Cours d'appel de Metz.
23/04/24 – Enfance : comment lutter contre les violences éducatives ordinaires ? (France Info Junior) – Campagne de StopVEO.
23/04/24 – 5 ans de la loi « Anti-fessée » en France : chantage, humiliations, fessées… Que risquent les parents ? (C News) – Campagne de StopVEO.
23/04/24 – Violences éducatives ordinaires : une campagne sur la « transmission transgénérationnelle » lancée ce mardi (C News) – Campagne de StopVEO.
23/04/24 – Éducation : comment sanctionner ses enfants sans violence, selon la directrice générale de StopVEO (Europe 1) – Campagne de StopVEO.
23/04/24 – Nouvelle campagne de prévention des «violences éducatives ordinaires» (Europe 1) – Campagne de StopVEO.
22/04/24 – « Droit de correction » : Je croyais que même une fessée était interdite désormais ? (BFMTV) – Arrêt Cours d'appel de Metz.
21/04/24 – « Il s'est pris plusieurs fessées » : ces parents dépassés qui regrettent les violences éducatives (TF1 Info) – Stages de responsabilité parentale.
20/04/24 – Un policier poursuivi pour violence sur son ex-femme et ses enfants relaxé : trois pourvois en cassation (C News) – Arrêt Cours d'appel de Metz.
18/04/24 – Une bonne fessée (France Bleu Nord) – Chronique "humour" sur la loi.
12/02/24 – Les mots pour dire la domination adulte et les violences faites aux enfants (L'Humanité) – Tribune.
17/11/23 – Violences faites aux enfants et adolescents : ensemble, mettons fin au régime d'impunité – Manifestation organisée par le Collectif enfantiste.
09/10/23 – Défendre la cause des enfants (France Culture) – Concept "infantisme".
05/07/23 – « Deux claques et au lit » : les Insoumis méritent-ils la fessée ? (Europe 1) – Propos du préfet de l'Hérault dans cadre révoltes urbaines.
04/07/23 – « Deux claques et au lit » : la « colère » de la députée Maud Petit après les propos d'un préfet (BFM RMC) – Propos du préfet de l'Hérault dans cadre révoltes urbaines.
04/07/23 – « Deux claques et au lit » : des députés LFI saisissent le procureur après les propos du préfet de l'Hérault – Propos du préfet de l'Hérault dans cadre révoltes urbaines.
04/07/23 – Bac 2023 : Pap Ndiaye annonce un taux d'admission de 84,9% avant rattrapage (RTL) – Révoltes été 2023.
03/07/23 – « Deux claques et au lit ! » Le préfet de l'Hérault s'interroge sur l'éducation et sur l'autorité parentale (France Bleu Hérault) – Propos du préfet de l'Hérault dans cadre révoltes urbaines.
30/06/23 – « En guerre » contre des « nuisibles » : ce communiqué de deux syndicats de police indigne (BFMTV) – Révoltes été 2023.
29/04/23 – Quelle place pour l'enfant dans nos sociétés ? (RFI) – JNVE.
14/03/22 – Interdiction de la fessée : un mouvement qui traverse les frontières (France Culture) – Sortie du Dictionnaire du fouet et de la fessée : corriger et punir.
09/02/23 – Éducation bienveillante: quels risques pour l’autorité ? (RFI)
25/01/22 – Épisode 2/4 : Fessée et châtiment, punir pour éduquer (France Culture, Série « Transmettre les savoirs, une histoire de l'éducation) – Sortie du Dictionnaire du fouet et de la fessée : corriger et punir.


Éléments de contexte - définition de la notion de violence éducative ordinaire et du cadre juridique

Comment est définie dans les médias la notion de violence éducative ordinaire ?

Il n’est pas si fréquent que la notion de violence éducative ordinaire soit définie lors des différentes prises de parole, notamment par les détracteurs de la loi, qui se cantonnent à des exemples. Si la fessée reste majoritaire dans les exemples donnés, d’autres violences physiques sont évoquées (claques, pincements, bousculade…), et les violences verbales et psychologiques sont également rappelées : cris, moqueries, injures, brimades, humiliations…. Céline Quelen, directrice, et Gilles Lazimi, président de StopVEO, évoquent aussi l’intention éducative et la banalisation, le caractère récurrent de ces violences. Il n’est pas précisé que les distinctions entre violences physiques, verbales et psychologiques restent purement formelles, les coups et les cris induisant également une violence psychologique. La dimension systémique est également très rarement évoquée. 

Claire Marsot, coach parentale, sur France Bleu Saint-Etienne Loire, précise également : « Ça peut être tout ce qui est forme d'humiliation, de chantage, de menace. Tout ce qui va faire peur à l'enfant et qui va le faire se sentir en insécurité. » Carine Graux, psychologue clinicienne, sur France Bleu Hérault : « Toutes les pratiques qui font mal, qui font peur, ou qui menacent un enfant, sous prétexte d’éducation [...] “c’est pour son bien”. »

Nous le verrons, la question de la violence des punitions en général ou de certaines punitions en particulier fait débat. 

Par exemple, le journaliste Benjamin Muller sur TF1 précise : « C’est pas quand on dispute ses enfants. » A contrario, Olivier Maurel sur Europe 1 évoque l’inutilité, la violence des punitions et notamment des mises au coin : « La mesure de ce qui est violent, c’est le fait de savoir ce que ça nous ferait à nous. Si quelque chose est pour nous douloureux, est pour nous une souffrance, eh bien c’est une souffrance plutôt pire pour les enfants, qui sont particulièrement vulnérables. »

Le cadre juridique et les conséquences pour les parents sont parfois évoqués. Il est souvent avancé que la loi n’est pas assortie de sanctions. 

Ainsi, dans cet article de Cnews, ou bien sur TF1 : « Vous n’avez pas le droit de donner une fessée à votre enfant, mais si vous en donnez, vous ne risquez rien. » En notant une différence si « on sort de ses gonds », ce qui nécessite un accompagnement face à la difficulté de maîtriser ses émotions. 

Valérie Laurent, directrice de l'École des parents et des éducateurs du Gard, prend en compte la notion de récurrence, faisant la différence entre un geste commis une fois et la banalisation au quotidien.

Pour Céline Quelen, « il ne faut pas condamner les parents qui mettent des fessées, c’est une évidence. On accompagne ces personnes-là pour expliquer que le curseur doit se déplacer, mais les parents qui essaient de bien faire et qui ont ce qu’on peut appeler des sorties de route [...] on ne peut pas jeter la pierre aux parents. »

capture d'écran émission BFM TV

La loi de 2019, bien que ne prévoyant pas de sanction nouvelle, avait pour objectif de supprimer le droit de correction coutumier, encore appliqué par le juge pénal pour exonérer la responsabilité des parents auteurs de violences, sous couvert du caractère prétendument éducatif et inoffensif de ces violences. Cela devait donc avoir pour conséquences de potentielles condamnations pénales de parents ayant exercé des faits de violence, aussi légers soient-ils. Aussi l’arrêt de la cour d’appel de Metz a-t-il surpris car, citant la loi de 2019, le juge l’écarte pourtant et maintient l’application du droit de correction (Joëlle Sicamois, directrice de la Fondation pour l’enfance sur France Bleu Paris, l’évoque). Des pourvois en cassation ayant été formés, il convient de rester prudent quant aux risques juridiques encourus par les parents auteurs de violences, à l’instar de cet extrait sur BFMTV qui résume l’état du droit actuel. 

TF1 a également diffusé un reportage montrant des parents condamnés ou dont l’enfant a été placé suite à des violences (claques, fessées) et qui suivent un stage de responsabilité parentale ; France Info a également publié un reportage sur ces stages

Maintien d’un discours d’opposition à la loi et d’une légitimation de la violence

Certaines prises de parole publiques maintiennent l’idée d’une décrédibilisation de la loi et de la justification des violences exercées à l’encontre des plus jeunes. 

Ainsi, le 25 juillet 2024, dans l’émission « Les grandes gueules » sur RMC, le chroniqueur Mourad Boudjellal estimait nécessaire « d’aller au-delà de la fessée ». « Je n’aurais pas réussi le quart de ce que j’ai fait dans ma vie si je n’avais pas eu la trouille de mes parents, parce que je pouvais prendre une branlée [...]. Aujourd’hui ça serait bien qu’on retrouve de l’autorité, la peur de la branlée et la peur de franchir la ligne blanche, parce que c’est un vrai problème de société, on en a vraiment besoin [...]. L’autorité c’est important, et l’autorité c’est la peur. » Dans cette même émission, l’animatrice Joëlle Dago-Serry, bien que soulignant l’évolution favorable des pratiques éducatives, précise : « Je ne suis pas tellement pour une loi [...], je ne crois pas que la fessée soit déjà de la maltraitance. » Emmanuel de Villiers, autre chroniqueur, ajoute que la loi est invérifiable car elle concerne la vie privée, qu’elle « participe d’une démagogie de gens qui n’ont sans doute jamais élevé d’enfant », et qu’elle a un effet déresponsabilisant. 

Le 7 juin 2024 sur RMC, Laurent Dandrieu, chef du service culture à Valeurs Actuelles et Perico Legasse, journaliste à Marianne, vont dans le sens d’une justification des violences physiques, contredits par une intervenante (journaliste, chroniqueuse ?) en désaccord avec les atteintes physiques. En particulier, Laurent Dandrieu précise : « J’ai l’impression que les gens qui ont fait cette étude ne font pas bien la différence entre sanctions et violences, et assimilent toute sanction à une violence. Alors évidemment les gifles c’est l’horreur absolue, moi je pense qu’une petite tape sur la main ça a une dimension plutôt symbolique qui peut être tout à fait utile dans certaines circonstances. Il y a aussi certainement des fessées qui ne sont pas violentes mais qui sont symboliques. [...] La mise au coin me paraît un outil pédagogique extraordinairement utile. »

Des prises de paroles d’auditeur·ices et des micros-trottoirs vont également dans ce sens (micros-trottoirs sur TF1 et RTL : extrait à 1 min 15 ; extrait à 22 min). Ainsi, dans l’émission du 25 juillet sur RMC précitée, un auditeur est intervenu, expliquant qu’il avait reçu enfant des coups de bâton et de fouet. « On commence d’abord par la peur et plus tard l’enfant comprendra, parce qu’à un certain niveau l’enfant ne peut pas comprendre. » Le présentateur, Olivier Truchot, intervient, précisant que l’on peut tout de même avoir de l’autorité « sans passer par les coups de fouet », qu’il est nécessaire d’évoluer, ce à quoi Mourad Boudjellal répond : « Il y en a pour certains, on n’est pas loin de l’état sauvage, par moment, ça ferait pas de mal » (sur quoi le présentateur alerte sur les risques de réactions de l’Arcom). Sur Europe 1, une mère de 6 enfants qui condamne les violences physiques comme les gifles précise pourtant : « Une fessée, ça fait pas de mal, je trouve pas ça violent », le journaliste Pascal Praud validant son point de vue.

Les émeutes urbaines de l’été 2023 ont également été l’occasion d’une critique de la loi, y compris par des représentants de l’État. Ainsi le préfet Yves Moutouh déclarait-il au micro de France Bleu Hérault : « Une éducation ça commence à la naissance. Si dans les 12-13 premières années ces enfants sont élevés comme des herbes folles, il ne faut pas s’étonner qu’à 12-13 ans on les voie caillasser des véhicules de police ou piller des magasins. Je sais qu’en 2019 le parlement a interdit la fessée mais très franchement, de vous à moi, si demain vous attrapez votre gamin, qui descend dans la rue pour brûler des véhicules de police ou caillasser des pompiers ou piller des magasins, la méthode c’est quoi ? C’est deux claques et au lit, c’est ce que faisaient nos grands-parents. »

Les réactions à ces propos démontrent les différences d’approche selon le positionnement politique : 

→ Saisine du procureur de la République par les députés LFI Sylvain Carrière et Nathalie Oziol (interventions sur France Bleu Hérault : « Ce n’est pas des propos dignes du représentant de l’État dans notre département [...] il appelle les parents à être violents envers leurs enfants, ce n’est pas possible » ; « il est préfet, garant du respect de la loi [...] il assume à la radio d’appeler à contrevenir à la loi »).

→ Réaction de Maud Petit sur RMC, députée Modem ayant présenté la proposition de loi de 2019, condamnant ces propos (« nous avons un représentant de l’État qui encourage la population à enfreindre la loi, c’est irresponsable et inadmissible »). 

→ Réaction du ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye sur RTL, nuançant mais ne condamnant pas (« c’est une formule un peu rapide sans doute »).

Édito politique de Vincent Trémolet de Villers sur Europe 1, critiquant la saisine du procureur de la République par les députés LFI (« cette phrase pourtant, l’immense majorité des Français la partage et l’approuve, cette phrase c’est le bon sens de nos grands-parents au milieu de l’hypocrisie démagogique de la machine médiatique et politique ») et désapprouvant la loi (« loi inutile et bavarde », « gadget législatif »).

→ Prise de position, un an plus tard, du maire RN de Béziers Robert Ménard, sur RTL, évoquant la loi : « Je le souligne chaque fois [lecture du Code civil lors des cérémonies de mariage] tant je trouve absurde cet ajout. » Justifiant les coups « légers » (fessée sur une couche, tape sur une main) et les punitions comme les mises au coin, il considère que la loi est « hypocrite », tous les parents ayant eu des « gestes d’exaspération envers leur enfant », et valide les propos du préfet Moutouh.

Ainsi, malgré leur caractère illégal, ces propos n’ont pas disparu de l’espace médiatique. Cependant, ils ne sont plus portés par des personnes s’exprimant en tant qu’expert ou spécialiste, comme cela pouvait être le cas avant le vote de la loi.

Prédominance d’un discours validant la loi mais conservant une posture adultiste

Beaucoup de personnes s’exprimant sur le sujet valident le bien-fondé de la loi et condamnent les violences, en particulier les violences physiques, mais ne remettent pas en question l’attente de l’obéissance et la verticalité de la relation éducative. Dans cette catégorie de discours, il existe des nuances.

En particulier, l’écho médiatique dont a pu bénéficier la psychanalyste Caroline Goldman, notamment via ses chroniques en 2023 sur France Inter, démontre la prééminence de cette posture dans les médias, en dépit des prises de position de nombreux·ses professionnel·les dans la presse ou sur les réseaux sociaux (voir notre article et la lettre ouverte d’Olivier Maurel). Nous pouvons également constater que le débat entre attitudes considérées comme violentes et attitudes considérées comme éducatives s’est déplacé ces dernières années des violences physiques à des violences psychologiques, notamment le « time-out », défendu par Caroline Goldman (ainsi précisait-elle dans une de ses chroniques : « Je déplore aussi la manie qu’ont nos commerçants de placer le time-out, c’est-à-dire la mise à l’écart temporaire hors de l’espace commun, parmi les violences éducatives. Les recherches scientifiques sont en effet formelles sur le fait qu’envoyer dans sa chambre un enfant parfaitement averti des règles, conscient de transgresser et très aimé et heureux par ailleurs, d’abord est très efficace, ensuite ne donne lieu à aucun effet secondaire, et enfin permet d’éviter les violences intrafamiliales. L’inclure parmi ces violences éducatives m'apparaît donc comme gravement irresponsable car nous, psy, savons que c’est en retirant aux parents des solutions de bon sens que nous risquons de les propulser dans le chaos. »). Ce débat a surtout eu lieu dans la presse, par tribunes interposées, et sur les réseaux sociaux. Nous n’avons pas trouvé d’émission, de débat, à la radio ou à la télévision, qui aurait permis d’apporter une contradiction directe au point de vue de Caroline Goldman. La sortie début septembre 2024 de son dernier livre, Guide des parents d’aujourd’hui, issu de ses chroniques sur France Inter, est l’occasion de maintenir son discours sur le devant de la scène médiatique (chronique sur TF1, interview sur France Inter). Elle explique dans cette interview sur RTL que la détérioration de la santé mentale des jeunes s’explique notamment par « l’éducation positive », qui « n’a pas fait de bien non plus » ; « des fois, les enfants sont malheureux d’avoir été mal limités, ça rend leur vie impossible » [à cause du rejet des autres qui ne veulent plus les fréquenter]. « Il faut aussi court-circuiter les pulsions d’emprise et la toute-puissance, il faut répondre à leur appel de limites [...] il faut aimer et cadrer, c’est tellement du bon sens ! » Face aux difficultés que peuvent vivre les familles au quotidien, aucune remise en question systémique du contexte socio-économique susceptible d’impacter la relation parents-enfants, il semble que les solutions ne soient qu’individuelles (« il y a toujours des arrangements possibles »).

D’autres prises de parole de professionnel·les mettent en avant l’idée que c’est avant tout à l’adulte de fixer les règles et les limites, et d’y apporter des sanctions en cas de transgression. Les concepts développés par la psychanalyse, bien que remis en question aujourd’hui, restent bien souvent invoqués. Des questions comme : « comment se faire obéir ? », « comment asseoir son autorité ? », restent majoritaires, démontrant ainsi la difficulté de sortir d’un cadre de pensée où la relation éducative s’inscrit nécessairement dans un rapport de force. Ce témoignage de parents sur France Bleu Provence l’illustre particulièrement.

Ainsi, le psychothérapeute Didier Pleux précisait dans l’émission précitée sur RTL : « Les parents qui ont recours à la fessée, c’est tout à fait condamnable, ce sont des parents qui sont dépassés, en burn-out. [...] Il faut une autorité éducative, il faut que les parents retrouvent une autorité qui augmente le seuil de tolérance à la frustration des enfants, qui leur donne le goût de l’effort, des parents qui sont à la verticalité et pas dans une espèce de démocratie familiale. Je ne veux pas d’un retour à l’autoritarisme, je veux des parents modèles, qui exigent, qui contraignent, qui frustrent mais bien sûr qui aiment, et c’est ça qui évite la violence éducative. [...] C’est ça l’autorité éducative, c’est apprendre le réel, c’est pas faire du développement personnel uniquement avec son enfant.[...] Alors en ce moment on va dire “file dans ta chambre”, qu’il vaut mieux un “file dans ta chambre” qui coupe la relation que de réexpliquer avec bienveillance la règle, la règle, toujours la règle, et accueillir l’émotion, mais c’est une fausse trêve le “file dans ta chambre”, c’est en amont qu’il faut intervenir. »

Également Carine Biancone, psychologue en pédiatrie : « Il faut aussi savoir punir les enfants. Les violences psychologiques sont tout autant problématiques que celles physiques. Dire "non, tu n'auras pas ce jouet", cela n'est pas du tout de la maltraitance. Il s'agit juste d'accompagnement à tolérer la frustration. Je pense que tous les parents en ont fait l'expérience : quand on dit "oui" à tout, l'enfant continue, c'est-à-dire qu'il n'est jamais comblé. Il vient chercher la limite. Mettre des limites à son enfant constitue notre rôle de parent. Dire qu'il ne faut surtout jamais crier, jamais punir, pour moi, cela peut aller jusqu'à de la maltraitance. Être le copain de son enfant ne peut pas fonctionner. »

Selon le pédopsychiatre Patrick Ben Soussan, invité d’Europe 1, « il ne faut pas croire que quand on dit "non" à un enfant, on lui fait du mal ou il ne va plus nous aimer. Ça va lui permettre de savoir où est le possible et où est l'impossible, et à un moment, c'est "stop". Cette autorité parentale doit se manifester très tôt dans l'enfance. Ça commence par le terrible two, où les enfants ont à peu près deux ans. C'est un moment où les enfants disent "non" constamment, où il faut tenir sur des positions fermes et posées. On n'est pas obligé de crier, de taper. D'ailleurs, [les enfants] demandent très souvent dans leur comportement à ce qu'on leur signifie que c'est "stop". On dit "bonjour", on est poli, on fait attention aux autres, on respecte les objets... Si on ne commence pas comme ça très tôt, ça ne fonctionne plus.

Céline Quelen, directrice de l’association StopVEO, sur Europe 1 : « On a ce devoir de leur poser des limites, de leur donner des règles, de leur donner des valeurs qui sont propres à chaque famille. » En réponse à la question de Pascal Praud : comment faire appliquer l’autorité, quelles sont les sanctions ?  : « Dès lors que les limites sont franchies on peut parler de sanctions. La sanction doit être corrélée et répondre à un message éducatif » (en l’occurrence, exemple de la privation d’un appareil numérique dont l’enfant se serait servi malgré l’interdiction parentale).

Réflexions sur des alternatives

Quelques témoignages et prises de parole permettent d’ouvrir à d’autres perspectives hors punitions :

Dans certains témoignages, des parents évoquent davantage de dialogue, d’explications : par exemple sur RMC (un parent surpris par le discours tenu à l’antenne « à l’ancienne »), ou sur France Bleu Paris (« Je parle, j’écoute [...] je ne crie pas, je ne frappe pas parce que je sais que ça m’a traumatisée et je ne veux pas que mes enfants revivent la même chose. [...] Mes enfants sont sages parce que je leur parle en fait [...], ils comprennent ») ; ou encore sur France Bleu Hérault (« On est dans le dialogue depuis tout petit, ça s’est bien passé, il a 20 ans j’ai pas eu de crise d’ado, j’ai jamais dû crier. [...] Les gens me disaient : C’est parce qu’ils sont calmes que tu peux réagir comme ça, ce à quoi je répondais : C’est peut-être parce que je les élève comme ça qu’ils sont calmes ! »).

Olivier Maurel sur Europe 1 montre également l’importance de la relation basée sur le respect mutuel. À la question : « Que faire si l’enfant ne fait pas ses devoirs par exemple ? » « C’est de rappeler qu’il doit les faire, c’est avoir une relation normale avec un être humain. Et après essayer de lui montrer que c’est sa responsabilité à lui et que ça peut avoir des conséquences par la suite. En général un enfant élevé de façon positive réagit positivement [...]. On les laisse dans leur responsabilité sans les punir. » À la question du journaliste : « Vous dites que si un enfant n’obéit pas à une règle fixée par un parent, on le laisse finalement de lui-même comprendre son erreur ? » « Les règles, autant que possible, elles doivent être fixées pas seulement par les parents. Les règles sont à fixer à la fois par les parents et par les enfants. » 

Carine Graux : « Les enfants écoutés petits expriment plus leurs émotions, mais en grandissant, et parce qu’ils sont accompagnés à réguler leurs émotions, ils vont devenir plus tranquilles. Ce ne sont pas des enfants sages, mais des enfants tranquilles. Les enfants sages sont des enfants qui ont renoncé à leur monde émotionnel [...]. Aujourd’hui, on est dans un remaniement, l’éducation c’est la relation et la qualité de la connexion » [maintien de la notion de limites à poser, dans le respect de l’intégrité de l’enfant]. Concernant la gestion des crises : « Il faut reconnaître les comportements d’imitation, les envies des enfants, comprendre les besoins. » Carine Graux évoque la nécessité de changer de point de vue, de regarder les situations en prenant en compte le point de vue des enfants. Les enfants ont une charge émotionnelle, il existe une asymétrie entre adultes et enfants ; « on ne peut pas demander à un enfant d’être plus raisonnable que nous, les adultes. Quand on a une charge émotionnelle, regardons nos débordements et accompagnons, grandissons à cet endroit-là. »

Claire Marsot préconise de chercher de l’aide, de réfléchir sur notre vécu : « Alors, bien sûr, souvent, on ne sait pas comment faire autrement. Ce qui peut être aidant, c'est de participer à des groupes, de discuter avec d'autres parents, de lire, de rencontrer des professionnels pour justement arriver à comprendre ce qui nous mène à ce comportement-là et comment est-ce qu'on peut faire autrement pour accompagner notre enfant en toute sécurité. [...] Je crois que bon nombre d'adultes, quand ils deviennent parents, réalisent tout à coup ce qui s'est passé pour eux. Moi la première, quand je suis devenue maman, je me suis retrouvée à avoir des excès de violence, à sentir des choses à l'intérieur de moi qui me faisaient extrêmement peur. Je me disais : mais qu'est ce qui se passe, alors que ce sont les personnes que j'aime le plus au monde, mes enfants ? Comprendre ce qui s'est passé peut nous permettre de désamorcer petit à petit nos réactions. »

Joëlle Sicamois évoque également l’idée d’accompagner et d’accueillir les émotions de l’enfant, expliquer, comprendre ses réactions (évoque aussi la nécessité des limites pour la sécurité de l’enfant).

Valérie Laurent, directrice de l'École des parents et des éducateurs du Gard, préconise de pouvoir échanger entre parents.

Vers un autre regard ? 

Au-delà de ce spectre d’interventions, d’autres dimensions sont amenées. 

Ainsi, les conséquences négatives sont évoquées :

Arnaud Galais, membre du CA de StopVEO, rappelle sur RTL (débat à partir de 21 min 45) le continuum des violences, avec le décès d’un enfant tous les 5 jours. Sur Cnews, il évoque le lien entre violence éducative ordinaire et inceste : « Dans l’ordre des choses, on nous demandait à nous, enfants, de nous taire”, s’est-il souvenu. Ce qu’il a fait, très longtemps, même après les abus de son grand-oncle puis de ses cousins : Les conditions n’étaient pas réunies pour une libération de la parole.” »

Arnaud Pfersdorff, pédiatre, sur TF1 : « Les violences éducatives ordinaires ont un effet extrêmement délétère sur le développement de l’enfant, sur le plan psychologique, le développement de l’estime de soi, ça va favoriser une instabilité, l’ensemble des publications vont tout à fait dans ce sens. »

Les conséquences à l’échelle individuelle ou sociétale sont également mises en avant par Céline Quelen, Gilles Lazimi et Joëlle Sicamois

La dimension culturelle est également évoquée, les croyances collectives sont parfois interrogées. Il est rare cependant que la dimension systémique soit développée, ainsi que la responsabilité de l’État dans la mise en œuvre d’une politique structurelle en faveur des droits des plus jeunes et du soutien aux familles.

L’ancrage culturel a par exemple été évoqué sur TF1 (« pourquoi pendant des siècles ça a été considéré comme normal ? »). 

Mais l’héritage transgénérationnel a surtout été approfondi à la faveur de la campagne de communication lancée par StopVEO. Plusieurs médias s’en sont fait l’écho : Cnews, France Bleu, France Info, France Culture (à 14 min). Gilles Lazimi : « C’est difficile, il n’y a pas que le modèle familial, il y a le modèle sociétal, le modèle culturel, il faut qu’on réfléchisse dans tout ce qu’on a baigné, sur le regard de l’enfant, sur ses pratiques, sur les proverbes religieux qui nous poussent à frapper les enfants, c’est vraiment une image, une représentation de l’enfant qui est très particulière. » Il évoque également la dimension patriarcale. 

À noter que la dimension historique du droit de correction a pu être abordée dans deux émissions de France Culture, à l’occasion de la sortie du Dictionnaire du fouet de de la fessée, coordonné par Elisabeth Lusset : Le cours de l’histoire, du 25 janvier 2022, Et maintenant ? du 14 mars 2022.

Dans un autre registre, la chronique de Bertrand Dicale sur France Info Ces chansons qui font l’actu a évoqué le 28 avril 2024 le thème des châtiments corporels : « Alors qu'une décision de justice invoque un "droit de correction" dans une affaire de violences familiales, revenons sur la manière dont la culture populaire a pu célébrer, avec le sourire, la fessée infligée aux enfants et aux femmes. »

Arnaud Galais évoque la nécessité d’une intervention étatique, par la définition d’un référentiel des violences, d’informations et d’accompagnement pour les familles (comme en Suède) ; il s’agit d’un choix de société. Olivier Maurel évoque aussi l’inaction du gouvernement, et donne l’exemple de l’évolution des mentalités en Suède, où la mise en œuvre de la loi a été très accompagnée : « Au bout de quelques années, le nombre de parents partisans de la loi est devenu supérieur au nombre de parents opposés et aujourd’hui en Suède, il faut voir les réactions des parents et des enfants suédois quand ils voient la manière dont les enfants sont traités en France, ils sont absolument horrifiés, scandalisés. » 

Le questionnement de nos croyances individuelles est également évoqué par Claire Marsot : « Quand on est enfant et qu'on reçoit de la violence de la part de nos parents, on a un cerveau trop immature pour être capable de se dire que ce n'est pas normal que mon parent me frappe. Ce n'est pas normal que mon parent m'humilie, etc. Donc on va donner du sens à ce qui nous arrive et c'est de là qu'on va créer ce qu'on appelle des croyances qui ensuite vont continuer d'être présentes à l'intérieur de nous, dans notre vie d'adulte. Et donc c'est pour ça qu'on se retrouve à dire : ça ne m'a pas tué, et même :  mon parent avait de bonnes raisons de faire ça parce que j'étais vraiment désagréable, j'étais vraiment pénible, j'étais vraiment un mauvais enfant. »

Enfin, Joëlle Sicamois (également citée dans cette chronique sur France Info) : « On appelle à un changement de paradigme total sur la place de l’enfant dans notre société. Aujourd’hui on voit un retour très coercitif de la punition, du retour à l’obéissance. » Il est question du rapport de domination des adultes sur les enfants, de l’attente de l’obéissance : « Dans notre société, si on continue à vouloir que nos enfants soient simplement des êtres qui obéissent, qui restent sages, qui restent à leur place, il faut juste se poser la question de quels citoyens ça va devenir. Si on n’apprend pas aux enfants à exprimer ce qu’ils ont à dire, à accueillir [leurs] émotions, à les écouter, à entendre leur avis et à en tenir compte, ils vont apprendre que leur avis n’a pas vraiment d’importance, et ils vont se construire comme ça, et donc, en tant qu’adultes, ils auront plus de difficultés à s’exprimer de façon calme et sereine. »

Apparition des notions d’infantisme, d’enfantisme

Ces dernières années ont vu l’émergence (timide) des notions d’infantisme (discrimination des plus jeunes, à la faveur du livre de Laelia Benoit), et d’enfantisme (luttes en faveur des intérêts des enfants), avec la création du Collectif enfantiste militant en 2022, et de la manifestation du 18 novembre 2023 contre les violences faites aux enfants (interview de la fondatrice du collectif, Claire Bourdille). 

Quelques émissions de radio sur France Culture et France Inter ont abordé le sujet : 9 octobre 2023, Défendre la cause des enfants ; 13 juin 2024, L'infantisme, la discrimination des mineurs ; mai 2024, épisode 4 « L’infantisme », de la série documentaire « Les enfants peuvent-ils parler ? » ; septembre 2024 : L’infantisme selon Laélia Benoit.

Par ailleurs, rappelons deux tribunes qui ont été publiées dans le journal L’Humanité, où la notion de domination adulte est abordée (le 17 novembre 2023 : Violences faites aux enfants et adolescents : ensemble, mettons fin au régime d’impunité et le 12 février 2024 : Les mots pour dire la domination adulte et les violences faites aux enfants), notion dont l’émergence dans le débat public reste à venir. 

Enfin, il est notable de constater que les plus jeunes sont absent·es des prises de parole publiques sur le sujet. Seule une émission sur France Info destinée aux enfants (France Info junior, le 23 avril 2024), associe les questions posées par des enfants à des réponses apportées en l’occurrence par Gilles Lazimi. La présence médiatique des plus jeunes reste, là encore, également à construire.

Violences commises par une enseignante sur une petite fille de 3 ans en septembre 2024

Lors de la rentrée de septembre 2024, des faits de violence de la part d’une enseignante ont agité la scène médiatique. Sur une vidéo filmée par un parent, une enseignante frappe et asperge de liquide une fillette de 3 ans en larmes. La vidéo a été diffusée dans les médias et sur les réseaux sociaux. Nous partageons notamment le décryptage qu’en fait Marion Cuerq

Ces faits et la façon dont ils sont relayés dans les médias montrent : 

  • Un discours, parfois en deux temps, de condamnation des violences, mais également de minimisation de la gravité des faits (l’enseignante aurait ainsi précisé qu’il ne s’agissait « que d’une fessée » ; également la prise de position de Pascal Praud qui condamne les faits mais aussi l’emballement médiatique pour une affaire « anecdotique », ou l’avocat de l’enseignante).
  • Une minimisation de la responsabilité de l’enseignante en lien avec un contexte de « pression », un « craquage », quand ce n’est pas directement le comportement de l’enfant qui est condamné (cf. extrait vidéo commenté par Marion Cuerq).
  • La difficulté de mettre en lumière ces violences : lorsque les enfants parlent, soit ils ne sont pas crus (la mère l’admet elle-même), soit leur parole est décrédibilisée (exemple : le témoignage d’une mère ayant fait un signalement contre cette enseignante il y a 12 ans). Sans preuve directe, il ne se serait rien passé.
  • L’avocat de l’enseignante évoque une « affaire anecdotique et tristement banale au regard de la réalité des conditions de travail de bon nombre d’enseignants dans ce pays. Je ne minimise en rien la gravité des faits, je ne minimise pas la douleur. [Ce qui est anecdotique c’est] le craquage d’une enseignante qui ne peut plus travailler dans des conditions sereines. » Sans dire que la banalité et la dimension anecdotique s’inscrivent surtout dans le regard que toute la société porte sur les violences commises envers les plus jeunes.
  • Enfin, à l’exception de cette chronique sous forme d’état des lieux, aucun discours ne vient questionner la dimension systémique de ces violences, ni du système scolaire en tant que tel.

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