Jeudi 27 février, il est 7h30 quand j’entends sur France Inter qu’« après l’établissement de Bétharram, la cellule investigation de Radio France révèle des accusations de violences dans un autre établissement privé catholique, Notre-Dame-de-Garaison, dans les Hautes-Pyrénées ».
J’étais collégienne dans les années 1990. De la génération de plusieurs victimes témoignant en ce moment des violences subies dans ces établissements. Et j’accueille les commentaires consternés sur cette vague de « révélations » avec un certain scepticisme…
Les jeunes scolarisé·es à Notre-Dame-de-Bétharram ont tous et toutes été maltraité·es. Il y a bien sûr ceux qui ont été humiliés, frappés, violés, agressés sexuellement… Mais la confrontation quotidienne à un climat de violence et de domination perverse d’adultes hors-la-loi constitue en soi une maltraitance, avec les conséquences psycho-traumatiques que l’on sait.
De jour en jour, de nouvelles déclarations, de nouveaux témoignages nous disent que des alertes ont été données et que les agresseurs ont bénéficié de complaisances, voire de soutiens lorsque des enquêtes ou des plaintes ont tenté de dénoncer ces violences. Ce déni permanent de la violence à l’encontre des enfants et des adolescents nous conduit à poser un certain nombre de questions1.
Ce livre est le reflet de cette journée : des échanges de savoirs engagés, expérientiels et scientifiques. Il associe et réunit la voix de militant·es, de jeunes personnes et de chercheurs et chercheuses pour comprendre en profondeur les racines de la violence éducative ordinaire et de la domination adulte.
En octobre 2024, Le Nouvel Obs publie son numéro “Profs toxiques : enquête sur un tabou de l’Éducation nationale”. Nous saluons toute dénonciation des violences et violations de la dignité et des droits des jeunes personnes. Et, de notre point de vue, la critique du “tabou des profs toxiques” reste superficielle et aveugle à la dimension systémique de la violence scolaire et de la domination adulte.
Les 3 et 4 octobre 2024 a eu lieu à Limoges le colloque Misopédie. La domination adulte dans les discours contemporains artistiques, scientifiques, politiques et médicaux, organisé par Cécile Kovacshazy, maîtresse de conférences habilitée à l'université de Limoges et membre de l'OVEO. Plusieurs membres de l'OVEO étaient présents et/ou sont intervenus. Les actes du colloque seront publiés à l'automne 2025. En attendant, on peut réécouter la plupart des interventions sur le site du colloque et lire la présentation.
Beaucoup de politiques et de programmes restreignent notre capacité à bien agir avec les enfants. Mais, parmi toutes les camisoles de forces virtuelles auxquelles sont confrontés les éducateurs, la plus contraignante est peut-être le behaviorisme, une théorie psychologique qui voudrait que nous nous concentrions uniquement sur ce qui peut être vu et mesuré, qui ignore ou méprise le vécu intérieur et réduit chaque tout à ses parties. Elle prétend aussi que tout ce que font les individus peut s’expliquer comme une recherche de renforcement – et par conséquent que l’on peut contrôler les autres par des récompenses sélectives.
Aussi, permettez-moi de vous proposer cette règle générale : La valeur de n’importe quel livre, article ou présentation qui s’adresse aux enseignants (ou aux parents) est inversement proportionnelle au nombre de fois où le mot « comportement » y apparaît. Plus notre attention se fixe sur la surface, plus nous méprisons les motivations, valeurs et besoins sous-jacents des élèves.
Affiche de la conférence Culture et châtiments (16.10.2024)
Avec le soutien du MDES (Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale) et de l’UTG (Union des travailleurs guyanais), l’association guyanaise “Vers une autre relation adulte enfant”1 a organisé à Cayenne (Guyane) une conférence avec Stéphanie Mulot, professeuse de sociologie guadeloupéenne rattachée à l’université de Toulouse Jean-Jaurès.
Intitulé “Cultures et châtiments : Questionner les violences usuelles dans l’éducation des enfants, leur héritage colonial et leur justification culturaliste“, l’événement s’est tenu le 16 octobre 2024 et a suscité un vif intérêt de la part des médias (Radio/TV) et du public, réunissant plus de cent personnes dans la salle.
Dans les Antilles-Guyane, parents et éducateur.ice.s revendiquent leur droit à recourir aux châtiments à l’encontre des plus jeunes comme pratique culturelle traditionnelle, qu’iels n’identifient pas forcément comme violente. Toutefois, les études menées par Stéphanie Mulot sur les familles antillaises lui permettent d’affirmer que, paradoxalement, cette violence dans l’éducation2 est un produit de la colonisation, de l’esclavage et de l’évangélisation des populations.
Elle explique également que la colonialité3 a engendré la pigmentocratie : dans toute la société, et au sein même des familles, il est valorisé d’être plus clair de peau. Cela a pour conséquence d’inciter à plus de violence envers les enfants à la peau plus foncée et de considérer comme “plus beaux” les enfants à la peau plus claire. La pigmentocratie est ainsi à la base d’une échelle socio-raciale ; les personnes de couleur plus foncée intériorisent leur infériorisation. Lors de la discussion qui a suivi la conférence, une personne a longuement témoigné de sa souffrance et de son sentiment de ”n’être rien” au sein de sa fratrie en raison de la couleur plus foncée de sa peau4.
L’Insolente, dialogues avec Pınar Selek, de Guillaume Gamblin1
Pınar Selek se mobilise contre tous les systèmes de domination, qu’elle constate imbriqués, telles les têtes multiples – et pareillement dangereuses – du corps unique d’une hydre monstrueuse. Cette image est de moi, Pınar, elle, parle d’une « pieuvre » aux « multiples tentacules ». Cela m’a amenée à la réflexion suivante, qui reprend et prolonge celles dont elle nous fait part dans l’ouvrage.
Le cœur de la pieuvre
Quelle cohérence, et quel soulagement, de ne plus prioriser les diverses luttes sociales et écologiques les unes par rapport aux autres, tout est lié, tout se recoupe, se rejoint !
Urgence de créer et nourrir des ponts, des liens ensemble, tou·te·s ensemble contre le même principe de domination et de violence omniprésent dans nos sociétés.
Infinie gratitude pour les associations et les réseaux qui ont compris cela, depuis longtemps pour certains, et permettent que cette solidarité, cette unification des luttes soient mises en actes, enfin.
Émotions face à cette unité si longtemps fragmentée et désormais retrouvée, affirmée, revendiquée et vivifiée...
L’Insolente, dialogues avec Pınar Selek, de Guillaume Gamblin, coédition Cambourakis-revue Silence, 2018. Pınar Selek est une militante et autrice féministe turque exilée en France depuis 2013. De nombreux articles la concernant sont disponibles sur le site de la revue Silence, dont celui sur le livre de Guillaume Gamblin. On peut aussi lire sa biographie sur son site.[↩]
Nous publions les résultats de l’enquête menée auprès des professionnel·les de l’enfance et de la parentalité de février à juillet 2024.
1 776 personnes ont répondu, dont près des deux tiers travaillent dans le secteur de l’Éducation nationale, 21 % dans le secteur de la petite enfance, 7 % dans le secteur social, 7 % dans d’autres secteurs liés à l’enfance ou à la parentalité (ou bien le secteur n’est pas précisé). Voici les grandes tendances qui en ressortent. Les résultats détaillés peuvent être téléchargés à la fin de cet article.
Une compréhension partielle de la notion de violence éducative ordinaire
Nous remarquons que les éléments de définition apportés pour qualifier la violence éducative ordinaire montrent que cette notion est souvent comprise de façon floue ou partielle.
Environ deux tiers des répondant·es évoquent les violences physiques, verbales ou psychologiques, ou des exemples de violences, dont 19 % ne donnent pas d’autres éléments. 21 % évoquent la notion d’éducation, 17 % la banalisation, l’acceptation sociale de ces violences et 11 % le caractère quotidien, répété. Seuls 4 % évoquent les trois ou quatre notions ensemble. D’autres éléments sont parfois amenés : le non-respect des besoins des enfants (10 %), la non-conscience de la violence et la bonne intention (5 %), la domination adulte et le rapport de force (3 %), le parallèle avec la notion de maltraitance (4 %), de douces violences (1,5 %), l’évocation de la violence institutionnelle (1,2 %).