Pourquoi appelle-t-on cruauté le fait de frapper un animal, agression le fait de frapper un adulte et éducation le fait de frapper un enfant ?

L’agressivité est-elle innée chez les humains ?

Par Alfie Kohn

Sigmund Freud cherchait à guérir les femmes de Vienne de leurs névroses, Konrad Lorenz est devenu célèbre en étudiant les oiseaux, mais ces deux hommes partageaient une conviction qui est restée ancrée dans la conscience populaire : l’idée que nous avons naturellement en nous un réservoir d’énergie agressive. Et que cette force, qui s’accumule d’elle-même et tout à fait spontanément, doit être périodiquement évacuée – par exemple par la pratique de sports de compétition –, sans quoi elle risque d’exploser sous forme de violence.

Ce modèle est séduisant, parce que facile à se représenter. Mais il est faux. Comme l’a écrit un spécialiste du comportement animal, John Paul Scott, professeur émérite à l’université d’Etat de Bowling Green : « Toutes les données actuellement disponibles indiquent que le comportement de lutte chez les mammifères supérieurs, y compris les humains, a pour origine une stimulation externe, et il n’existe aucune donnée témoignant d’une stimulation interne spontanée. » De toute évidence, beaucoup d’individus – de fait, des cultures entières – réussissent très bien à vivre sans se comporter agressivement, et sans que rien ne manifeste l’accumulation inexorable de pression annoncée par ce modèle « hydraulique ».

Selon cette théorie, nous devrions également nous attendre à ce que le fait de permettre à l’énergie agressive de s’évacuer nous rende moins agressifs – un effet connu depuis Aristote sous le nom de « catharsis », selon l’idée que le spectacle de la tragédie nous purgerait de nos émotions désagréables. Mais des études successives sur le sujet ont montré que nous avions plus de chances de nous montrer violent après le spectacle ou la pratique de ces passe-temps : « La pratique de jeux agressifs ne fait que renforcer la disposition à réagir agressivement », concluait le psychologue Leonard Berkowitz, auteur d’un ouvrage sur l’agression paru en 1962 et devenu un classique (Aggression: A Social Psychological Analysis).

En 1986, un groupe d’éminent scientifiques spécialistes du comportement s’est réuni à Séville pour discuter des racines de l’agressivité humaine, et a conclu non seulement à l’inexactitude du modèle hydraulique traditionnel, mais, plus généralement, que la croyance dans la tendance naturelle à l’agression et à la guerre des êtres humains ne reposait sur aucune base scientifique (voir à la suite de cet article le « Manifeste de Séville »). Cependant, cette conviction paraît difficile à ébranler. Voici quelques-uns des arguments invoqués : les animaux sont agressifs, et nous ne pouvons pas échapper à l’héritage de nos ancêtres dans l’évolution ; l’histoire humaine est dominée par des récits de guerre et de cruauté ; enfin, certaines zones de notre cerveau et certaines hormones sont liées à l’agression, ce qui prouve l’existence d’un fondement biologique à ce comportement. Examinons successivement ces arguments.

S’agissant des animaux, la première chose à dire est qu’il faut être prudent lorsqu’on tire des conclusions de leur comportement pour expliquer le nôtre, étant donné la puissance médiatrice de la culture et notre capacité de réflexion. « Notre parenté avec les animaux ne signifie pas que, si leur comportement paraît souvent influencé par des instincts, cela doive nécessairement être le cas chez les humains », écrit l’anthropologue Ahsley Montagu, qui cite cette phrase d’une autre autorité : « Il n’y a pas plus de raison de croire que l’homme fait la guerre parce que les poissons ou les castors sont des animaux territoriaux qu’il n’y a de raison de penser que l’homme peut voler parce que les chauves-souris ont des ailes. »

De plus, les animaux sont loin d’être aussi agressifs que certains le pensent – à moins d’inclure sous le terme « agression » le fait de tuer pour se nourrir. L’agression en groupe organisée est rare chez les autres espèces, et, lorsqu’elle existe, elle est généralement fonction de l’environnement dans lequel les animaux se trouvent. Les scientifiques se sont aperçus que le fait de modifier l’environnement ou les conditions d’élevage des animaux peut avoir un impact profond sur le niveau d’agression dans pratiquement n’importe quelle espèce. En outre, les animaux pratiquent la coopération – aussi bien à l’intérieur de l’espèce qu’entre espèces – bien davantage que nous ne le supposons souvent d’après ce que nous montrent les documentaires sur la nature.

Si nous considérons maintenant l’histoire de l’humanité, nous y trouvons une masse inquiétante de comportements agressifs, mais aucune raison de croire que le problème est inné. Voici quelques points relevés par des critiques du déterminisme biologique :

* Même lorsqu’un comportement est universel, nous ne pouvons pas en conclure qu’il fait partie de notre nature biologique. Toutes les cultures connues ont produit de la poterie, mais cela ne signifie pas qu’il existe un gène de la poterie. D’autres institutions autrefois considérées comme naturelles sont aujourd’hui très difficiles à trouver. Comme le dit le sociologue Donald Granberg, de l’université du Missouri, dans un siècle ou deux « il se peut que les gens, lorsqu’ils regarderont en arrière, aient sur la guerre à peu près le même regard que nous avons aujourd’hui sur la pratique de l’esclavage ».

* Quoi qu’il en soit, l’agression est loin d’être un phénomène universel. Dans son livre Learning Non-Aggression (“Apprendre la non-agression”), Montagu cite des cas de cultures pacifiques. Il est vrai qu’il s’agit de sociétés de chasseurs-cueilleurs, mais le fait que des humains, quels qu’ils soient, puissent vivre sans violence devrait être suffisant pour réfuter l’idée que nous naissons agressifs. D’ailleurs, si la propension à la guerre faisait réellement partie de notre nature, on devrait s’attendre à ce que les sociétés les plus guerrières soient les plus « proches de la nature ». Or, c’est exactement l’inverse qui semble être vrai. Ce qu’Erich Fromm exprimait ainsi : « Les hommes les plus primitifs sont les moins guerriers, et […] l’esprit guerrier croît en proportion du degré de civilisation. Si la destructivité était innée chez l’homme, cette tendance serait inversée. »

* Tout aussi impressionnantes que les cultures pacifiques sont celles qui le sont devenues. En quelques siècles, la Suède, jadis farouchement guerrière, est devenue l’une des moins violentes parmi les nations industrialisées. Ce changement – comme l’existence de la guerre elle-même – s’explique de manière bien plus plausible par des facteurs sociaux et politiques que par le recours à la biologie.

* S’il est indiscutable que les guerres ont été nombreuses, le fait qu’elles semblent dominer notre histoire en dit peut-être davantage sur la façon dont l’histoire elle-même est présentée que sur la réalité des faits. « Nous écrivons et enseignons l’histoire en termes d’événements violents, mesurant le temps par des guerres, écrit Jeffrey Goldstein, psychologue à Temple University. Nous appelons “entre-deux-guerres” les périodes où nous ne faisons pas la guerre. C’est une affaire de reportage sélectif. »

* De même, l’indignation que nous inspire la violence peut nous conduire à surestimer sa fréquence aujourd’hui. Comme l’observe Goldstein, « chaque année, aux Etats-Unis, 250 millions de personnes ne commettent pas d’homicide. Même dans une société violente, c’est un événement relativement rare. » Le simple fait que la plupart des gens qui nous entourent paraissent tout à fait pacifiques est difficilement conciliable avec la théorie de l’agressivité humaine innée.

Beaucoup ont prétendu que la « nature humaine » est agressive parce qu’ils regroupaient sous le terme « agression » toutes sortes d’émotions et de comportements. Par exemple, le cannibalisme, souvent considéré comme une agression, peut représenter un rituel religieux sans être une manifestation d’hostilité.

La présence de certaines hormones ou la stimulation de certaines zones du cerveau a été expérimentalement reliée à l’agression. Mais, après avoir étudié ces mécanismes en détail, le psycho-physiologiste Kenneth E. Moyer souligne que le comportement agressif est toujours lié à un stimulus externe : « Autrement dit, même lorsque que le système neural spécifique à un type d’agression particulier est bien activé, le comportement ne se produit qu’en présence d’un objectif approprié […] [et, même dans ce cas], il peut être inhibé. »

Le rôle de l’environnement est si important que cela n’a guère de sens parler d’une tendance « innée » à l’agression chez les animaux, et encore moins chez les humains. C’est comme si nous disions que, parce que le feu ne peut exister sans oxygène et parce que la Terre est recouverte d’une couche d’oxygène, il est dans la nature de notre planète que les bâtiments brûlent.

Quels que soient les facteurs évolutionnaires ou neurologiques censés permettre l’agression, « biologique » n’est tout simplement pas synonyme d’« inévitable ». Le fait que des gens puissent jeûner ou rester célibataires volontairement montre que même la faim et la pulsion sexuelle peuvent être dominées. Dans le cas de l’agression, où l’existence d’une telle pulsion est déjà douteuse, notre capacité à choisir notre comportement est encore plus évidente. Même lorsque les gènes sont fixés, il ne s’ensuit pas nécessairement que leurs effets sur le comportement le soient. Et, comme l’écrit Berkowitz, même si nous sommes « génétiquement prédisposés à réagir agressivement à des événements désagréables, nous pouvons apprendre à modifier et à contrôler cette réaction ».

Tout cela à propos de l’agressivité humaine en général. Mais l’idée que la guerre, en particulier, serait biologiquement déterminée, est encore bien plus discutable. « Lorsqu’un pays attaque un autre pays, cela ne se produit pas parce que les gens du premier pays éprouvent des sentiments agressifs envers ceux du second, explique Richard Lewontin, biologiste à l’université Harvard. Si c’était le cas, nous n’aurions pas besoin de propagande ni de conscription : tous ces gens agressifs s’engageraient aussitôt. L’“agression” d’un Etat par un autre est une affaire politique, non une question de sentiments. »

Jean-Jacques Rousseau l’avait bien formulé il y a plus de deux siècles [dans le Contrat social] : « La guerre n'est donc point une relation d'homme à homme, mais une relation d'État à État, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu'accidentellement, non point comme hommes, ni même comme citoyens, mais comme soldats. »

Le fait que les Etats soient obligés de conditionner psychologiquement les hommes pour qu’ils se battent rend encore plus indéfendable l’argument d’une relation entre notre nature et la réalité de la guerre. Cette relation est encore plus ténue dans le cas de la course aux armements nucléaires. Selon Bernard Lown, codirecteur de l’organisation internationale des physiciens pour la prévention de la guerre nucléaire, prix Nobel de la Paix en 1985 : « Ce n’est pas le comportement des individus, qu’ils soient agressifs, permissifs ou passifs, qui rend possible la perspective du génocide. Même un individu agressif n’est pas prêt à accepter l’idée de l’extinction. »

*

Les données semblent donc indiquer que notre potentiel de paix est tout aussi développé que notre potentiel guerrier. En ce cas, pourquoi la croyance en une « nature humaine » violente est-elle si répandue ? Et quelles sont les conséquences de cette croyance ?

Tout d’abord, nous avons l’habitude de généraliser à toute l’espèce ce qui relève de notre propre expérience. « Dans une société très guerrière, écrit Granberg, les individus ont tendance à surestimer la propension à la guerre dans la nature humaine. » Or, l’histoire montre que les Etats-Unis sont l’une des sociétés les plus guerrières de la planète, puisqu’ils sont intervenus militairement dans le monde plus de 150 fois depuis 1850. Dans une telle société, il n’est pas étonnant que les traditions intellectuelles qui soutiennent que l’agression est davantage une question de nature que de culture – comme l’ont écrit Freud, Lorenz et les sociobiologistes – aient eu autant de succès auprès du public.

Mais les choses sont encore un peu plus compliquées. Il arrive que nous nous sentions mieux, au moins pour un moment, après avoir agi d’une façon agressive, et cela semblerait confirmer la théorie de la catharsis. Le problème, écrit Berkowitz, est que « le fait que j’aie atteint mon but implique que le comportement est renforcé ; ainsi, à long terme, j’ai plus de chances de me comporter de nouveau de façon agressive » – cela pour des raisons qui ont davantage à voir avec l’apprentissage qu’avec les instincts.

Selon Goldstein, les médias de masse jouent également un rôle non négligeable dans la perpétuation d’idées dépassées sur la violence : « Si tout ce que l’on sait sur l’agression est ce qu’on voit à la télévision ou qu’on lit dans les journaux, alors, ce qu’on sait relève de la biologie du XIXe siècle. Les programmes de divertissement aussi bien que d’information ont tendance à favoriser le modèle discrédité de Lorenz, confirmant l’idée que les êtres humains ont un réservoir illimité d’agressivité dont l’énergie doit s’évacuer d’une manière ou d’une autre.

Les journalistes, dit Goldstein, semblent avoir une préférence pour les explications de l’agression qui font appel à la nécessité biologique, parce qu’elles sont plus faciles à décrire, et parce qu’elles produisent davantage d’effet de choc. L’un des organisateurs du Manifeste de Séville, le psychologue David Adams, de la Wesleyan University, a eu un avant-goût de cette approche biaisée quand il a tenté de convaincre les journalistes de l’intérêt pour eux de ce manifeste. Très peu d’agences de presse des Etats-Unis ont été intéressées, et un journaliste lui a dit : « Rappelez-nous quand vous trouverez le gène de la guerre. »

Comme l’observe le psychologue Leonard Eron, de la Société internationale de recherche sur l’agression, « la télévision enseigne aux gens que le comportement d’agression est la norme et que le monde qui nous entoure est une jungle, alors que ce n’est pas la réalité ». La recherche a montré que plus une personne regarde la télévision, plus elle est susceptible de croire que « la plupart des gens sont prêts à profiter de vous si l’occasion s’en présentait ».

Croire que la violence est inévitable paraît à première vue dérangeant, mais en réalité, cette croyance exerce sur beaucoup de gens un attrait tant psychologique qu’idéologique. « Elle a un côté “regardons la réalité en face” qui plaît généralement beaucoup », explique Robert Holt, psychologue à la New York University.

C’est aussi une bonne excuse pour nos propres actes d’agression, puisque cela laisse entendre qu’en réalité, nous n’avions pas vraiment le choix. « Si nous sommes nés agressifs, on ne peut pas nous reprocher de l’être », dit Montagu, affirmant que cette croyance fait fonction de version pseudoscientifique de la doctrine du péché originel.

« Pour justifier la guerre, l’accepter et vivre avec elle, nous avons créé une psychologie qui la rend inévitable, écrit Lown. C’est une rationalisation de notre acceptation de la guerre comme système de résolution des conflits entre humains. » Lorsqu’on accepte cette explication de la croyance dans l’inévitabilité de la guerre, on en mesure du même coup toutes les conséquences. Chaque fois que l’on déclare un comportement inévitable, on exprime une prophétie autoréalisatrice. En supposant que nous sommes condamnés à être agressifs, nous augmentons nos chances d’agir de cette manière et de fournir ainsi des preuves de la validité de cette supposition.

Les personnes qui croient que les humains sont naturellement agressifs ont aussi relativement peu de chances de s’opposer à une guerre en particulier ou de s’impliquer dans un mouvement pacifiste. Certains observateurs affirment que cette conviction a pour seule fonction d’excuser leur réticence à s’engager. Mais pour d’autres, c’est l’attitude mentale elle-même qui, pour partie, produit ce résultat : « Croire que la guerre est inévitable conduit les individus à faire confiance aux armes plutôt qu’à travailler au désarmement », déclare M. Brewster Smith, professeur de psychologie à l’université de Californie à Santa Cruz.

Cette dernière position a été confirmée expérimentalement. Lors d’une étude finlandaise de 1985 portant sur 375 jeunes, Riitta Wahlstrom a conclu que ceux qui considéraient la guerre comme faisant partie de la nature humaine étaient moins portés à défendre l’idée d’enseigner la paix ou à travailler pour cela. David Adams et Sarah Bosch ont obtenu des résultats similaires sur une étude plus restreinte portant sur des étudiants américains. 40 % d’entre eux ont déclaré qu’ils pensaient que la guerre était « intrinsèque à la nature humaine », et, comparés aux autres, ces mêmes étudiants étaient proportionnellement un peu moins nombreux à s’être impliqués dans une action pour la paix.

En se basant sur ses propres recherches pendant la guerre du Vietnam, Granberg écrit : « Si une guerre éclatait demain, les gens qui manifesteraient contre elle seraient probablement ceux qui ne croient pas que la guerre est inévitable et enracinée dans la nature humaine. » Ceux qui croient cela ont « davantage de chances d’accepter l’idée [de la guerre] ou du moins [sont] moins susceptibles de protester lorsqu’une guerre est déclenchée ».

Les données suggèrent donc que nous avons le choix lorsqu’il s’agit d’agresser ou de faire la guerre. Dans une certaine mesure, la tendance à détruire est due précisément à la supposition erronée que nous n’avons aucun moyen de contrôler une nature essentiellement violente. Mais, écrit Lown, « nous vivons dans une époque où nous ne pouvons plus accepter cela comme inévitable si nous ne voulons pas courir le risque de l’extinction ».


LA DECLARATION DE SEVILLE

Les militants pacifistes savent reconnaître le moment où cela va arriver. Avertis par un haussement d’épaules ou par un sourire condescendant, ils se préparent à entendre la phrase fatidique : « Bien sûr, je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il faut cesser la course aux armements. Mais n’êtes-vous pas un peu idéaliste ? Après tout, il est bien connu que l’agression fait partie de la nature humaine ! »

Comme chez les animaux (« la dent et la griffe rougies », selon l’expression du poète Tennyson), la violence est censée être inévitable chez les êtres humains. Selon des enquêtes menées auprès d’adultes, d’étudiants et de lycéens, 60 % des individus approuvent cette phrase: « La nature humaine étant ce qu’elle est, il y aura toujours des guerres. »

Cette phrase fait peut-être partie de la sagesse populaire dans notre société, mais elle est mise en doute par la plupart des spécialistes. De nombreux chercheurs ayant passé leur vie à travailler sur la question de l’agression en ont conclu que la violence, comme l’égoïsme, est « dans la nature humaine de la même façon que David était dans le marbre avant que le marteau de Michel-Ange l’ait touché », selon la formule du psychologue Barry Schwartz, de la Tulane Medical School.

Le problème est que la plupart des gens ne sont pas au courant de ce consensus scientifique. C’est pourquoi, en 1986, 20 scientifiques venus de 12 pays se sont réunis à Séville, en Espagne, pour concocter un manifeste sur le sujet. La déclaration qui en est résultée représente le savoir de plusieurs des plus grands spécialistes mondiaux de la psychologie, de la neurophysiologie, de l’éthologie et d’autres sciences naturelles et sociales. Elle a été ratifiée depuis par l’Association américaine de Psychologie et par l’Association américaine d’Anthropologie, entre autres organisations. Les phrases qui suivent sont extraites du Manifeste de Séville :

* IL EST SCIENTIFIQUEMENT INCORRECT que nous ayons hérité de nos ancêtres les animaux une propension à faire la guerre. […] La guerre est un phénomène spécifiquement humain qui ne se rencontre pas chez d'autres animaux. […] La guerre est d'un point de vue biologique possible mais n'a pas un caractère inéluctable comme en témoignent les variations de lieu et de nature qu'elle a subies dans le temps et dans l'espace.

* IL EST SCIENTIFIQUEMENT INCORRECT de dire que la guerre ou toute autre forme de comportement violent soit génétiquement programmée dans la nature humaine. […] En dehors de quelques rares états pathologiques, les gènes ne conduisent pas à des individus nécessairement prédisposés à la violence. Mais le contraire est également vrai. Si les gènes sont impliqués dans nos comportements, ils ne peuvent à eux seuls les déterminer complètement.

* IL EST SCIENTIFIQUEMENT INCORRECT de dire qu'au cours de l'évolution humaine une sélection s'est opérée en faveur du comportement agressif par rapport à d'autres types. Dans toutes les espèces bien étudiées, la capacité à coopérer et à accomplir des fonctions sociales adaptées à la structure d'un groupe détermine la position sociale de ses membres.

* IL EST SCIENTIFIQUEMENT INCORRECT de dire que les hommes ont « un cerveau violent ». [Bien que] nous possédions en effet l'appareil neuronal nous permettant d'agir avec violence […], il n'y a rien dans la physiologie neuronale qui nous contraigne à [le faire].

* IL EST SCIENTIFIQUEMENT INCORRECT de dire que la guerre est un phénomène instinctif ou répond à un mobile unique. […] Les technologies de la guerre moderne ont accentué considérablement le phénomène de la violence, que ce soit au niveau de la formation des combattants ou de la préparation psychologique à la guerre des populations.

* Nous proclamons en conclusion que la biologie ne condamne pas l'humanité à la guerre, que l'humanité au contraire peut se libérer d'une vision pessimiste apportée par la biologie […]. La violence n'est inscrite ni dans notre héritage évolutif ni dans nos gènes. […] La même espèce qui a inventé la guerre est également capable d'inventer la paix.


© 1988 by Alfie Kohn www.alfiekohn.org
Article paru dans Psychology Today, juin 1988 : Are humans innately aggressive ?
Traduit de l’anglais par Catherine Barret.
Du même auteur, sur notre site : Quand "Je t'aime" signifie "Fais ce que je te dis"... ; Les enfants gâtés, un sujet de plainte immémorial ; Les consternants conseils de Supernanny ; Pourquoi l'autodiscipline est surévaluée


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