Un pas vers l’interdiction de la violence éducative ordinaire
Nous avons suivi avec émotion les débats en première lecture à l'Assemblée nationale au sujet de la proposition de loi de la députée Maud Petit (n°1414), adoptée ce 29 novembre.
La formulation retenue est d’ajouter dans le code civil, à la définition de l’autorité parentale :
« Elle s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. »
À notre grand regret – après l'espoir soulevé par le texte adopté en Commission des lois –, la référence explicite aux châtiments ou punitions corporels contenue dans la version initiale a été retirée de la proposition de loi. Tous les amendements qui ont tenté d’y faire référence – par ailleurs souvent ardemment défendus par les élus porteurs des amendements – ou de les faire apparaître dans le carnet de santé ont été rejetés ou retirés.
« Il ne reste pratiquement plus rien de la proposition initiale », dira un député.
Nous avions déjà écrit en 2016 que l’usage de l’expression « violence physique ou psychologique », si elle était employée seule, ne permettrait pas d’avoir un texte suffisamment explicite.
Alors que les députés ont montré au cours des débats une réelle prise de conscience des enjeux représentés par une interdiction claire de la violence éducative, nous ne comprenons pas les raisons qui ont finalement conduit à une rédaction aussi édulcorée de la loi.
Cette réécriture n’est pas anodine, elle évite soigneusement de désigner de manière explicite ce que près de 80 % d’enfants subissent quotidiennement dans notre pays.
La « violence physique », plutôt assimilée à la notion de « maltraitance », nous fait courir le risque de laisser dans un angle mort la question de la violence éducative ordinaire 1.
Enfin, les amendements que nous soutenions et qui visaient à interdire le droit de correction, et à étendre l’interdiction de la violence à tous les lieux de vie de l’enfant, ont également tous été rejetés.
Pour l’heure, nous considérons que ce texte est un premier pas. Mais, dans un pays où la violence éducative ordinaire est omniprésente, il nous semble néanmoins un outil fragilisé par ses manques, l’élément central manquant étant le terme « châtiments corporels ». Nous attendons que le cheminement parlementaire de cette proposition de loi permette de lui apporter a minima cet ajout.
Nous rappelons qu'au détour d'une discussion portant sur l’information des adultes à propos de la violence éducative ordinaire, les députés ont voté l'amendement n° 13 2 qui ajoute dans la formation des assistantes maternelles la prévention des violences éducatives ordinaires. Nous regrettons que cet amendement ne cible que ces professionnel-les de la petite enfance.
Voici à nouveau l'article de portée générale qui, selon nous, permettrait de remplir toutes les conditions pour que notre pays soit totalement protecteur des enfants :
« Nul, pas même le ou les titulaires de l'autorité parentale, ne doit user à l'encontre de l'enfant de moyens tels que la violence physique, verbale ou psychologique, les châtiments corporels ou l'humiliation, quels qu'en soient le degré de gravité, la fréquence ou l'objectif. »
Cette disposition législative, pour abolir totalement le droit de correction, pourrait également être complétée par une décision jurisprudentielle.
Nous continuerons de porter ces exigences et, dans nos actions futures, nous saurons malgré tout nous appuyer sur ce texte pour que les mentalités changent et que les enfants se sentent en sécurité où qu’ils se trouvent dans notre pays.
Selon l'ONG Global Initiative to End All Corporal Punishment of Children, à qui nous avons demandé son avis sur le texte adopté, le but de la proposition de loi (PPL) était clairement « d’interdire tous les châtiments corporels des enfants et d’abolir le droit de correction », mettant ainsi « la législation française en conformité avec la Convention internationale des droits de l'enfant ». Le message que nous avons reçu se poursuit ainsi :
Il est maintenant primordial que cette PPL reflète clairement cette intention.
[Les critères utilisés par Global Initiative] pour établir si une loi est abolitionniste sont entièrement basés sur le droit international et le travail du Comité des Droits de l’Enfant (voir l’Observation Générale sur le sujet ici). Selon le Comité, l’interdiction est complète quand :
- toutes les défenses et autorisations des châtiments corporels sont abolies, et
- la loi interdit explicitement tous les châtiments corporels et autres punitions cruelles et dégradantes.
En prenant en compte que la précédente version de la PPL, celle adoptée par la Commission [des lois du 21 novembre], interdisait explicitement les châtiments corporels :
« Les titulaires de l’autorité parentale l’exercent sans violence. Ils ne doivent pas user à l’encontre de l’enfant de moyens tels que la violence physique, verbale ou psychologique, les châtiments corporels ou l’humiliation. »
Le fait que ce terme ait été enlevé semble envoyer le message que la PPL ne cherche plus à couvrir les châtiments corporels. [Les discours introductifs de Maud Petit et d'Agnès Buzyn] ont fait référence aux VEO et/ou aux châtiments corporels [...], mais leur disparition de la PPL semble causer confusion. Cela a été d’ailleurs reflété dans les débats [du 29 novembre] à l’Assemblée [...] (groupe UDI par exemple).
En vue du droit de correction jurisprudentiel, il apparait stratégique de passer une loi claire qui ne laisse aucun doute et ne permette l’utilisation du « droit de correction » en aucun cas – puisque le but d’une interdiction est d’assurer que la loi protège les enfants de toutes violences, de façon égale aux adultes. La loi qui sera adoptée définitivement devra obligatoirement envoyer [le] message clair que toutes les formes de violences, y compris tous les châtiments corporels aussi légers soient-ils, sont désormais interdits.
Du fait de la confusion actuelle, nous conseillons que la PPL soit revue afin d’explicitement interdire tous les châtiments corporels, aussi légers soient-ils.
Notre communiqué de presse en date du 30 novembre 2018 (.pdf)
Le point de vue de l'OVEO sur la loi d'interdiction de la VEO votée le 29 novembre 2018 dans le numéro 23 de PEPS (décembre 2018).
Communiqué de la Coordination pour éducation à la non-violence et à la paix (13 décembre 2018)
Rapports sur le site de l'Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/violences_educatives_ordinaires_interdiction
Pour revoir la séance publique du 29 novembre :
Première partie (troisième thème dans le déroulé) http://videos.assemblee-nationale.fr/video.7019507_5bffef03c1c32.2eme-seance--prise-en-charge-des-cancers-pediatriques-suite--protection-activites-agricoles-cult-29-novembre-2018
Suite des échanges http://videos.assemblee-nationale.fr/video.7021825_5c004a613f586.3eme-seance--interdiction-des-violences-educatives-ordinaires-suite--amelioration-de-la-tresorer-29-novembre-2018
- La violence éducative ordinaire (« VEO ») est l’ensemble des pratiques coercitives et/ou punitives utilisées, tolérées, voire recommandées dans une société pour « bien éduquer » les enfants. Sa définition varie selon les pays, les époques, les cultures.
Selon le Conseil de l’Europe, « le châtiment corporel est la forme de violence la plus répandue employée à l’encontre des enfants. »
Ce terme recouvre « toute punition physique impliquant l’usage de la force physique et visant à infliger un certain degré de douleur ou de désagrément, aussi léger soit-il, dans le but de modifier ou arrêter un comportement de l’enfant estimé incorrect ou indésirable. C’est là une violation des droits de l’enfant au respect de la dignité humaine et de l’intégrité physique ».[↩] - Au deuxième alinéa de l'article L. 421-14 du code de l'action sociale et des familles, après le mot : « secourisme », sont insérés les mots : « , à la prévention des violences éducatives ordinaires ».[↩]
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