Les enfants n'ont pas besoin d'être éduqués, mais d'être accompagnés avec empathie.

Jesper Juul.

Canada : nouvelle demande d’interdiction de la fessée (novembre 2007)

Nouvelles informations (2015). Depuis 2007, la sénatrice Céline Hervieux-Payette a redéposé son projet de loi en 2009, en 2010, en 2012 et, plus récemment, en octobre 2013.

Le projet de loi S-206 est toujours devant le Sénat du Canada. La sénatrice a annoncé le 20 novembre 2014 l’appui de l’Association Médicale Canadienne à son projet de loi, soit plus de 80 000 médecins à travers tout le pays.

Voir le site de la sénatrice.


Le 14 novembre 2007, le Sénateur du Québec Céline Hervieux-Payette, qui fait partie de notre Comité de parrainage, a demandé pour la troisième fois l'abrogation de l'article 43 du Code criminel canadien qui autorise le recours à des punitions corporelles "raisonnables".

Cet article, qui date du XIXe siècle, est rédigé ainsi : "Tout instituteur, père ou mère, ou toute personne qui remplace le père et la mère, est fondé à employer la force pour corriger un élève ou un enfant, selon le cas, confié à ses soins, pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances.

Le sénateur fait remarquer que les châtiments corporels que cet article permet seraient considérés, sur des adultes, comme des voies de fait.

Lors d'une session précédente, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne avait conclu que l'article 43 devait être abrogé, éliminé. Il avait notamment présenté, en avril 2007, un rapport qui, sur la base de la Convention relative aux droits de l'enfant, des rapports du Comité des droits de l'enfant des Nations Unies, et des propos de Mery Berstein, protecteur des enfants de la Saskatchewan, concluait que l'article 43 devait être abrogé.

Céline Hervieux Payette cite ensuite une série d'études qui montrent les conséquences de l'emploi des punitions corporelles sur les enfants :

"Plusieurs études ont montré que nous devons agir. Il a été confirmé que les enfants de moins de cinq ans sont ceux qui subissent fréquemment des châtiments corporels. Comment peuvent-ils se défendre ? Comment peuvent-ils savoir à quel moment leurs parents ont utilisé une force qui dépasse la mesure raisonnable dans les circonstances ? À qui peuvent-ils demander de l'aide? Combien de fois doivent-ils recevoir des coups avant qu'un voisin ou un enseignant n'intervienne ? Il peut se passer beaucoup de temps avant que des marques ou des ecchymoses n'apparaissent, et il peut être alors trop tard.

En 2004, Statistique Canada a complété une étude sur le milieu parental et le comportement agressif chez les enfants. Cette étude, réalisée auprès de 2 000 enfants, a permis de déterminer que les enfants âgés de deux à trois ans qui vivaient dans des milieux punitifs en 1994 obtenaient, sur l'échelle du comportement agressif - par exemple, brutaliser les autres ou faire preuve de méchanceté -, un score de 39 p. 100 supérieur à celui des enfants vivant dans des milieux moins punitifs.

Par contre, la différence était encore plus marquée six ans plus tard, avec ces mêmes enfants, soit en 2000, lorsque les enfants étaient âgés de huit à neuf ans. Ceux vivant dans des milieux punitifs obtenaient alors, sur l'échelle de comportement agressif, un score de 83 p. 100 supérieur à celui des enfants vivant dans des milieux moins punitifs.

Donc, seulement 17 p. 100 des enfants n'avaient pas adopté un comportement agressif. Statistique Canada constate que cette agressivité se transpose à l'âge adulte par des agressions, de la délinquance, des crimes, des mauvais résultats scolaires, du chômage et d'autres situations négatives comme la dépression. Autrement dit, lorsqu'on commence sa vie dans la violence, on est incapable d'établir des contacts positifs avec les autres et on ne peut résoudre des conflits normalement et se développer sainement.

En 2005, Statistique Canada déposait son rapport intitulé Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes : milieu familial, revenu et comportement des enfants. Cette étude portait sur les changements survenus dans les ménages au chapitre des pratiques parentales punitives et sur les changements notés chez les enfants. Les enfants se montraient plus agressifs lorsque leurs parents les punissaient davantage. De plus, ils présentaient des scores élevés sur l'échelle de l'anxiété et ils obtenaient des scores moindres sur l'échelle du comportement prosocial - défini comme le fait de faire quelque chose pour le bénéfice d'autrui sans en tirer de gain personnel - lorsque le milieu parental était punitif.

Toutes ces données ont de quoi effrayer même les plus incrédules. Plusieurs m'ont dit avoir eux-mêmes subi des punitions corporelles et n'y voir aucune conséquence. Je dirais même que certains juges au Québec ont rendu des jugements en le mentionnant.

À ce sujet, le Centre d'excellence pour la protection et le bien-être des enfants a réuni les conclusions de plusieurs études pour affirmer que les enfants qui sont frappés ont tendance à frapper les autres enfants ; en effet, 19 p. 100 étaient violents envers les autres. Ils avaient tendance à adopter des comportements antisociaux, comme l'intimidation et le taxage à l'école, et 36 p. 100 des enfants vivant dans la violence physique avaient des problèmes psychologiques ou de comportement.

On a également observé l'absence de remords car, chez les enfants punis, la violence est une forme habituelle de règlement de conflits. De plus, le centre a noté une détérioration de la relation parents-enfants. Ce qui est plus grave, on a constaté des risques plus élevés de dépression, de tristesse, d'anxiété et de désespoir chez les enfants.

Le centre a constaté que 71 p. 100 des enfants qui subissaient de la violence physique n'avaient aucune preuve de sévices physiques. Par contre, les enquêteurs ont noté, dans 50 p. 100 des cas, au moins un problème de fonctionnement, comme des difficultés d'apprentissage ou des retards de développement." (...)

Elle évoque ensuite l'exemple des pays qui ont interdit les punitions corporelles (pays dont la France, malheureusement, ne fait pas partie) :

"Cette année, le Portugal, la Nouvelle-Zélande et les Pays-Bas ont modifié leurs lois afin d'interdire complètement les châtiments corporels chez les enfants.

À ce jour, 19 pays ont répondu concrètement aux Nations Unies : la Suède, la Finlande, la Norvège, l'Autriche, Chypre, le Danemark, la Lettonie, la Croatie, l'Allemagne, la Bulgarie, l'Islande, l'Ukraine, la Roumanie, la Hongrie, la Grèce, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande et le Portugal. Depuis, 17 autres États se sont engagés publiquement à réformer leurs lois. Qu'attend donc le Canada ?

Je vous invite à consulter le site web Global initiative to End All Corporal Punishment of Children à ce sujet. Cette organisation vient de publier en octobre dernier un nouveau rapport, The Global Report 2007 - Ending Legalised Violence Against Children, à la suite de l'étude du secrétaire général de l'ONU sur la violence contre les enfants.

Le professeur Paulo Sérgio Pinheiro, l'expert indépendant nommé pour diriger l'étude de l'ONU, mentionne dans le rapport global la date butoir de 2009 établie dans l'étude pour en arriver à l'élimination de toute forme de violence à l'égard des enfants, y compris le châtiment corporel. C'est assurément la moindre des choses à laquelle les enfants sont en droit de s'attendre. L'étude a dévoilé l'ampleur et l'impact de cette forme courante de violence dans les propres écoles des enfants, dans les établissements qui les soignent et ailleurs. Comment pouvons-nous, en tant qu'adultes, défenseurs des droits de la personne, parlementaires, ministres ou officiels, tolérer que le châtiment corporel demeure légal et socialement accepté dans tant d'États et dans notre pays ?

De plus, en mai 2006, la Conférence mondiale Religions for Peace, en collaboration avec l'UNICEF, a réuni des leaders et des experts de plus de 30 pays de croyances distinctes : bouddhistes, chrétiens, hindous, juifs, musulmans, et cetera. À cette occasion, une déclaration conjointe fut adoptée pour lutter contre la violence envers les enfants, notamment en exhortant les dirigeants à adopter des lois pour mettre fin aux punitions corporelles. Cette déclaration fut entérinée à la huitième assemblée mondiale Religions for Peace qui s'est tenue à Kyoto au Japon en août 2006. Fait important à noter : 800 leaders religieux de 100 pays étaient présents.

De même, sur le continent européen, tous les États membres du Conseil de l'Europe ont ratifié, en 2005, la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant. Le Conseil de l'Europe a préconisé une campagne pour faire de l'Europe une « zone exempte de châtiment corporel pour les enfants ».

Il faut aussi souligner que, outre les pays européens énumérés plus tôt, la Cour suprême italienne a elle aussi interdit le châtiment corporel.

Comme vous venez de l'entendre, ça bouge sur la scène internationale. Il reste à savoir si on peut faire bouger les choses ici, au Canada. Honorables sénateurs, il me reste encore près de dix ans avant la fin de mon mandat. Je tiens à terminer maintenant l'étude de ce projet de loi. Je souhaite son adoption dès cette année."

Céline Hervieux Payette aborde ensuite une des principales raisons qui poussent les Canadiens à refuser l'abrogation de l'article 43 : la crainte de poursuites contre les parents :

"Durant toutes ces années, le principal argument contre l'abrogation de l'article 43 était la crainte que tous les parents soient poursuivis à la suite d'une simple intervention physique. En effet, le ministère de la Justice plaide que des parents pourraient être poursuivis s'ils attachaient la ceinture de sécurité de leur enfant dans leur voiture sans leur consentement. Je croyais que le port de la ceinture de sécurité était obligatoire et non une mesure répressive pour les enfants.

Le Commissaire aux droits de l'homme, M. Thomas Hammarberg, dans un document intitulé Les enfants et les châtiments corporels : « Le droit à l'intégrité physique est aussi un droit de l'enfant » réfute ce genre d'argument :

La définition et l'interdiction des châtiments corporels ne doivent cependant pas être perçues comme excluant les notions positives et fondamentales de discipline ou d'éducation. Le développement de chaque enfant nécessite une orientation et une direction de la part des parents, des proches, des enseignants et d'autres adultes.

La fonction parentale et les soins aux enfants, notamment les plus jeunes, exigent de fréquentes actions et interventions physiques aux fins de protection. Ces situations sont à distinguer de l'usage délibéré et punitif de la force en vue de causer un certain degré de douleur, de gêne ou d'humiliation. En tant qu'adultes, nous connaissons bien la différence entre une action protectrice et une agression punitive; cette distinction n'est pas plus difficile à faire avec les actions concernant des enfants. Dans tous les États, la législation autorise - explicitement ou non - l'usage de la force non punitive et nécessaire pour protéger des personnes.

Honorables sénateurs, comme je l'ai déjà dit dans un autre discours, l'abolition de l'article 43 n'a pas pour effet de causer des problèmes aux parents qui poseraient des gestes pour protéger leurs enfants ou qui auraient un jour un geste isolé d'impatience. Je vous rappelle que les défenses de common law comme la nécessité et le principe de minimis sont toujours en vigueur au Canada.

La Cour suprême a, à plusieurs reprises, rappelé l'application de la défense de nécessité. Ce principe reconnaît que, dans certaines situations urgentes, la loi ne tient pas les gens pour responsables lorsque leur instinct normal les pousse à l'enfreindre pour se protéger eux-mêmes ou pour protéger autrui.

L'Association du Barreau canadien, dans une étude de 1992 intitulée Principe de responsabilité pénale : Proposition de nouvelles dispositions générales du Code criminel du Canada, prend appui sur les raisons tirées de l'ouvrage de K.R. Hamilton, De Minimis Non Curat Lex, où la défense de minimis pourrait être invoquée : premièrement, le droit criminel ne doit s'appliquer que dans le cas d'inconduite grave ; deuxièmement, l'accusé doit échapper au blâme d'une déclaration de culpabilité criminelle et à l'infliction d'une peine sévère pour un comportement relativement anodin ; troisièmement, les tribunaux ne doivent pas se retrouver ensevelis sous un nombre considérable de dossiers sans importance. Je dois rappeler au honorables sénateurs qu'à l'heure actuelle, le processus en vigueur au Québec permet de faire cette discrimination des cas graves ou non.

De plus, je vous rappelle que les provinces, qui sont responsables de l'administration de la justice pénale, ont des directives précises à suivre avant de lancer des accusations. Au Québec, par exemple, on a signé une entente multisectorielle afin d'encadrer la procédure d'intervention sociojudiciaire. Cinq étapes sont essentielles pour mettre en oeuvre une intervention : premièrement, le signalement d'une situation d'abus au directeur de la protection de la jeunesse ; deuxièmement, la liaison et la planification ; troisièmement, l'enquête et l'évaluation ; quatrièmement, la prise de décision ; cinquièmement, l'action et l'information des partenaires, de toutes les personnes concernées."

Elle se réfère ensuite à l'exemple de la Suède :

"En faisant référence au modèle de la Suède, le Commissaire aux droits de l'homme raconte que :

En Suède, l'interdiction des châtiments corporels avait pour but de modifier les attitudes à l'égard de ceux-ci, de mettre en place un encadrement clair pour l'éducation et le soutien des parents, ainsi que de faciliter une intervention plus précoce et moins intrusive dans les affaires de protection d'enfants.

Le soutien de l'opinion publique aux châtiments corporels a nettement diminué. Alors qu'en 1965, une majorité de Suédois étaient pour, une enquête récente a montré que 6 p. 100 seulement des moins de 35 ans, donc des parents de jeunes enfants, se disaient favorables à l'usage des formes même les plus douces de châtiment corporel. (1540)

Les pratiques ont changé aussi : parmi ceux dont l'enfance s'est déroulée peu après l'interdiction, seulement 3 p. 100 signalent avoir été giflés par leurs parents, et 1 p. 100 seulement déclarent avoir été frappés à l'aide d'un objet. De plus, et c'est important, le taux de mortalité attribuable à la violence est extrêmement bas chez les enfants suédois.

La sensibilisation à la violence à l'égard des enfants s'est accrue en Suède, comme le nombre de cas signalés de voies de fait, mais il y a aussi eu moins de parents poursuivis, moins d'interventions forcées de la part des travailleurs sociaux et moins d'enfants placés dans des structures d'accueil."

Et elle conclut :

"Honorables sénateurs, le Canada est prêt à mettre fin à la violence à l'égard des enfants. Les membres du Comité sénatorial permanent des droits de la personne ont conclu qu'il fallait abroger l'article 43 du Code criminel.

S'il me manquait l'argument économique, le voici : en 2003, la Commission du droit du Canada a évalué les coûts économiques de toutes les formes d'abus chez les enfants durant la seule année de 1998. On a évalué à près de 16 milliards de dollars les coûts judiciaires, de service sociaux, d'éducation, de santé et de chômage, et autres coûts attribuables à la violence faite aux enfants. L'abus à l'égard des enfants est donc non seulement dévastateur pour les individus mais pour toute la société en général.

À ce jour, 271 organismes et plusieurs Canadiens éminents ont signé la déclaration conjointe sur les punitions corporelles données aux enfants et aux adolescents, lancée en 2004 par le Centre hospitalier pour enfants de l'Est de l'Ontario. Permettre les punitions corporelles, c'est permettre que des citoyens subissent de la violence ; c'est admettre que des citoyens sont des demi-personnes. Par contre, interdire les punitions corporelles, c'est envoyer un message clair que la violence à l'égard des enfants n'est plus tolérée."

Pour consulter le texte complet.

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